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31 août 2022 3 31 /08 /août /2022 09:47

 

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18 mai 2017 4 18 /05 /mai /2017 16:57

* 18 juillet 1915

 

Avec Marthe et les enfants, j'ai obtenu du Commandant du dépôt l'autorisation de n'arriver à VANNES que le 20, bien que mon congé expire le 19.

 

Le soir, diner de famille avec Emile, Laure et les enfants.

 

Emile repart demain et nous voyagerons ensemble jusqu'à BORDEAUX.

 

J'ai reçu mon uniforme neuf qui me va convenablement.

 

* 19 juillet 1915

 

Départ à 12 h 40 avec Emile. Voyage charmant jusqu'à BORDEAUX où nous dinons ensemble au buffet. A 21 h 20, Emile file sur PARIS tandis que nous nous installons dans le train de NANTES qui démarre à 22 h. Arrivée à NANTES le lendemain.

 

* 20 juillet 1915

 

A 5 h 30, attente interminable jusqu'à 9 h 30. Traversée de la ville entre les gares ETAT et PO, billet de Marthe, enregistrement. Buffet, café au lait, sortie, visite de la cathédrale. Enfin, départ pour VANNES par une lamentable charrette. Achat d'un panier à REDON. Arrivée à 15 h 40. Nos cantines sont restées en route, chambre au DAUPHIN. Je vais au quartier. Le Commandant MANGIN, du dépôt, se fait attendre. Les scribes m'apprennent la mort du Sergent ANDRE au 411e et de CHAUBY mon ancien Sergent Major de la 30e tué au 116e.

 

Enfin, le Commandant MANGIN arrive. Il est aimable. Il attendra pour me donner mon affectation, que j'ai vu le Médecin du Corps demain matin à la BOURDONNAYS.

 

Je rejoins Marthe. Toilette, visite à Mme ELIE : sortie !!!

 

En passant devant l'Hôpital Jules SIMON, je vois TEXIER le planton : arrêt joyeux ; il s'est marié pendant sa convalescence.

 

* 21 juillet 1915

 

Je vois le major GIRODET. Il me trouve encore faible et me signe un billet d'hôpital en me disant que je pourrai être présenté demain pour une prolongation.

 

A 16 h 30, je file à pied vers l'hôpital 33, au séminaire, au diable, plus loin que les réserves d'artillerie.

J'arrive suant, soufflant. On m'inscrit et l'on... me renvoie coucher à mon hôtel.

 

Après diner, en voiture nous revenons Marthe et moi au 33 pour y prendre mes pièces car demain matin, j'entrerai pour ferme au dépôt de convalescents dont le Chef, Docteur GROUWBEL me proposera pour une convalescence.

 

*22 juillet 1915

 

7 h 30 - Je vais au dépôt des convalescents. J'en sors aussitôt avec avis d'aller à 9 h 30 ä l'hôpital mixte pour la visite.

 

En route rencontre du Commandant FRIXON du 28e d'Artillerie, notre voisin de QUIMPER. Il arrête sa

voiture, vient à moi : il fait partie de la commission d'examen. Simple formalité que cette comparution. On me donne un mois de prolongation. Visite à la femme de CARO.

 

Préparatifs de départ, nous filerons ce soir sur QUIMPER.

 

18 h - A la gare, je rencontre COCHEREL. Caporal infirmier cité sur mon rapport et toujours reconnaissant : il a eu un congé de 6 jours et rentre au 316e qui est au repos à PIERREFONDS. Un Poilu à ma recherche me porte un télégramme de SCHMITT me félicitant pour arriver prochainement à LYON...! En embarquant, je reconnais notre Cousin le Commandant ANGE qui va à LORIENT, nous voyageons ensemble jusqu'à cette ville ; son fils, Henri, brancardier, a été blessé et cité à sa brigade.

 

0 h 30 - Arrivée à QUIMPER. Le brave père PERODEAU nous attend, nous nous installons, hâtivement. Dodo.

 

* 23 juillet 1915

 

Vérification du logis. Pas de dégâts. Nous voyons les GRIMAUD qui nous invitent le soir.

 

Déjeuner chez nous après marché avec Marthe. Langouste exquise, langoustines, vin de CAHORS.

 

Télégramme explicatif de SCHMITT : je suis nommé substitut du Commissaire du Gouvernement près le Conseil de Guerre de LYON.

 

Attente de la lettre de service. Diner cordial chez les chers GRIMAUD.

 

* 24 juillet 1915

 

Déjeuner chez GRIMAUD. Diner chez nous. Je reçois une lettre de service, nous partirons demain.

 

* 25 juillet 1915

 

Déjeuner chez GRIMAUD. Départ à 18 h.

 

Séparation à NANTES à 23 h.

 

* 26 juillet 1915

 

Arrivée à LYON à 13 h. Descente à l'hôtel d'Angleterre.

Visite au Conseil de Guerre où je vois plusieurs camarades.

 

Je vais voir SCHMITT : mal fichu, endocardite.

 

Diner au restaurant BAYARD où pension arrêtée. Boulevard : je rencontre DURAND, Sous-Préfet de St-CLAUDE, mon vieux camarade de TOULOUSE, beau-frère de FENOUX, Sénateur du Finistère.

 

Coucher à 22 h.

 

* 27 juillet 1915

 

Recherche d'un appartement. Je dine avec SCHMITT et DURAND.

 

* 28 juillet 1915

 

J'arrête une location rue des Prêtres 8, maison tranquille, quartier calme, appartement propre et artiste : 140 F par mois.

 

Diner avec SCHMITT et DURAND. Dans l'après-midi, visite au Chef d'Etat-Major qui me dit que ma nomination est due à son désir d'avoir un Substitut énergique auprès d'un Conseil de Guerre faiblard. Il me fait prévoir ma nomination comme Commissaire du Gouvernement, le titulaire, le Capitaine COMBE étant âgé et malade. Le Capitaine COMBE est un ancien Dominicain professeur de rhétorique au Collège d'ARCUEIL qui, séduit par le métier militaire après son service, a continué dans l'armée : c'est un esprit orné, très fin, parfaitement bienveillant.

 

Mon collègue, l'autre Substitut, est BOUSQUET, Lieutenant de réserve, blessé en Septembre, à la Marne. C'est un Marseillais froid, transplanté à PARIS.

 

* 29 juillet 1915

 

Rien de saillant.

 

* 30 juillet 1915

 

Longue audience de 13 à 20 h. Après un diner rapide, je vais retrouver MAIREY au café, il est avec un camarade de la Légion. Nous allons au beuglant entendre des inepties, ce qui nous coûte 3 F à chacun.

 

MAIREY part demain pour LA VALBONNE.

 

* 31 juillet 1915

 

Rien de particulier. Demain nous serons obligés d'aller Conseil en vue de la répression d'un mouvement annoncé contre la guerre. .

 

* 1er août 1915

 

Matinée libre que je passe en partie sous les ombragés de BELLECOUR.

 

L'après-midi, je vais au Conseil où je demeure jusqu'à 17 h. Je sors avec BOUSQUET (l'autre Substitut, Avocat à Cour de Cassation). Nous allons à la Cathédrale, pour essayer d'entendre un prédicateur très prisé, vainement à cause de l'affluence. Alors, nous prenons le funiculaire voisin et nous montons à FOURVIERE où nous avons outre l'admirable vue, un air exquis, presque trop frais.

 

J'emmène BOUSQUET à mon petit hôtel pour diner. Puis, allons au cinéma voisin où nous passons une agréable soirée : il y a des films de tranchées fort intéressants.

 

* 2 août 1915

 

Courses en ville pour trouver un lit à 2 places : on demande de 15 à 20 F par mois. Je ne tranche pas la question : j'attendrai Marthe.

 

Le soir, je quitte le Conseil avec BOUSQUET que j'accompagne chez lui oû nous sommes rejoints par son colocataire, fondé de pouvoir du Comptoir d'Escompte. Ils m'emmènent diner dans une brasserie immense pas loin de hôtel.

 

 

 

* 3 août 1915

 

Marthe arrive à midi 35. Je vais l'attendre et la manque sur le quai. Je sors et la trouve à l'extérieur de la gare. Les enfants et elle ont déjeuné. Je les laisse : elles iront directement à notre logis. Je vais manger.

 

Nous nous installons dans l’après-midi. La location d’un lit supplémentaire aurait coûté trop cher. Nous nous arrangerons sans çà.

 

* 4 août 1915

 

Nuit assez mauvaise dans un lit trop étroit.

 

Marthe et les enfants montent à FOURVIERE.

 

* 5 août 1915

 

Nuit un peu meilleure avec l'accoutumance.

 

Nous allons au parc de la Tête d'0r. J'y laisse mon monde pour aller au Conseil.

 

Le soir, nous aménageons le divan de notre chambre en lit pour Marthe.

 

* 6 août 1915

 

Cette fois, ce sont les moustiques qui ont troublé le sommeil de Marthe.

 

Dans l'après-midi, nous allons acheter un tub et divers objets de ménage au bazar.

 

Je vais au Conseil puis je rejoins mon monde à BELLECOUR.

 

* 7 août 1915

 

Toujours les moustiques ! Au Conseil, le Capitaine COMBE m'apprend que les Officiers déclarés inaptes passeront une visite le 16 août. Quelle scie I Et combien la pénurie doit être grande pour faire râcler ainsi tous les fonds de tiroir !

 

L'après-midi, au sortir du Conseil, je rejoins Marthe et les enfants à BELLECOUR.

 

Il y fait délicieux sous les arbres. Les petites jouant au cerceau. Totor n'y est pas très experte.

 

* 8 août 1915

 

C'est dimanche, mais aucun service ne chôme. Après une apparition au Conseil, je vais à la Place pour voir le Chef d'Etat-Major qui est fort aimable et m'engage à revenir à midi pour voir le Gouverneur. Je retourne au Conseil, puis je reviens à la Place, à l'heure dite. Réception très bienveillante du Général MEUNIER.

 

Après déjeuner, nous allons au Parc en tram et n'en repartons qu'à 18 h 25. Excellente journée sous la verdure. Le parc, très vaste, est vraiment beau. Mais quelle foule !

* 9 août 1915

 

Rien de particulier.

 

* 10 août 1915

 

J'ai une grosse audience : affaire CLUZEL, fournisseur de l’Etat, qui a livré des ressemelages où le remplissage avait été fait avec du carton. C'est un gros garçon, important industriel de LYON, défendu par 2 vieux avocats. Il a passé des marchés énormes pour des chaussures, des équipements, des culottes (1600000 F de celles-ci !). Les ressemelages qui étaient payés 5.25, il les faisait exécuter par des ouvriers, en chambre, à qui il fournissait un cuir infect et des clous : les patins cloués et non cousus étaient minces et spongieux : il en avait pour 0.50 en tout et payait 1.50 ou 1.75 aux ouvriers, total du bénéfice pour faire environ 3 F.

 

Pauvre contribuable ! L'argent roule, accaparé par des agioteurs indignes avec la complicité ou l'incurie de l'Intendance.

 

On lui a foutu un an de prison. Il était bien étonné le pôvre I

 

* 11 août 1915

 

Rien de particulier.

 

* 12 août 1915

 

Toujours chaleur accablante.

 

A 17 h, je rejoins Marthe et les enfants à BELLECOUR (comme tous les jours où je n'ai pas audience). ALCOCK passe, je l'arrête et il s'assied avec nous.

 

* 13 août 1915

 

Le Capitaine BOUTET demande un congé pour aller aux eaux. Peut-être BOUSQUET le remplacera-t-il, ce qui me laisserait toute la charge des audiences.

 

* 14 août 1915

 

Je passerai la visite lundi 16 à 13 heures.

 

Nous sommes dévorés de moustiques pendant la nuit.

 

Les journées sont très chaudes.

 

* 15 août 1915

 

Dimanche. Bureau le matin. L'après-midi, sortie en famille. Nous allons en train à Ste FOY pour y chercher la campagne, des ombrages. Dès le débarqué, cheminement, à travers un bourg, puis sur un chemin étroit qui chemine entre des murs élevés, devient horriblement caillouteux et ne nous conduit, au bout de 20 minutes de marche qu'à une échancrure donnant accès à un champ pelé et brûlé de soleil. Nous nous y asseyons, cependant, les enfants goûtent, puis nous reprenons le chemin de retour, dégoûtés.

 

* 16 août 1915

 

Je quitte le Conseil de Guerre à 14 h 30 avec ALCOCK et BOUSQUET. Nous allons à petits pas à l'Ecole de Santé Militaire transformée en hôpital. Nous errons dans des bâtiments multiples et finissons par arriver à moitié hauteur d'un amphithéâtre profond comme un puits. C'est solennel et rappelle les années d'étudiant avec les examens de juillet. LE GIVRY est un fond du puits : deux Médecins principaux et un Lieutenant-Colonel sur les bancs, une soixantaine d'Officiers de toutes armes qui se succèdent rapidement devant les examinateurs. Un seul de ces derniers, médecin colonial interroge et palpe : les autres sont muets.

 

Au bout de 3/4 d'heure, je suis appelé. On me demande la date et la cause de mon évacuation, ma situation actuelle, en faisant spécifier que c'est une situation fixe et l'on me remercie ; même cérémonial pour mes deux camarades.

 

Nous prenons un bock sur le chemin du retour.

 

Courte apparition au Conseil de Guerre, puis je ressors avec BOUSQUET, nous faisons un tour de boulevard, puis je le quitte et vais retrouver Marthe et les enfants à BELLECOUR.

*17 août 1915

 

Toujours les moustiques ! Ils empoisonnent nos nuits pendant lesquelles nous nous livrons plusieurs fois à des recherches, à de vraies chasses pour atteindre ces minuscules mais puissants adversaires.

 

*18 août 1915

 

Rien.

 

*19 août 1915

 

Rien. Je veille un peu pour la préparation de mon audience de demain où viendra une affaire d'espionnage : un Suisse de 52 ans, marié à une Boche, a bêtement avoué, sans preuves, à la Police d’une gare frontière, qu'il était espion.

 

*20 août 1915

 

Audience de 13 à 19 h 25. Le Suisse nommé NIEDERER est condamné à mort. Nous apprenons que le pourvoi d'un autre espion, le Belge FLAMME, a été rejeté. Il y a deux autres affaires d'espionnage à l'instruction.

 

*21 et 22 août 1915

 

Rien. Henri est promu Capitaine.

 

*23 août 1915

 

Lettre très affectueuse de BIGEARD qui a rencontré JEHANNE de qui il a appris mon évacuation.

 

* 24 août 1915

 

Rien.

 

* 25 août 1915

 

Lettre exquise de Paul LAVALLEY. Dès mon arrivée au Conseil, le Père COMBE m'avise que le Gouvernement de la Place mande à son hôtel tous les Chefs de services militaires ce matin à 10 heures et que je suis chargé d'aller représenter mon Chef qui se dit souffrant. Je rentre au logis chercher mes gants et mon sabre. Puis je vais avenue de Noailles, près du Parc où devant le n° 38,

je vois une multitude de gros légumes, Généraux, Colonel, les plus modestes ont 4 galons et tous sont brillants comme des astres. J'ai l'air d'un parent pauvre. Le Gouverneur survient et nous invite à entrer : je pénètre humblement le dernier. Nous sommes nombreux qui n'avons rien à voir avec la conférence. Le Gouverneur interroge chacun de nous sur son titre et renvoie les inutiles. Je suis de ceux-là et je m'esbigne, rentrant à pied jusqu'à BELLECOUR où je trouve Marthe et les gosses.

 

* 26 août 1915

 

Journée quelconque. A 17 h, je quitte la boite et avant d'aller rejoindre Marthe à BELLECOUR, je vais voir les dépêches au Journal "Le Progrès".

 

En sortant du Hall, je suis accosté par un troupier : je reconnais LANGLADE, le notaire de MONTBRISON. Il m'annonce qu'il a rendez-vous avec SCHMITT et MAIREY qui vient de le

VALBONNE pour passer la soirée à LYON. Et pendant que nous causons, survient MAIREY, qui m'invite à diner avec la bande. J'accepte et vais le dire à Marthe, je suis chargé, accompagné de Louise qui est obligée d'aller faire une station au logis, puis je la ramène à BELLECOUR et retrouve

mes camarades que rejoint bientôt SCHMITT au café de la Paix.

 

A 19 h, tram et nous descendons dans une immense brasserie de PERRACHE, style boche. Nous saluons la femme de LANGLADE et ses parents qui achèvent leur repas avant de rentrer à MONTBRISON et nous nous installons à 4 dans un coin, à une table particulière.

 

Repas très cordial, service trop long, nous finissons seulement à 21 h. Thé ou verveine à la Paix.

 

A 22 h, nous nous quittons.

 

* 27 août 1915

 

Audience de 8 affaires avec 13 accusés dont 7 employés du PLM, inculpés de vol. A l'issue de la séance, je vais prendre des bocks à la Paix avec 3 membres du Conseil. Nous causons. Ce sont de braves gens et qui commencent à connaître leur métier de juges.

 

* 28 aout 1915

 

Rien.

 

* 29 aout 1915

 

Lettre de Germaine HOUEIX annonçant que J os e p h est depuis 6 semaines au 24e Colonial à PERPIGNAN. Il est parti le surlendemain de la naissance de leur petite Renée. La situation ainsi faite à ce cher garçon es t inima g inable. Ancien réformé, n'ayant fait aucun service, on le reprend, 38 ans passés, lorsqu'il est un personnage civil important pour en faire un simple troupier qui sera soumis au

commandement des gosses de classes 14, 15 e t 16 et p ar surcroît, c'est dans la Coloniale qu'on le place ! Voilà où no us conduit la plaie de l égalitarisme. Il n'est pas un autre pays au monde oû l'on aurait osé cette lâcheté car c'en est une, c'est de la surenchère démagogique, qui nous délivrera de tous ces sinistres farceurs qui, bien à l'abri, derrière leur mandat législatif, se font les champions de la vertu et de l héroisme ?

 

Après-midi au Parc oû nous avons deux ou trois petites ondées.

 

Je rencontre le Dr VALLETTE du 264e en congé de 6 Jours. Il est avec une femme, originaire de LYON, il repart demain.

 

La petite opération du 6 Juin a coûté 6 000 hommes. Quel malfaiteur que ce NIESSEL ?

 

* 31 août 1915

 

Lettre de CARO GIRAUD a été tué JOSSET blessé, RUSQUET est passé Adjudant à la 20e. CARO va aller en permission ; il voudrait bien demeurer à l'arrière, mais le moyen ?...

 

Lettre de PINOT qui est au front dans l'intendance. Il a retrouvé ALIZON. Il parait ravi.

 

* 1er septembre 1915

 

Rien. Le pourvoi en révision NIEDERER est rejeté.

 

* 2 septembre 1915

 

Le temps devient frais. Toujours des moustiques. Lettre de Léon, affectueuse.

 

* 3 septembre 1915

 

Lettre de Mme HOUEIX. Joseph est parti pour destination inconnue, peut être LE VALBONNE, ce qui me permettrait de le voir.

 

Carte affectueuse de BILLAUD.

 

Audience assez chargée qui se termine à 19 h.

 

Il pleut. Le temps devient frais.

 

* 4 septembre 1915

 

Rien.

 

* 5 septembre 1915

 

Journée italienne à BELLECOUR. Les petites entendent

GUIGNOL. Nous rentrons ensuite.

 

* 6 septembre 1915

 

Je vais au Parquet Général pour y parler de HOUEIX. Je ne trouve que PIREL, qui, déjà au courant pour HOUEIX a signalé la situation au Procureur Général ; celui-ci a promis de faire le nécessaire.

 

* 7 septembre 1915

 

En sortant du Conseil, je vais au café avec l'ex Collègue DENIS, mobilisé comme Commis Greffier. Tout d'un coup, devant le tram, d'oû descend un Capitaine qui vient vers moi souriant, je reconnais VIALA, décoré, Croix de Guerre, qui après blessure (la 2°) et convalescence est au dépôt du 217e. Il s'installe avec nous. Longue conversation : sa femme va venir le rejoindre pour quelques jours, en

attendant son retour au front.

 

* 8 septembre 1915

 

Longue audience. Je manque la bénédiction de la ville par le Cardinal du front de FOURVIERE. En sortant du conseil, je vois BELLECOUR noire de monde. J'aperçois VIALA et son dernier frère devenu Lieutenant, et qui est permissionnaire. Mme VIALA arrive demain.

 

* 9 septembre 1915

 

Dans l'après-midi, je suis appelé à la Place, comme Commissaire du Gouvernement, COMBE, malade, ne rendre. Grande conférence au sujet de l'exécution de demain à 5 h, au champ de tir de la DOUA. Le réglé en détail.

 

Entrevue avec SCHMITT : HOUEIX est passé à l'improviste à la gare PERRACHE, avec son détachement, le pauvre ami !...

 

SCHMITT me met au courant d'une cabale contre le Capitaine COMBE et ALCOCK, à l'occasion d'indiscrétions commises par les secrétaires d'Etat-Major et que les grands chefs leur imputent. Il s'agit de la convocation des membres du Conseil avant l'affaire CHEZEL. Or, un Adjudant prévaricateur, poursuivi et condamné 2 jours plus tard, a été informé et en a fait un incident. Le Capitaine CHOQUENEY, Conseiller à la Cour et chargé à la Place des affaires judiciaires, n'a pas défendu COMBE et ALCOCK qui pensent être sacrifiés sans avoir été entendus.

 

* 10 septembre 1915

 

Réveil à 2 h 15. A 2 h 45, je file à la prison St-PAUL. Réunion de tous ceux qui doivent assister au réveil de FLAMME. A 3 h 30, nous entrons dans sa cellule. Je le trouve éveillé et calme.

 

Je lui annonce le rejet de son recours en grâce. Il s'habille froidement, se confesse, entend la messe.

 

4 h 30 - Autos. Nous filons vers la DOUA. Service d'ordre sur le champ de tir que FLAMME traverse à pied. On l'attache au poteau en face du peloton d'exécution. Il crâne, sans forfanterie. Les yeux bandés, il dit vouloir faire révélations, je l'exhorte mais il se ravise. Dix secondes après il est exécuté. Coup révolver à la tempe, halète, puis devient inerte. Constatation du décès. Retour auto au logis à 5 h 30. Je me recouche.

 

Nous avons à déjeuner les VIALA, très affectueux.

 

* 11 septembre 1915

 

Excursion avec les VIALA à la Croix-Rousse. Je les y laisse pour aller travailler.

 

* 12 septembre 1915

 

Dimanche. Excursion à FOURVIERE avec nos amis. Montée par la "ficelle", descente à pied. Nous terminons la journée BELLECOUR.

 

* 13 septembre 1915

 

Comme les 2 jours précédents, les VIALA déjeunent chez nous. Ils accompagnent Marthe et les enfants au parc. Moi, je vais au Conseil pour préparer mon affaire d'espionnage (PETERSEN) de demain.

 

Mme HOUEIX annonce son passage entre 21 et 23 heures. Nous allons la voir en gare de PERRACHE avec les VIALA.

 

Elle a une jolie petite fille qui ne se réveille pas pendant notre entrevue dans la salle d'attente. Les sœurs sont avec elle ainsi que le petit garçon de la seconde. Elle retourne à CETTE. Joseph est près de CHALONS. Il avait fait une demande pour devenir Sous-Lieutenant de territorial de Gendarmerie. J'annonce à notre amie que PIREL m'a dit aujourd'hui même que le Procureur Général avait sur son insistance après notre entrevue, écrit au Grand Prévôt de l'Armée. Elle est heureuse de cet espoir.

 

* 14 septembre 1915

 

Audience à 13 h, après le déjeuner avec les VIALA que nous invitons tous les matins. J'ai l'affaire PETERSEN (espionnage) : j'obtiens une condamnation à mort.

 

L'audience chargée, se termine à 20 h 45.

 

* 15 septembre 1915

 

Rien.

 

* 16 septembre 1915

 

VIALA repart la semaine prochaine. On le réclame à son Régiment (217e) où sa place lui est gardée.

 

* 17 septembre 1915

 

Rien de saillant. Marthe et les enfants passent les journées avec nos aimables amis, tandis que je suis à mon bureau. Je les rejoins à 17 h à BELLECOUR et nous nous promenons ensemble jusqu'au diner.

 

* 18 septembre 1915

 

Même programme. Mme VIALA vient seule à 11 h 30 et m'annonce que son mari m'attend à la Paix avec SCHMITT et MAIREY qui repart ce soir à destination du 1er Etranger.

 

Je passe un moment avec eux, je salue le brave MAIREY puis VIALA et moi revenons au logis.

 

 

 

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18 mai 2017 4 18 /05 /mai /2017 15:05

* 4 avril 1915

 

A 7 h, annonce de la visite du Colonel, Commandant la Brigade. Je le trouve avec le Docteur, tous deux sortant de la messe dite dans une anfractuosité aménagée en chapelle. Nous pénétrons dans les carrières et les critiques pleuvent : peu de confort, mauvaise odeur, détritus de toute nature. Les observations du Grand Chef sont absolument justifiées et l'on a vraiment trop négligé un aménagement cependant facile. Mais les Compagnies se sont succédées sans rien entreprendre, ou du moins fort peu et puis les Zouaves nos prédécesseurs avaient encombré d'innombrables recoins avec toutes sortes de défroques ou débris. C'est bien simple, il y a au moins 200 tombereaux de saletés à expulser ou à murer. Je fais commencer le travail.

 

12 h - Déjeuner. J'offre du Bourgogne.

 

Le temps est mauvais. Pluie fine et continue, boue intense.

 

Journée de travail pour les Poilus. Je surveille et je circule, puis je lis ou écris.

 

16 h 30 - 3 lettres de Marthe qui me demande si j'ai besoin de linge. Non, J'ai tout ce qu'il me faut et même plus qu’il ne me faut. De même pour les uniformes ; ma culotte a été retapée par réfection du fond et des genoux : j'ai, en plus, ma culotte civile et une culotte de velours. Enfin, ma cantine contient 3 paires de brodequins et un uniforme complet. Je me procure facilement ce dont j'ai besoin à Compiègne.

 

La pluie ne cesse pas. Diner à 19 h, puis coucher à l'heure habituelle. Demain nous montons en 2ème ligne.

 

Vers 23 h, bruit d'altercation. Ce sont des hommes de la 24e qui se sont procurés du vin à TRACY et qui sont ivres. GALERNE intervient et ramène le calme avec peine.

 

* 5 avril 1915

 

Montée aux tranchées à 7 h. PUPIN et moi cheminons seuls sous la pluie. Le Colonel NIESSEL passe et me dit un cordial bonjour : il est â cheval, escorté.

 

11 h - Je suis invité à déjeuner par le Commandant MOREAU, avec tous les Docteurs.

 

Grand gala : huitres, Sauternes, chou-fleur au gratin, civet de lièvre, poulet, Poularde, mon foie gras, omelette au rhum, flan, café.

 

Violente canonnade réciproque, puis calme presque complet.

 

18 h - Fusillade assez vive vers notre ancien secteur. Tout d'un coup, de tous les coins de l'horizon, nos batteries se mettent à tonner : 75, 105, 95, 90, 80, c'est un vacarme assourdissant et ça tombe, tombe, tombe avec un terrible fracas sur les tranchées allemandes.

 

Qu'est-ce qu'ils doivent prendre, nos voisins ! Les Poilus, debout sur les parapets, se tordent de rire. Les voisins d'en face, terrés dans leurs sapes ne tiraillent plus ; quant à leur artillerie, elle est muette.

 

19 h - Nous dinons au son du canon. Enfin, le calme renait. Je n'ai pas de lettre ce soir : mais j'en avais eu 3 hier...

 

21 h - Coucher.

 

* 6 avril 1915

 

Réveil à 7 h. Le temps est beau, mais nous avons un fameux nettoyage de tranchée à faire : autant de boue qu’aux plus mauvais jours.

 

Calme complet sur le front (sauf bien entendu le canon qui, lui n'arrête jamais de tirer, mais on n'y fait plus attention depuis tant de mois !).

 

Le duel d'artillerie recommence. L'ennemi a dû faire revenir des pièces cette nuit, car il canonne sans relâche, visant surtout les réserves : nos cuisiniers, gui arrivent à 11 h 30, nous disent que 90 obus, au moins, sont tombés autour des carrières.

 

Journée pareille à la précédente, pluie moindre mais forte canonnade. A 16 h, de nombreuses marmites tombent autour de mon poste : grands fracas, aucun dégât. A 18 h, sérénade par notre artillerie.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 7 avril 1915

 

Réveil à 6 h. Préparatifs pour aller en première ligne. La pluie d'hier et de la nuit surtout, très abondante, a transformé nos tranchées en bourbiers. Il pleut dans mon poste de commandement où je me suis réveillé sous de silencieuses et multiples gouttières. Avec cela, le temps demeure très menaçant, ciel gris et tourmenté, vent violent.

 

Nous montons en première ligne à 8 h 30, par le boyau G. Boue et flaques d'eau ou l'on enfonce jusqu'à mi-jambe. La tranchée est infecte, le poste de commandement arrosé par de nombreuses fissures de la couverture. Je vais avoir un travail énorme pour faire tout nettoyer. Vers 10 h, visite du Lieutenant-Colonel et du Commandant. Il est question d'un coup de main à exécuter sur un poste d'écoute allemand que l'on trouve gênant par sa trop grande proximité. Le Colonel NIESSEL tient à ce que l'on fasse quelque chose avec un certain nombre de volontaires.

 

Je propose une simple patrouille de 3 ou 4 hommes au plus, qui iront jeter des grenades dans le poste d'écoute et je crois qu'avec des précautions cela peut être réalisé sans pertes. Une action de vive force, mettant en œuvre des hommes plus nombreux, entraînerait des pertes pour un résultat problématique et en tous cas (même s'il y avait succès) médiocre. Le Commandant est absolument de mon avis. Je vais donc demander des volontaires pour une patrouille avec grenades à faire la nuit prochaine.

 

Journée de pluie, puis, vers 6 h, accalmie. Les volontaires pour la patrouille sont : VIDAILLET, BONNAUD, LE BRENU, MANTEL, BRIAND, le mitrailleur MASSE, tous armés de grenades et BRAUD pour diriger l'expédition.

 

Diner à 19 h. A 21 h, le Sergent des crapouillots, BRELIVET, lance neuf bombes sur le champignon 0'. A 21 h 30, la patrouille part : elle arrive à moins de 10 m du but ; à ce moment, fusées éclairantes du 264e ; nos hommes, gênés, se terrent, puis d'un seul mouvement, lancent 6 grenades et se replient. L'ennemi ne répond pas. A 22 h, VIDAILLET lance 6 pétards à cheddite sur le champignon 0.

 

Je suis content que notre expédition, de pur luxe, se soit bien passée.

 

Coucher à 22 h 30. J'ai installé des toiles de tente au- dessus de ma couchette et ai pu passer une nuit acceptable.

 

* 8 avril 1915

 

Réveil à 6 h. Journée grise, mais vers 8 h, le temps se lève un peu. Le nettoyage de la tranchée se poursuit, mais quel travail !

 

Je surveille et stimule mes Poilus. Le Commandant MOREAU, puis notre Lieutenant-Colonel, arrivent, tous deux très satisfaits de la petite expédition de la nuit. Il va proposer BRAUD pour la citation à la Brigade, les autres seront mis à l'ordre du Régiment de ma Compagnie, "la plus vigoureuse du Régiment". Je suis fier de ces éloges.

 

A 11 h 30, nous faisons un essai de lancement de pétards à l'aide d'une fronde.

 

C'est MASSE qui est le lanceur ; ce Poilu de 41 ans a un fils de 20 ans au 91e.

 

Journée calme jusqu'à 16 h, moment où nos batteries concentrent leurs feux sur le saillant B. C'est le signal d'un duel violent d'artillerie où l'ennemi donne tout ce qu'il faut et fait beaucoup de bruit. A 19 h, cela dure encore avec une grande intensité. Cela doit être une très violente canonnade, mais nous y sommes tellement faits que nous n'y prêtons plus qu'une attention médiocre.

 

A 20 h 30, mes hommes lancent sur point 0 dix pétards à cheddite dont un explose à l'intérieur du poste d'écoute. Ils chantent la Marseillaise et adressent aux Boches des propos injurieux ; vive fusillade.

 

* 9 avril 1915

 

Réveil à 6 h. A 6 h 15, tir de notre artillerie sur tout le front. Nous grimpons tous sur le parapet pour voir le spectacle de notre artillerie, nos obus écrasant avec fracas la tranchée ennemie ; c'est d'une impressionnante précision. Toute la Bocherie s'est terrée dans les sapes. Les hurlements joyeux des Poilus sont dominés par le bruit des éclatements.

 

8 h 30 - Relève par la 24e. Je fais ma toilette dans une chambrette et ce n'est pas sans nécessité.

 

La journée s'écoule tranquille jusqu'à 16 h, moment où l'ennemi lance sur les abords des carrières une dégelée de marmites de 170. J'étais aux ... parfaitement, lorsque la première a éclaté. Je suis rentré aussitôt. Pas d'autres dégâts que deux chevaux tués dans une écurie à 150 ou 200 mètres.

 

A 19 heures, repas où j'aperçois des serviettes neuves, fruit d'une ténébreuse expédition de VIDAILLET et OLIVERES dans une maison abandonnée de TRACY.

 

A 21 h 30, je rentre dans ma chambre. Brusque canonnade de nos pièces. J'apprends qu'une patrouille de la 24e est allée tout à l'heure au champignon allemand où nous avons lancé des bombes, n'y a trouvé personne, y a saisi une échelle qu'elle a emportée et a planté sur le parapet un petit drapeau français.

 

* 10 avril 1915

 

Réveil à 6 h par notre grosse artillerie. Je finis de lire les journaux d'hier et je vais voir où sont mes Poilus dans leurs travaux de nettoyage et d'aménagement de la carrière. Celle-ci est transformée par l'effort de ces jours derniers. De vraies chambrées sont organisées ainsi que de confortables chambrettes pour Officiers et Sous-Officiers.

 

Le temps est redevenu mauvais : pluie abondante cette nuit.

 

11 h - On me communique le rapport journalier : les 4 Poilus de la 23e sont cités à l'ordre du Régiment ; quant’ à BRAUD, VIDAILLET et MASSE, on les proposera sans doute pour une citation à l'ordre de la Brigade.

 

Rien de saillant pendant le reste de la journée.

 

19 h - Diner, vers la fin, je suis invité à passer à la Brigade pour communication. J'y suis à 20 h. Je trouve le Colonel NIESSEL à table avec NESSE et de COMPAGNUE. Le Colonel me parle de l'utilisation en pétards de coupes de cordeaux BICKFORD. Il se montre très aimable, m'encourage dans le lancement de pétard. Il m'offre du café. Je rentre vers 21 heures et vais me coucher.

 

Dans la journée, le Colonel NIESSEL m'avais envoyé un colis de papier à lettres et crayons à distribuer à ma Compagnie, paquet accompagné d'un mot très cordial.

 

* 11 avril 1915

 

A 7 h, je suis avisé que le Colonel NIESSEL est aux carrières. Je le rejoins et le trouve souriant et affable.

Il circule, je le suis et il m'amène... à la grotte chapelle où se dit une messe !

 

J'entends l'office à côté de lui : c'est le Caporal CHAVRAUD qui officie. Puis, nous visitons la carrière où des travaux énormes d'installation ont été effectués. Le Colonel est très satisfait. Je le remercie de ses éloges et aussi de son envoi d'hier. Il me dit que ma Compagnie est la seule bénéficiaire de cet envoi qui émane de Mme NIESSEL et ajoute qu'il nous a choisis comme étant les plus méritants. Cela me fait vraiment plaisir, je l'exprime et nous nous quittons.

 

Journée tranquille jusqu'à 17 h. A ce moment, alerte, BRAUD, LECOINTRE, VIDAILLET, CHRETIEN et OLIVERES sont en promenade et on les cherche vainement. Je suis ennuyé. Le temps passe et ils finissent par arriver portant des fleurs destinées à LECOINTRE dont la fête est demain et qui ne s'en doutait pas. Renseignements pris, un Lieutenant du Génie s'est trouvé dans une sape du 264e face à face avec un Prussien, on a essayé de faire sauter la mine sans succès, alors on a allumé une mine voisine qui a fait sauter la saillant allemand. Un Poilu est allé dans l'entonnoir et a ramené un Sergent prussien blessé.

 

21 h 30 - Repos en gendarme.

 

Nuit calme, mais je dors mal.

 

* 12 avril 1915

 

Réveil à 6 h. Fin d'alerte. A 11 h, arrivée d'un nouvel Officier, Lieutenant BILLOT réserviste, Officier d'administration qui était à la Division et qui a demandé à prendre un service plus actif. Mais on me prend LECOINTRE que je regrette.

 

14 h - Avis que l'on va faire sauter le champignon 0 et nouvel ordre d'alerte.

 

L'explosion a lieu aussitôt. Nous apprenons que 2 Poilus de la 21e qui s'étaient précipités vers l'entonnoir, ont été reçus à coups de fusil et blessés, l'un très grièvement.

 

Journée de paresse et d'attente.

 

A 17 h, fin de l'alerte. L'ennemi a canonné les carrières : 2 blessés légers du 264e près du Parc d'OFFEMONT.

 

18 h - Visite des carrières par les Généraux EBENER et DUBOIS accompagnés du Colonel NIESSEL et de plusieurs autres moindres Officiers. Eloges.

 

Lettres de Marthe en contenant une autre parfaite pour VIDAILLET à qui je la remets. Par un mot d'hier, Marthe m'a expliqué les à-coups de TARBES : nervosité bien excusable dit-elle et je suis de son avis, mais il est inconcevable que les invités de Maman aient eu assez peu de tact et de reconnaissance pour attiser le feu : la caque sent toujours le hareng.

 

Coucher á l'heure habituelle après un intermède comique d'0LIVERES, costumé en personnage officiel, redingote et haut de forme.

 

* 13 avril 1915

 

Montée en 2ème ligne à 7 h. Je fais plus ample connaissance avec BILLARD qui est avoué à CHATEAUBRIANT. Il est de mon âge, a connu CAOUS et PAPIN, BEAUFONT.

 

Rien de particulier pour le reste de la journée. Nous couchons à 3, BILLARD, PUPIN et moi sur le lit de camp. Je suis longtemps à m'endormir à l'inverse de PUPIN qui ronfle aussitôt comme une taupe boche, vacarme qui ne cessera qu'au réveil.

 

* 14 avril 1915

 

Réveil à 6 h 30, toilette. Temps splendide mais qui se gâte un moment. Journée très calme, sauf les marmites habituelles, naturellement.

 

Demain, en l'absence du Commandant examinateur au peloton de St-CREPIN, je commanderai le Bataillon.

 

J'ai un peu de migraine et ne dine pas.

 

Je vais me coucher tôt. BRAUD nous raconte comment il a accompagné OLIVERES en tube et redingote dans le secteur ; empressement des Poilus et des Sous-Officiers médusés ; * compliments aux uns (observations de la Brigade, promesse de Croix de Guerre à un Maréchal des logis de Dragons) expressions de mécontentement aux Alpins territoriaux, notamment aux servants de la mitrailleuse contre aéros et menace de Conseil de Guerre pour abandon de poste "alors, sous prétexte qu'il tombe quelques obus en ce moment, vous allez vous mettre â l'abri ? Et s'il passe un avion ? Ce sera donc moi qui devrais servir la pièce ?” Les Poilus sont sidérés.

 

BRAUD opine, imperturbable : "Oui, M. le Délégué ! Parfaitement, M. le Délégué I" Des compères rentrent, OLIVERES se rééquipe et vient retrouver les mystifiés, au moment où le Margis de l'observatoire allait rendre compte au Colonel NIESSEL par téléphone qu'un Délégué du Ministère du travail inspectait les tranchées du secteur. Tous se tordent de concert.

 

* 15 avril 1915

 

Mauvais sommeil. Ce que PUPIN peut ronfler fort c'est inimaginable.

 

7 h 30 - Relève de la Compagnie. Je reste au poste du chef de Bataillon. Vers 9 h, visite du Lieutenant-Colonel. Nous causons longuement, puis je l'accompagne en 1ère ligne.

 

11 h 30 - Retour en 2ème ligne. Je déjeune seul. Le Docteur DUPONT vient prendre son repas au moment où je termine le mien, GALERNE m'apporte, vers 19 h, une bouteille de Champagne offert aux Officiers des 23e et 24e Compagnies par GREGOIRE qui en nous payant la dernière solde a trouvé

5 F de trop en sa possession.

 

Journée belle et tiède. Canonnade intermittente. J'attends le retour du Commandant MOREAU avant de remonter en 1ère ligne.

 

18 h - Le Commandant MOREAU rentre. Je monte par le boyau B avec BOTEAZOU qui apparaît portant la tambouille.

 

19 h - Diner avec mes Officiers et Adjudants. J'apprends que les Généraux trouvés en rabiot par GREGOIRE, appartiennent à de WOEUVRE ; je prends le Champagne à mon compte, on le boit et je donne 100 sous à CHRETIEN pour restitution au légitime propriétaire.

 

21 h - VIDAILLET me rend compte d'un petit incident survenu à l'instant avec JOSSET et un de ses hommes qui avait tiré tandis qu'il allait voir les Boches en patrouille ; interpellent l'imprudent, il l'avait invité â sortir avec lui vers l'ennemi et JOSSET, trop jaloux de son autorité, avait ordonné au Poilu (médaillé de Chine) de rester. Je fais comparaître tout le monde. Je suis très contrarié de l'incident survenu entre si braves gens. Je gronde JOSSET et l'homme (FICHER). J'apaise VIDAILLET ulcéré devant cet échec de son autorité.

 

21 h 45 - JOSSET vient me rendre compte qu'il est allé seul jusqu'au champignon 0' et qu’il l'a trouvé inoccupé. Je le félicite et lui conseille d'aller faire sa paix avec VIDAILLET. A 22 h, CHRETIEN et JOSSET m'annoncent qu'ils sont revenus à 0' et qu'ils ont posé sur le parapet, très ostensiblement deux journaux contenant le discours de VIVIANI au Trocadéro, puis JOSSET a crié de sa plus belle voix "Tiens, voilà des journaux !" et ils sont rentrés, sans avoir essuyé un seul coup de feu. Je me couche aussitôt.

 

* 16 avril 1915

 

Bonne nuit de repos malgré canonnade et bombes (60 environ) qui démolissent un peu la tranchée.

 

Matinée splendide. D'accord avec BRETINEAU, de la 20e Compagnie, 5e Bataillon, en fonction avec moi, je prépare une expédition d'OLIVERES pour mystifier le petit Sous-Lieutenant PERON. Malheureusement, OLIVERES a laissé sa défroque en 2ème ligne... Puisse-t-il la retrouver intacte ! Je l'envoie la chercher vers 13 h 30.

 

Hélas ! Les crétins de la 24e ont esquinté le tube, déchiré les manchettes, bêtement pour le plaisir d'une minute. La farce, qui s'annonçait bien, n'aura pas lieu et c'est dommage.

 

Le temps, tiède, devient mou, le ciel se couvre.

 

Calme sur le front, canonnade intermittente. On circule assez désœuvrés dans la tranchée, en attendant les journaux du jour et surtout la correspondance qui est la vraie joie pour tous.

 

17 h - Tandis qu'après une nouvelle visite à BRETINEAU, je rejoins mon secteur, je croise le Caporal infirmier GRAVRAUD qui court chez moi, m'annonçant qu'il y a plusieurs blessés. Je le suis au galop.

 

En face du boyau 7, un créneau effondré par obus, 3 blessés heureusement légers. Je respire.

 

21 h - Coucher. Sans autre incident.

 

* 17 avril 1915

 

Réveil à 6 h et préparatifs pour la rentrée aux carrières. J'emporte une grenade-obus à fusil non éclatée et vidée.

 

Relève à 8 h 30. Nous sommes aux carrières vers 9 h 15. Toilette.

 

BARDET me donne des épreuves de photos prises à ATTICHY et dans le Parc d'0FFEMONT. Je les enverrai aujourd'hui.

 

Journée sans incident, à 18 h, séance drolatique par CHARLOT et la troupe de la 22e.

 

Un nouveau médecin, le Dr BARTHEZ, biterrois, arrive au Régiment et aux carrières. Il mange à ma popote. Il a l'air gentil.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 18 avril 1915

 

Réveil à 7 h. Matinée radieuse, au déjeuner BRAUD apprend par la Brigade qu'il doit rejoindre son corps d'origine à Paris, pour l'expérimentation d'un engin nouveau. Nous reviendra-t-il 2 Je serais navré de perdre ce brave et cher garçon.

 

Le temps passe. Le calme est complet. Tout à coup, vers 16 h, déchainement de marmites de tout calibre sur toutes les lignes, mais surtout â gauche. Alerte. C'est un vrai déluge de projectiles. Nous sommes prêts à partir. Deux compagnies d'Alpins arrivent avec un Chef de Bataillon qui prend le commandement des 4 Compagnies. Cela ne nous empêche pas de diner : le Dr LAFERRIERE est des nôtres. Puis, vers 20 h, calme progressif.

 

Il paraît que la dégelée a précédé une attaque timide, facilement repoussée. 6 victimes en tout au 264e par marmites de 210.

 

22 h - On se couche tout équipés.

 

* 19 avril 1915

 

Je dors assez mal, à cause de la canonnade de nos grosses pièces qui ébranle tout. Réveil à 6 h. A 7 h, fin de l'alerte. Temps radieux comme hier. Pour notre joie, on rétablit l'exercice qui aura lieu cet après-midi et on institue dans tous les régiments de la Brigade des cours de tactique à l'instar de l'Ecole de Guerre, sous la direction des Lieutenants Colonels.

 

Comment peut-on croire encore sérieusement à ça ? C'est du luxe, un art d'agrément, à peu près aussi utile que la musique mais moins que le bridge, du moins dans la guerre moderne où l'on a assez facilement des cartes à jouer.

 

Le calme continue, comme le beau temps ; dureront-ils ?

 

Le 264 a fait quelques prisonniers. Plus à gauche. Les Zouaves ont arrêté net au bois St M... une attaque qui a laissé 150 morts sur le terrain : les zouaves ont contre- attaqué à la baïonnette.

 

Le 265 a eu 15 morts et autant de blessés par un ”minen".

 

17 h - Reprise de bombardement.

 

BRAUD dine avec nous et file sur Paris à 19 h 30.

 

Coucher à 21 h.

 

Le calme s'est refait.

 

* 20 avril 1915

 

Réveil à 7 h. Toilette. Le temps s'est rafraichi. LE ROY vient me voir, superbe dans une tenue neuve, bleu horizon.

 

Je mande l'artiste capillaire PIQUE qui nous coupe les cheveux à LE ROY, BILLAUD et moi.

 

Journée tranquille. Marthe m'apprend la citation de Léon à qui j'écris.

 

19 h -Diner bien animé. BILLAUD, avocat à CHATEAUBRIANT, est un esprit distingué et le Dr BARTHEZ un méridional fougueux : avec PUPIN, toujours intéressant et fin, la discussion sur des questions diverses s'anime et nous passons une agréable soirée.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 21 avril 1915

 

Relève en 2ème ligne à 8 h. Je trouve mon abri sans vitres depuis le dernier bombardement. Le temps est gris et frais. Calme presque complet sur le front.

 

Je lis "Les coups d'épée de M. de la GUERCHE" pour me distraire, mais ça me rase.

 

Coucher à l'heure habituelle.

 

* 22 avril 1915

 

Lever à 7 h. Lecture. A 9 h, nous allons BILLAUD et moi, au poste du Lieutenant-Colonel où nous trouvons nombre de camarades. Séance de "Jeu de la Guerre" sous la direction de notre excellent Chef. Toujours intéressant et bienveillant.

 

A 10 h 30, retour en 2ème ligne. Stations chez le Commandant qui m'a invité hier à déjeuner. BILLAUD nous quitte, le Dr DUPONT survient. Repas très gai, nous nous séparons à 14 h. Temps beau et tiède.

Canonnade intermittente. CARO inquiet ces jours-ci sur la santé de son petit garçon, a eu hier de bonnes nouvelles.

 

Fin de journée tranquille. A 18 h 30, les cuistanciers apportent, avec la tambouille, un bouquet destiné à PUPIN, dont c'est la fête demain. Je la lui souhaite, en un petit speech affectueux et humoristique.

 

Coucher à 20 h 30.

 

* 23 avril 1915

 

Réveil à 6 h. Toilette, préparatifs pour relève.

 

Relève à 7 h 30. Visite au 5e Bataillon avec le Commandant qui est monté avec moi.

 

10 h - Le Colonel NIESSEL vient voir le secteur. Il se montre très aimable. Il me demande de prêter cette nuit mes lanceurs de pétards au 264e. J'enverrai VIDAILLET.

 

Je passe ma journée tranquillement, partie dans mon abri, partie dans celui de BRETINEAU qui offre du Champagne à BILLAUD et à moi. Il y a là un nouveau médecin auxiliaire, Elève de 1'Ecole de santé navale, venant de l'Artillerie lourde et affecté au 5e Bataillon, M. PUEL, jeune géant, puissant et doux, tordant dans ses imitations de "tirailleurs".

 

Je me couche à 21 h. Je ne peux m'endormir. Le temps s'écoule ainsi jusqu'à 23 h 45, heure où PUPIN vient m'annoncer qu'un de mes hommes, JAROUEN, soldat d'active, monté devant le parapet sans prévenir, s'est fait tuer par les sentinelles d'un poste d'écoute voisin. J'y cours, navré. Il a eu la carotide tranchée par une balle.

 

Je rentre et finis par dormir quelques heures.

 

* 24 avril 1915

 

Temps gris et frais. Visite du Lieutenant-Colonel et du Commandant MOREAU. RIBOT et LE ROY viennent aussi me voir.

 

12 h - Déjeuner de gala. Le Dr BARTHEZ vient nous rejoindre accompagnant les cuistanciers qui apportent la tambouille avec quelques bouteilles (Pommard et Champagne). Le repas est fort gai, grâce au Docteur, ravi de son équipée, car on lui a montré les postes d'écoute boches à une cinquantaine de mètres. Nous avons, pendant le déjeuner, juste ce qu'il faut d'obus légers (77 et 80) pour donner le petit frisson agréable à notre charmant convive, qui rentre vers 14 h à son poste.

 

Le temps se gâte bientôt. La pluie commence à tomber.

 

20 h 30 - VIDAILLET et le petit Caporal ANTIER participent à un coup de main tenté par le 264e dans son secteur sur le saillant Z. Ils ne trouvent personne dans le champignon, prennent un créneau de fer et s'en retournent sans incident.

 

Je me couche et je suis longtemps avant de m'endormir. Vers 3 h du matin il me pleut sur la figure, ce qui me réveille. PUPIN et GUILBAUD m'installent une toile de tente qui me permet de continuer ma nuit.

 

* 25 avril 1915

 

Réveil sous la pluie. La tranchée est ignoble.

 

Relève à 8 h. Toilette en arrivant. La pluie a cessé. Le soleil reparaît. Nous retrouvons le Dr BARTHEZ toujours gai et charmant. Repas en commun. J'ai deux lettres de Marthe dont une accompagnée d'un imprimé Association Obligation Chemin de Fer, dont je suis membre.

 

Rien de saillant pour le reste du jour. Je reçois de Marthe un pâté foie de porc que nous dégustons au repas du soir.

 

* 26 avril 1915

 

Journée superbe. Je vais, avant déjeuner et après, me promener au Parc d'OFFEMONT. Le secteur est calme.

 

Je reçois vers 17 h, un gâteau de Marthe. A 18 h, le Dr LAFERRIERE, BRETINEAU, PERON et le Dr VILLAINE, reviennent d'une promenade à cheval. L'infirmerie prépare du thé et nous faisons honneur au gâteau, vraiment exquis. Un planton du Lieutenant-Colonel m'apporte un ordre de reconnaissance avec thème tactique pour demain matin.

 

Je fais la grimace, car ce matin j'avais passé le mot à « FLOCH pour qu'il réserve la réjouissance à un autre...

 

19 h - Diner. Pendant le repas, un planton arrive portant un nouvel ordre adressé à BILLAUD... et annulant celui qui m'était parvenu. J'en suis fort aise.

 

Coucher à 21 h 30.

 

* 27 avril 1915

 

Le beau temps continue. BILLAUD est allé faire sa reconnaissance en compagnie de PUPIN. Je passe une revue et je constate un gros manquant de cartouches. Je fais compléter avec des approvisionnements d'évacués (infirmerie) et un prêt de la 22e.

 

* Forte canonnade à droite toute la matinée. Interruption à midi, reprise à 14 heures.

 

 

16 h - Deux lettres de Marthe avec force détails intéressants.

 

Fin de journée sans incident notable.

 

21 h 30 - Coucher tandis que la canonnade fait rage.

 

* 28 avril 1915

 

Je passe une bonne nuit. A 5 h, je suis réveillé par notre artillerie. Ca tape ferme à notre droite. Je me lève à 7 h 30. Le temps est splendide et chaud.

 

9 h - Distribution de képis neufs et de chaussures. Les Poilus, comme des gosses, s'affairent autour du fourrier.

 

Calme complet l'après-midi. Le Dr LAFERRIERE vient nous rejoindre vers 15 h. On joue au poker, puis on prend le thé. Je le raccompagne à mi-chemin de son poste, avec PUPIN et le Dr DUPONT qui, pour quelques jours, remplace le Dr BARTHEZ aux carrières. DUPONT est venu se reposer un peu.

 

Le séjour continu aux tranchées de 2e ligne lui avait donné le "cafard". Le Commandant MOREAU en est un peu atteint aussi, paraît-il et moi-même ces jours-ci... mais c'est passé maintenant.

 

Reçu lettre d'Henri m'annonçant qu'il aura une permission du 16 au 21 mai. Veinard 1 Rien de pareil pour nous.

 

Il n'est question de rien de semblable dans notre Armée. Du reste, un tour serait établi qui ne nous permettrait de partir (si l'on lâche un seul Officier par Régiment à la fois, comme c'est probable) qu'après le Colonel, le Commandant MOREAU, le Dr LAFERRIERE, le Dr DUPONT, LE ROY, MARNARD et peut-être quelques autres qui m'ont devancé sur le front de quelques jours.

 

21 h - Coucher. Nous remontons demain aux tranchées (2ème ligne).

 

Je suis troublé au moment où je commence à m'endormir, par des braillards voisins qui chantent à tue-tête et se chamaillent. L'un est une sorte de ténor, á la voix prétentieuse et fausse. Je m'efforce à la patience, mais vers 22 h 30, furieux, je me lève et vais mettre le holà. C'est un des vaguemestres et deux Sergents plus quelques moindres comparses, qui s'abreuvent de vin blanc. Je punis le vaguemestre, gradé le plus ancien, j'ordonne le silence et je rentre chez moi, mais je suis longtemps à m'endormir.

 

* 29 avril 1915

 

Relève à 7 h. Je m'arrête chez le Dr LAFERRIERE, le Lieutenant-Colonel m'appelle et me demande, comme un service, de lui trouver, car je suis “le plus débrouillard", 6000 cartouches pour la 24e qui n'avait pas signalé ce manquement au moment où on a fait le ravitaillement ces jours-ci. J'envoie PUPIN à TRACY avec des Poilus. Grâce à l'amabilité des Zouaves, la corvée trouve bientôt 4000 cartouches abandonnées dans divers cantonnements.

 

Je trouve aux tranchées, le Commandant MOREAU, tout guilleret car il va aller se reposer 48 heures à St-CREPIN. Ça lui était bien dû.

 

Le temps est admirable, presque trop chaud.

 

15 h - Arrosage de 77 percutants qui tombent à moins de 10 m de mon poste. Mauvaise camelote. Les Poilus sourient, méprisants.

 

* 30 avril 1915

 

J'ai passé une excellente nuit. Il fait un temps idéal, presque d'été. Active circulation d'avions aussitôt canonnés sans résultat d'ailleurs.

 

Je passe une partie de la matinée au poste du chef de Bataillon avec le Capitaine d'AVRIL (cavalier d'active versé dans l'Infanterie et navré de cette "déchéance"). Charmant homme, 46 ans.

 

15 h 30 - On m'avise que deux couronnes commandées à Compiègne pour JAOUEN viennent d'arriver. BILLAUD, PUPIN, et moi, allons les placer sur la tombe dans le petit cimetière situé un peu en arrière de la tranchée de 2ème ligne.

 

15 h 25 - Nous rentrons. Les Boches nous envoient leur camelote habituelle.

 

Coucher dans le calme complet.

 

* 1er mai 1915

 

7 h 30 - Le Colonel NIESSEL passe dans les tranchées, très aimable.

 

8 h - Je monte en 1ère ligne où je le retrouve. Longue inspection.

 

11 h - Le Lieutenant-Colonel me demande par téléphone si je veux prendre deux jours de repos à St-CREPIN à ma descente prochaine aux carrières, je ne suis plus fatigué et puis St-CREPIN ou les carrières n'est-ce pas à peu près la même chose ? Je réserve ma réponse.

 

Vu MAQUARD au 5e Bataillon : il est vautré sur son lit de camp : il a le cafard. Je le réconforte. Il me rend une visite dans l'après-midi : il va mieux. FARIGOUL l'accompagne et RIBOT fait une apparition.

 

15 h - Forte canonnade de 77, sans effet.

 

Fin de séjour tranquille. Bonnes lettres de Marthe et de Léon.

 

Je me couche à 21 h 30, une 1/2 heure plus tard, on vient me chercher de la part du Commandant PICARD qui commande le Bataillon voisin (gauche) du 264. Je vais le rejoindre. Il m'annonce qu'une patrouille lancée vers le champignon Z (ou ce qui en reste, entonnoir énorme) a été accueillie par des salves, et qu'on a cru voir des travailleurs établissant un nouveau boyau sans déblai et un saillant vers notre ligne. Entente, fusées, feux de salve. Je me recouche.

 

* 2 mai 1915

 

Après toilette, inspection de tranchée. Le Colonel NIESSEL est annoncé, venant se rendre compte de la découverte. En allant le rejoindre au 264, je m'arrête dans un observatoire et j'inspecte avec un périscope qui est instantanément traversé par une balle : il pourra encore servir. Je trouve le Colonel avec le Lieutenant-Colonel LAPPARAT commandant le 264, le Commandant PICARD et d'autres Officiers. Nouvel examen : le boyau paraît être seulement un chemin destiné aux patrouilleurs ennemis.

 

Temps doux, légèrement couvert.

 

Je vais dire bonjour à MAQUART et à RIBOT et je reste avec eux, en compagnie de BILLARD, jusqu'au déjeuner. Quelques obus à gauche, notamment sur le boyau G ou des hommes du 264 sont blessés. Puis, calme.

 

Rien de saillant pour le reste du jour. Je reçois 2 bonnes lettres de Marthe et 2 autres aussi affectueuses qu'intéressantes de MOLGAT et de BRAUD.

 

22 h 30 - Une patrouille de 5 Poilus (LE PLAIN, BONNO, ANTIER, BLANCHARD et MARBAC) rentre après avoir passé une heure dans l'entonnoir du champignon 0, le dernier a 25 m de diamètre sur 5 m de profondeur. La patrouille a rapporté une étiquette en langue boche et un fusil encore armé de sa baïonnette quillon cassé par balle, tout rouillé ; c'est un fusil français, abandonné là sans doute depuis les assauts de décembre.

 

* 3 mai 1915

 

Réveil à 6 h. Canonnade formidable au Nord. Temps frais. Relève. Le Dr LAFERRIERE vient nous voir au moment du départ, puis arrive le Commandant MOREAU, enfin le Lieutenant-Colonel. Et on annonce le Colonel NIESSEL. C'est le moment de se défiler. LAFERIERE, BILLAUD et moi nous nous arrêtons au poste du Dr BARTHEZ (Zème ligne) puis nous allons en classe chez le Lieutenant-Colonel, "Kriegspiel", de 9 h 30 à 10 h 30. Leçon nette, élégante et bienveillante de notre cher Patron.

 

Journée de farniente. Je vais au Parc où je vois BESSE, puis le Colonel NIESSEL qui m'avait demandé le matin en venant à la 1ère ligne. C'était pour avoir des détails sur une patrouille. Il se montre très cordial.

 

Petit poker à 16 h avec LAFERRIERE, DUPONT, BILLAUD et le petit BOURQUARD qui, depuis qu'on l'a affecté à une ambulance de l'arrière, saisit toutes les occasions possibles pour revenir nous voir.

 

Coucher à 21 h. Il pleut.

 

* 4 mai 1915

 

Matinée superbe. Je suis invité à déjeuner par le Colonel PLUYETTE.

 

A 11 h, le Dr LAFERRIERE, qui vient de terminer sa visite médicale à la carrière, passe me prendre et nous partons ensemble. Je trouve notre Colonel toujours accueillant et bienveillant. Les deux autres convives sont FLOCH et GRAVRAUD, aussi silencieux qu'à l'habitude. Repas très gai, d'intimité cordiale. Conversation intéressante sur des sujets très divers. Le Colonel et LAFERRIERE sont des hommes d'une culture vraiment supérieure et d'une éducation raffinée. Le Colonel est très "vieille France", chic, courtois, spirituel et profondément bon. Nous avons pour lui la plus affectueuse admiration.

 

15 h 45 - Je rentre après un court orage.

 

Le Dr revient avec moi à la carrière, il vague à ses occupations puis vient me rejoindre dans notre salle de réunion. Poker. Puis, BILLAUD et moi le raccompagnons â mi- chemin de son gîte.

 

J'ai proposé VIDAILLET pour Adjudant-Chef, BLANLOEIL pour Adjudant, FICHER et d'autres pour Sergents, GUILBARD, JEFFROY et COLLINO pour Caporaux. Les 3 derniers sont nos hommes de liaison depuis des mois, braves garçons dévoués, heureux de cette proposition.

 

Coucher à l'heure habituelle.

 

* 5 mai 1915

 

Matinée d'abord ensoleillée, puis nuages et enfin pluie. Désœuvrement. Je feuillette un volume de la Revue des deux Mondes, vieux près de 3 ans, ses articles de documentation précise et abondante sur des sujets insignifiants, me rasent. J'attends le déjeuner, puis, j'attendrai le diner.

 

A 15 h, le Commandant MOREAU et LAFERRIERE viennent me retrouver : bridge que je contemple sans y participer.

 

21 h 30 - Coucher.

* 6 mai 1915

 

Journée orageuse, ciel noir. A 9 h, je vais avec BILLAUD et GALERNE au poste du Lieutenant-Colonel pour le "KRIEGSPIEL". Le grand chef a été appelé dans les tranchées par le Brigadier, la séance n'aura pas lieu. Retour aux carrières. Une douzaine de fusants éclatent sur notre gauche, en arrière, à 200 m. Ce sont des 77, miteux, foireux, lamentables.

 

Correspondance ou lecture en attendant le déjeuner.

 

11 h - Pluie diluvienne, mais courte. Le ciel demeure menaçant. Les tranchées doivent être infectes.

 

16 h - Poker avec les Docteurs.

 

Fin de journée tranquille. Coucher à 22 h 45, conversation prolongée gaiement avec mes commensaux habituels.

 

* 7 mai 1915

 

Relève à 7 h vers la 2ème ligne. Je salue LAFERRIERE chez lui au passage.

 

Temps menaçant. Gros orage en préparation. Ciel noir. Commencement de pluie, éclairs, tonnerre à 13 h. Puis, ça passe.

 

Je vais voir le Commandant MOREAU vers 15 h et demeure avec lui jusqu'au diner. Il est toujours déprimé par son éternel isolement. Je réussis à l'égayer.

 

* 8 mai 1915

 

Nuit assez mauvaise à cause des souris qui ont envahi nos abris et qui circulent assez bruyamment à hauteur de nos visages. C'est fort désagréable.

 

Vers 8 h, je vois le Lieutenant-Colonel qui me propose à nouveau de passer deux jours à St-CREPIN. Je réponds que comme repos ce serait illusoire et comme distraction insuffisant. Il me dit alors qu'on pourra peut-être autoriser des fugues dans l'après-midi à COMPIEGNE.

 

Cela permettrait des emplettes utiles.

 

Temps toujours incertain. Je dors une heure dans l'après- midi.

 

Lettre de GARDAHAUT demandant intervention auprès de Préfet de VANNES pour Bureau de tabac.

 

* 9 mai 1915

 

Belle matinée mais vent frais. Relève vers la 1ère ligne. Visite du Commandant MOREAU et du Lieutenant-Colonel.

 

14 h - Je vais voir BRETINEAU au 5e Bataillon. Il apprend la mandoline. PIRON, le gosse, migraineux, est couché dans sa "cagna".

 

Légère effervescence à la suite d'un avis annonçant important mouvement de troupes sur le front. Veillée sévère des Chefs de Section.

 

* 10 mai 1915

 

Temps splendide après matinée fraîche. La campagne est d'un vert intense et merveilleux. C'est une transformation complète qui s'est opérée en quelques jours. Inspection de toutes les huiles.

 

Après-midi chaude. Bombardement sur nos lignes principalement sur la tranchée de soutien, occupée par une section de réserve (2e).

 

18 h - Bombes sur le secteur. Un téléphoniste blessé.

 

20 h 30 - Subit et violent bombardement, obus dans un boyau. Nous sortons. Alerte. Poilus gais et résolus. Au bout de 10 minutes, calme. Fusées. Je me couche tout équipé.

 

* 11 mai 1915

 

0 h 15 - Reprise du bombardement. Je sors ; obus encore sur mon boyau, je reçois de la terre sur mon képi.

 

Je passe le reste de la nuit dans la tranchée, causant avec les Poilus.

 

3 h 15 - Le jour point. Nous attendons une attaque. Rien.

 

Je m'étends un peu, mais ne peux dormir, dérangé que je suis à tout instant.

 

8 h 15 - Relève par la 24e. Descente aux carrières. Journée d'été, campagne adorable et verdure.

 

15 h - Deux lettres exquises de ma chère Marthe et deux colis : tripes et cigares, qui m'ont fait grand plaisir, bien que le service organisé par le Lieutenant-Colonel sur COMPIEGNE, nous permette de nous procurer pas mal de choses.

 

Le Régiment a reçu aujourd'hui 200 hommes : j'en touche 20 pour ma part, plus un Aspirant PLISSON, instituteur de 23 ans. La plupart de mes nouveaux Poilus sont des gosses de 20 à 22 ans, déjà évacués du front pour blessure ou maladie.

 

A propos des congés, le bruit court qu'ils vont être supprimés par ordre du généralissime. Je redoute pour Jeanne, Henri et nos parents cette dure déconvenue. La mesure serait rapportée sur réclamation de soldats ou Sous-Officiers forcément écartés de ce bénéfice, vu leur nombre...

 

Mes Poilus m'ont rapporté 4 magnifiques bouquets de lilas et de muguet. L'attention est touchante.

Fin de journée tranquille. Poker avec le Dr LAFERRIERE que BILLAUD, PUPIN, BARTHEZ et moi raccompagnons à mi-chemin de son poste.

 

Coucher à 21 h 30. Vers 2 h 30, je suis réveillé par un message téléphonique de la Brigade enjoignant un redoublement de surveillance. Cela s'applique évidemment aux 1ères lignes. Qu'y a-t-il de nouveau ?

 

* 12 mai 1915

 

Matinée splendide. Arrosage de marmites sur les carrières.

 

Poker de 17 à 19 h. LAFERRIERE, BRETINEAU et LE ROY, que j'ai invités à diner, apparaissent. Repas très cordial, rappel des souvenirs communs, critiques aussi, car, hélas, les évènements, certains du moins, n'y prêtant que trop : nous apprenons qu'HABRIOUX, le franc-tireur, le pilier du dépôt de VANNES est passé Capitaine, tandis que MAQUARD, au tableau avant la guerre et qui a fait toute la campagne, attend toujours son 5e galon !!!

 

Coucher à 22 h.

 

* 13 mai 1915

 

Excellente nuit. Temps couvert. A 10 h 45, je suis avisé qu'il y a ”Kriegspiel" chez le Dr Colonel. Je me mets en marche, à mi-chemin rafale d'artillerie qui tombe à 30 m, en arrière de moi. Je presse le pas : nouvelle rafale. Je passe à côté d'un cheval tué ce matin par obus, tandis que son cavalier était blessé (Margis d'arti1lerie). J'arrive chez le Lieutenant-Colonel : peu d'officiers. Courte séance. A 10 h 45, retour. Je prends le boyau, prudence.

 

Le temps devient incertain : vent frais.

 

14 h - Il commence à pleuvoir.

 

16 h - Poker habituel. Je perds 3,50 F. C'est la première fois que j'atteins ce chiffre.

 

18 h 30 - BILLAUD, BARTHEZ et moi raccompagnons LAFERRIERE à qui j'ai raconté mon aventure du matin. En route, je fais la bête, conseillant la marche rampante. Arrivés presque au même point où j'avais été salvé, j'en avise mes compagnons, souriants et tranquilles. Mais tout à coup, sifflement caractéristique : les toubibs se couchent, BILLAUD baisse la tête. La marmite éclate à 50 m en avant et les éclats passent au-dessus de nos têtes. Mouvement rétrograde. 2ème marmite. BARTHEZ, sans pudeur, montre des qualités de coureur que je ne lui soupçonnais pas, suivi de LAFERRIERE. Je me tords devant le spectacle. Je rejoins le groupe et décide LAFERRIERE à user du boyau. Il se fait accompagner par un infirmier et je rentre avec les autres. Je bloque BARTHEZ et tandis que nous plaisantons dans la salle de réunion, je vois entrer le Colonel NIESSEL, le Général NIVEL, Commandant la Division et un Officier de Marine.

 

C'est moi que l'on vient voir !!! Il paraît que l'Etat-Major général se préoccupe de ma santé.

 

Je suis désorienté, ne sachant ce que cela veut dire. Je rassure les grands Chefs, très aimables et je les raccompagne jusqu'au Parc d'OFFEMONT. Qu'est-ce que ceci veut dire ?

 

Diner et coucher à l'heure habituelle. Il pleut un peu.

 

* 14 mai 1915

 

Matinée fraiche. Je vois LAFERRIERE qui a été avisé ainsi que le Lieutenant-Colonel de la demande de renseignements me concernant. Je le raccompagne vers 11 h 30, avec BARTHEZ, PUPIN et BILLAUD. Nous ne sommes pas canonnés. Je dis cependant carrément ma profonde pensée sur l'imprudence commise si inutilement en passant sur un chemin sans cesse arrosé et le Docteur avoue que seul un amour-propre ridicule lui fait négliger quotidiennement le boyau. Je riposte que son prestige a subi hier une plus rude atteinte d'abord par son plaquage à terre et ensuite par son footing ultra-rapide à la suite de BARTHEZ. Il en convient volontiers.

 

Au déjeuner, PUPIN nous annonce en mystère un projet d'attaque de tranchée sur notre front. Ce serait pour très bientôt. Le Colonel NIESSEL se résigne mal à l'inaction. Il voudrait ses trois lignes de communiqué : "A TRACY, nous avons progressé de 17 centimètres, en faisant 6 prisonniers". Le tout, au prix de 150 ou 200 des nôtres, ce qui n'est vraiment pas acheter trop cher les étoiles de Brigadier. Je suis déçu, car je le croyais tout autre. Et il ne peut raisonnablement pas s'illusionner sur la portée d'une opération restreinte en ce moment et dans le secteur que nous occupons. Elle sera aussi utile que celle entreprise en décembre dans le secteur voisin. Enfin, il est probable (et j'ai compris à quelques conversations) que l'on demandera plus tard quelques comptes à ces gaillards qui, n'ayant rien prévu, font actuellement la "Marche à l'Etoile" sans risque personnel. Car ils n'ont rien prévu !

N'ayant pas compris TCHALTALDJA, bouchon définitif à la victorieuse ruée bulgare, ils s'obstinent à rêver d'impossibles aventures guerrières où pourrait enfin briller leur stratégie consacrée par "Feue l'Ecole de Guerre” !

 

Et quand on pense è ce qu'aurait été la situation si l'on avait simplement chargé de la direction des opérations un modeste entrepreneur de bâtisses ! Il aurait prosaïquement bordé la frontière de plusieurs lignes de tranchées et nous nous payerions la tête de l'ennemi impuissant !

 

Mais ce n'était pas assez compliqué !

 

14 h - Alerte à l'occasion d'un tir de concentration sur le secteur de gauche de 17 h 30 è 19 h. Canonnade formidable.

Nous dinons tranquillement.

 

21 h 30 - Coucher. Demain, relève vers la 2ème ligne à 6 h.

 

* 15 mai 1915

 

Relève sans incident par le boyau. C'est long, mais sûr.

 

Journée tranquille. A 17 h, arrivée de 11 hommes de renfort, conduit par le Sergent LE PENE qui me revient, apportant un gâteau don de MOLGAT. Il m'annonce la mort de DUSSAND, tué en ARGONNE le 26 avril, 10 jours après son arrivée sur le front. Coucher à 21 h 30.

 

* 16 mai 1915

 

Encore une des dates fixées par les devins pour la terminaison de la guerre I Matinée splendide, vive canonnade. Une corvée descend de la 1ère ligne 2 "seaux à charbon" gros "minen", bourrés de cheddite et non explosés.

 

C'est le Capitaine d'AVRIL qui fait fonctions de Chef de Bataillon aujourd'hui. Le Commandant MOREAU remplace le Lieutenant-Colonel qui est allé passer la journée à COMPIEGNE. Ce sera pour notre grand Chef, une détente bien nécessaire.

 

Calme tout le jour. Diner à 19 h 30. Vers 20 h, on m'avise que 5 de mes hommes sont blessés. Sergents OLIVERES et BLANLOEIL, Caporal GUILLOTIN, Soldats David et COVEC, heureusement sans gravité. Imprudence de MARBAC qui a lancé vers eux une fusée de 150 non éclatée gui, en explosent,

les a criblés de débris.

 

A peine suis-je chez le Commandant MOREAU pour le renseigner, que nous entendons les explosions successives de 3 "seaux à charbon", en 1ère ligne.

 

Je me couche vers 23 h 15 après assurance de DUPONT que mes blessés s'en tireront. Je suis longtemps avant de m'endormir ; j'entends encore 2 “seaux à charbon".

 

* 17 mai 1915

 

Réveil à 6 h. Relève à 7 h vers la 1ère ligne. Il pleut à verse. Boue épaisse. PATTE m'apprend que 3 des 5 "minen", d'hier soir ont été lancés par le 264.

 

Visite du Commandant MOREAU, puis du Lieutenant-Colonel. Ce dernier a passé, seul à COMPIEGNE, hier, une journée assez terne. Je ferai probablement le voyage avec LAFERRIERE, nous irons à cheval, le lendemain de mon prochain retour aux carrières (le 20 sans doute). Ce sera une bonne diversion... à moins que l'étincelant et innombrable troupeau des tire-au-flanc galonnés de l'arrière ne me fasse prendre quelque belle colère ! Il y a, paraît-il, là- bas de nombreuses élégantes qui donnent patriotiquement leur tendresse à cette phalange de héros. Cela est connu et toléré : c'est donc juste et moral. Mais il serait évidemment monstrueux qu'un pouilleux de tranchées qui n'a pas vu de femme depuis de longs mois osât solliciter quelques heures de réunion avec elles dans cette même ville où s'affichent des unions aussi illégitimes qu'éphémères... Allons ! J'ai un peu de cafard : fatigue et aussi, chagrin de l'accident d'hier, mes pauvres gars, si braves, si dévoués !

 

La matinée passe sous la pluie.

 

Heureusement qu'un peu de soleil fera vite disparaître l'odieuse boue !

 

BILLAUD m'avait raconté, il y a 3 semaines que la vieille bonne de son confrère Vannetais de KEYSER, avait prédit plusieurs évènements dont sa propre mort qui s'est produite au jour indiqué et qu'elle avait annoncé la fin de la guerre pour le 17 mai : le 17 mai se passe, la paix ne revient pas !

 

Je vais faire des pronostics, pour le moins certain. J'établis d'abord une base : la situation militaire est sans issue. Avec les armements modernes et les voies ferrées ou autos, le front est inviolable, car le point choisi pour le choc n'est pas indéfiniment extensible et les unités de manœuvre ont toujours le temps de venir secourir les troupes de résistance retranchées. Et alors, ou bien l'Europe est irrémédiablement folle et va continuer la lutte impossible jusqu’à l'épuisement total sans autre résultat que des deuils plus nombreux et une misère plus grande, ou bien une lueur de bon sens grandira dans l'âme des dirigeants et leur fera chercher la solution rapide qui ne nous donnerait peut être pas toutes les réalisations déjà escomptées par une presse imbécile, mais qui nous rendrait les territoires envahis, les provinces perdues, sans indemnité, mais moyennant au contraire la cession de quelques colonies lointaines dont notre lamentable sous-natalité ne nous permettra jamais la moindre utilisation. C'est la seconde de ces solutions que j'ai la faiblesse de préférer.

 

Et puis, moi j'ai le droit de me tromper, car j'ai huit mois de tranchées sur le râble…

 

La pluie s'arrête après le déjeuner, mais le temps demeure incertain. Il repleuvra, hélas !

 

Fin de journée grise, pluvieuse. Bombardement sur ma tranchée, parapet esquinté en un point, pendant que j'étais allé voir BRETINEAU au 5e Bataillon.

 

Après le diner, je fais installer des toiles de tente au-dessus de ma couchette par mes hommes de liaison, en prévision de la pluie.

 

J'ai eu 2 lettres de Marthe qui, dans l'une et à propos du projet de voyage à COMPIEGNE aborde, en un effleurement rapide et net, la question des distractions irrégulières... Si j'ai bien compris mes erreurs me sont remises d'avance. Connaissant ma chère petite bonne femme, je comprends tout ce qu'il y a sous ces quelques notes, à quoi bon préciser puisque ce journal lui est destiné, tout ce que j'ai deviné sous cet apparent détachement ! Allons, en récompense, je peux bien :

 

1) avouer que depuis notre séparation à QUIMPER, j'ai été le modèle de toutes les vertus,

 

2) déclarer que je n'y ai eu aucun mérite car, outre que je n'ai jamais été tenté, j'aurais eu, je crois, des scrupules å abuser d'une confiance que je sais entière ;... surtout maintenant où, depuis des mois, je suis la préoccupation constante et angoissée du bon petit, là-bas !

 

Donc, si le temps le permet, j'irai à COMPIEGNE, avec LAFERRIERE, nous déjeunerons à "La Cloche", nous ferons quelques emplettes, nous prendrons un book dans un café, comme de grands garçons et nous reviendrons au devoir.

 

Coucher à 22 h.

* 18 mai 1915

 

Nuit calme. Il a plu et le temps demeure incertain.

 

Le Commandant MOREAU, puis le Lieutenant-Colonel viennent inspecter la tranchée. Nous ne voyons pas le Brigadier et c'est étonnant car il est bien rare qu'il demeure deux jours sans visiter les 3 secteurs de sa Brigade. C'est un homme épatant, un Chef : science, coup d'œil, énergie, il a tout ... sauf l'occasion, ici, pour se mettre en vedette et cette occasion, je crois qu'il s'efforce de la faire naître. Or, l'opportunité d'une aventure, ici et en ce moment, est au moins contestable. Et je ne suis pas seul de mon avis.

 

Après le déjeuner, je reste seul dans mon abri, à écrire ces notes et à rêvasser. La tranchée, trop boueuse, ne porte guère à la promenade et je passe ainsi des heures, monotones mais exempte d'ennui. Peut-être irai-je tout à l'heure au 5e Bataillon, dire bonjour à MAQUARD et à RIBOT. J'espère que, comme hier, la canonnade de mon secteur ne m'obligera pas à rentrer au trot.

 

Journée calme. Je vais au 5e Bataillon et trouve grande conférence chez MAQUARD pour la préparation d'un coup de main sur un poste allemand, en face : ordre du Brigadier. Même opération au 264 sur le champignon Z. C'est l'agitation qui commence. Nous entreprenons en même temps des travaux offensifs qui entraîneront fatalement des aventures violentes.

 

Je rentre à mon poste pour diner. Dès le début du repas, violente canonnade sur ma tranchée. Je sors aussitôt au trot avec VIDAILLET et CHRETIEN. Les obus ont éclaté un peu en arrière, sans dégât. Je retourne, mais un nouvel obus frappe le parapet au-dessus de ma tête et me couvre de terre.

 

Dès la tombée de la nuit, mes hommes travaillent à des sapes multiples (boyaux ras) et aussi au débridement de l'ent0nnoir creusé par une de nos mines sur l'emplacement d'un poste d'écoute ennemi.

 

Tout se passe bien.

 

23 h - On annonce l'arrivée en 1ère ligne du Lieutenant-Colonel pour la surprise de cette nuit. Pendant que j'écrivais, il est arrivé, toujours bienveillant. Je l'ai accompagné un bout de chemin dans la nuit noire des boyaux. Puis je suis rentré. Attente. Bombardement, un de mes hommes est gravement blessé en sentinelle. J'apprends par téléphone vers 1 h que l'expédition de RIBOT, malgré la faible distance, s'est désorientée et qu'elle doit recommencer l'opération. Je me couche, lampe allumée, mais je suis réveillé à tout instant pour motifs de service.

 

* 19 mai 1915

 

Et en dernier lieu, à 4 h du matin par un Poilu de MAQUARD qui me rapporte une lampe électrique prêtée pour la circonstance.

 

A 6 h, préparatifs de la relève. Rapports divers, sempiternelles paperasses, qui se multiplient lamentablement chaque jour. Un seul rapport s'établit avec une certaine satisfaction assaisonnée d'ironie : c'est l'état journalier des observations d'artillerie sur le secteur : nombre, nature, origine, point de chute des projectiles reçus, heure exacte des constatations. Pour 100 à 200 obus reçus, en moyenne (et c'est souvent dépassé !) un seul observateur, fantassins, pour un front de 600 mètres voudrait-il accomplir honnêtement sa mission qu'il ne le pourrait matériellement pas ! Il se résigne au bout de peu de temps à établir un état fantaisiste et je me roule en songeant rétrospectivement au truquage quasi officiel des statistiques judiciaires ! Personne n'est dupe mais le rite est accompli ; c'est ce qu'il faut.

 

Journée tranquille aux carrières, après la relève à l'heure habituelle. Je suis fatigué de ma nuit à peu près blanche. J'essaie de dormir dans ma chambre sans y parvenir à cause de la stridence de nos camions proches. LAFERIERE vient me voir et, me voyant atone, s'efforce de me ragaillardir. Il me fait préparer une demande de permission de 24 heures pour CØMPIEGNE après-demain. Petit poker. Je n'ai pas faim, je mange à peine et me couche à 21 h.

 

* 20 mai 1915

 

Fatigué. Je reste couché toute la matinée. Visites multiples et affectueuses. LAFERRIERE survient avec

BARTHEZ : il me propose un repos de 15 jours à COMPIEGNE. J'accepte, car j'en ai besoin. Dépression nerveuse, fatigue réelle, manque d'appétit.

 

Journée calme dans la salle de réunions. Poker avec les Docteurs.

 

Je raccompagne LAFERIERE afin d'aller saluer le Lieutenant-Colonel qui se montre très cordial. Je vois aussi LE ROY.

 

Coucher à 21 h 30.

 

* 21 mai 1915

 

Je pars d'OFFEMONT, en auto, avec tous mes bagages, embarqué par BILLAUT et par BOURQUARD, CARO et QUINIOU portent et installent mes bagages.

 

Station à St-CREPIN de 11 h à 15 h. Déjeuner au groupe des brancardiers où je connais plusieurs médecins auxiliaires de la Division. Il y a en plus quelques Officiers instructeurs au Peloton et 3 aumôniers. Gai et charmant milieu. Je mange un peu.

 

15 h - Une auto vient me prendre pour m'emmener à COMPIEGNE, mais avant, j'ai pu Voir mes Poilus du Peloton, Sergents LE PLAIN et GIRAUD, Caporaux GUILLEMOT et BLANCHARD qui viennent me dire bonjour avec une affection touchante. Je vois aussi 4 de mes blessés : BLANLOEIL, GUILLOTIN, COVER et DENIS. OLIVERES est à COMPIEGNE. Quant à BLOINS, le blessé de l'autre nuit, il est mort en arrivant à St-CREPIN.

 

Route admirable par la forêt. Quelle caresse pour l'œil que tout ce vert somptueux ! Quel repos J Quelle force sereine I

 

Rapide arrivée. Je trouve au Palais le Médecin Chef dont le visage énergique et fin ne m'est pas inconnu. Explications : c'est M. le STUNF médecin légiste de QUIMPERLE. Il me prend dans son service personnel au Collège. J'entends nommer tout auprès, le Dr BILLAUD, qui est le cousin germain de mon Lieutenant à qui il ressemble. Curieuses rencontres !

 

On apporte 2 blessés graves, un tirailleur et un enfant de 20 ans, au visage délicat et pur, du 417e ; il est atteint â la poitrine et aux mains.

 

Je m'étais approché pour l'interroger, mais un regard et un geste du Docteur me font comprendre qu'il faut éviter tout effort à ce pauvre gosse et je m'éloigne navré. Je pars aussitôt après pour le Collège proche.

 

Placé d'abord dans une chambre où se trouvent déjà 2 Officiers, je me disposais à me coucher lorsque le Dr LE STUNF apparaît et indique une chambre voisine où je serais seul. Je me couche et retrouver la sensation du lit moelleux, blanc et chaud, est pour moi un délice. Prise de température : 37°8. Fatigue, dépression, un peu de bronchite.

 

De lui-même, le Dr LE STUNF me parle de ma famille et me dit qu'il autorisera ma femme à venir me voir.

 

* 22 mai 1915

 

Je passe ma nuit très tranquillement. Bon sommeil. Réveil à 6 h 30. Légère purgation, café au lait. Je n'ai pas de fièvre. Diète et repos ordonnés par le Docteur qui me remet une autorisation de visite pour Marthe. Je reçois vers 11 h, la visite très affectueuse de LAFERIERE. Je ne mange pas et n'ai pas faim. Journaux, farniente. Bain dans l'après-midi après une 2e visite de LAFERIERE. Friction à l'alcool camphré. Piqûre de strychnine. J'ai un peu de température. Visite du Dr le STUNF. Je reçois la visite du Principal du Collège, suivi de son Epouse. Tous deux d'un certain âge, elle, ancienne belle, lui solennel et falot, braves gens certainement, mais c… comme la lune.

 

A 19 h, je dine et ma foi, je mange avec assez d'appétit.

 

Je passe une bonne nuit.

 

* 23 mai 1915

 

Réveil à 6 h 30. Toilette, rince bouche à l'eau oxygénée. Visite du Docteur et de l'infirmière. J'ai 36°9. Prescription de repos absolu. Régime léger, demain, petite purgation. Je suis autorisé â me lever un peu, ce que je fais vers midi, après le déjeuner.

 

Je m'installe devant ma porte, sous le préau. Je suis rasé, habillé proprement et je respire l'air, déjà chaud, un air d'été véritable, avec volupté. Le calme de notre Collège est absolu. Au loin, la canonnade gronde sourdement, puissamment. Je suis engourdi de chaleur et me contente de ce plaisir animal.

 

A 16 h, je rentre dans ma chambre et je me couche.

Température : 37°.

 

Je dine vers 17 h 30, légèrement mais avec plaisir.

 

Melle CLAIRET, l'infirmière de la Croix Rouge m'apporte un exquis bouquet dans un obus en guise de vase.

 

Je lis un peu. Je réfléchis, la journée passe. Le temps est très chaud, orageux. Canonnade en tonnerre lointain.

 

A 21 h, comme tous les soirs, un infirmier vient mettre le bec de gaz en veilleuse. Je m'endors.

 

* 24 mai 1915

 

Excellente nuit. Température : 37°. Purgation légère, rince-bouche, Vichy tiède, piqûre au cacodylate. Le temps est radieux.

 

Vers 8 h 30, un de mes Poilus, un vieux territorial BILLY, qui avait une bronchite, vient me dire bonjour avant son départ pour le dépôt des éclopés où il passera encore une quinzaine. Nous rentrerons probablement ensemble â la Compagnie.

 

Vers 10 h, visite du Principal du Collège ; c'est le gendre d'André THEURIET. L'excellent homme ne m'annonce cela qu'à notre deuxième entrevue : il doit donc être modeste. En tout cas, il est serviable car il me procure un bouquin de René BAZIN "La Douce France", avec beaucoup d'images, tout

à fait ce qu'il me faut pour l'instant.

 

Je mange peu et sans appétit. Je suis atome. Le pouls très lent (52).

 

Il fait beau et chaud. Je reste à lire soit sous le préau, soit dans ma chambre.

 

A 14 h, un troupier, perruquier vient me couper les cheveux. Il est de JOCELYN et a connu un de mes Poilus, GICQUEL, passé aux téléphonistes, qui, blessé par obus aux Carrières, est venu mourir ici.

 

Je me couche à 16 h 30. Température : 37°. Je mange avec assez de plaisir, puis je m'endors.

 

* 25 mai 1915

 

Je passe une bonne nuit. Journée qui s'annonce splendide. Soins habituels. Température : 36°7. Le Dr le STUNF m'annonce que cet après-midi des huiles circuleront dans nos parages, notamment le Général René DELARUE, frère de mon ancien et regretté Brigadier. Il me conseille de ne pas sortir et de me coucher tôt. Je n'y manquerai pas.

 

Je suis toujours sans lettres et on dit que le retard apporté à la distribution des correspondances est général. A quoi riment ces petits moyens ? Nos lettres sont retenues au BOURGET 4 jours avant d'aller vers nos familles ; mais à COMPIEGNE et sans doute ailleurs, l'espionnage par TSF continue à renseigner l'ennemi. Je me lève pour ma toilette et pour le déjeuner. J'ai peu d'appétit. Je lis ensuite les journaux puis je reçois la visite de BOURQUARD, très aimable : il est venu avec mon cheval, rien de nouveau au Régiment.

 

Je me couche à 14 h 30. BOURQUARD s'en va.

 

A 16 h, visite du Général DELARUE qui se montre très cordial lorsqu’il sait que j'appartiens à l'ancienne Brigade de son frère. Je me relève dès son départ.

 

Vers la fin de l'après-midi, le Dr le STUNF me communique un télégramme de TARBES signé Dr CARRERE et demandant des nouvelles. Je ne m'explique pas cet affolement après une lettre très explicite et je regrette qu'on ait monté la tête à Marthe qui doit être dans une inquiétude terrible.

 

Je me couche à 21 h, après avoir pris le frais devant ma porte avec 2 éclopés et la famille du Principal.

 

* 26 mai 1915

 

Je passe une très mauvaise nuit : douleurs vives et continues dans les reins, les cuisses et les mollets. Je ne peux tenir en place. Enfin, le jour arrive, puis les soins, les frictions, etc... qui me calment. Température : 36°9.

 

10 h - Visite du Dr qui me prescrit encore le repos sans sortie, régime léger. Il me dit que c'est surtout l'estomac et l'intestin qui ne vont pas.

 

Au moment où j'achève de déjeuner, Marthe paraît, accompagnée du Docteur. Moment d'émotion. Elle me trouve maigre et fatigué. Elle va s'installer dans un hôtel voisin et revient. Causerie animée, décousue, mille sujets. LE TOLGUENNEC surgit apportant lettres de Marthe anciennes. Il repassera vers 15 h, pour prendre commissions pour le Régiment. Puis, c'est le Sergent CAILLET qui m'apporte ma solde. Il m'annonce que la réalisation des projets d'attaque sur notre front est imminente. Le Colonel NIESSEL a rappelé le Colonel LAPPARAT, nommé au commandement du 62e, pour la circonstance : le Colonel LAPPARAT, en visitant son ex-secteur, hier, a été tué par un obus ainsi que son Officier de liaison, un cavalier. Mauvais présage. Folie qu'une telle attaque, en un tel point si délicat ! Et pour quel résultat ! Le plateau des Loges vaut-il les lourds sacrifices qui sont consentis d'avance si légèrement ? Tant de réservistes, de territoriaux aux nombreuses familles sont au 316 ! De même pour les autres Régiments de la Brigade. Toujours la marche à l'Etoile. Quels criminels !

 

Pourvu qu'avec leur folie égoïste, ils ne compromettent pas notre ligne et la sécurité de Paris I Comment les a-t-on autorisés à tenter cette détestable aventure ?

 

Je dine légèrement, Marthe va en faire autant à 19 h et revient passer une heure avec moi.

 

Coucher à 21 h, après cercle devant les chambres avec mon voisin DURET, Sous-Lieutenant au 404, sa sœur qui est venue le soir et la famille BOIS (Principal).

 

* 27 mai 1915

 

Bruit de canonnade lointaine. Soins habituels, Marthe arrive vers 10 h. J'ai l'autorisation de sortir de midi à 16 h, Marthe va voir Mme BOIS pendant que je déjeune sans appétit. Puis, elle va déjeuner. Je la rejoins à l'hôtel un peu plus tard. Vers 15 h, nous rentrons à l'hôpital.

 

Correspondance. A 16 h, je me couche pour la visite médicale. Température 37°1, Puis, après le départ du Docteur, je me relève.

 

Ca canonne dur. Marthe va diner dès mon repas terminé puis revient pour ne s'en aller qu'à 20 h 30.

 

Je me couche aussitôt après.

 

* 28 mai 1915

 

Température 37°2. Le Dr me donne une nouvelle autorisation de sortie, Marthe, qui est venue à 9 h, s'en va à 11 h 30 à l'Hôtel où je la rejoins vers midi 15. A 14 h, je vais voir DLIVERES à l'hôpital ROCKFELLER installé dans un hôtel somptueux au commencement de la forêt. Le fameux CARREL en est le chirurgien. Je trouve OLIVERES couché, l'air assez fatigué, mais en bonne voie de guérison. Sa femme, qui l'a rejoint, survient, elle est fort jolie et élégante. J'y passe 20 minutes, puis je vais au Palais pour voir le Procureur : il est absent. Je laisse un mot â un scribe infatué qui se confond en amabilité dès qu'il sait ma qualité civile.

 

Je reviens à l'hôtel. Un bain demandé ne chauffant pas assez vite, je reviens au Collège. Vers 17 h, je vois arriver RIBOT évacué pour fatigue lui aussi. Il est écœuré de bien des choses...

 

Marthe est revenue. Pendant qu'elle est là, le Procureur, M. BRICARD arrive avec son chien. Mon collègue est un colosse de 40 à 45 ans, alerte et vigoureux. Il garde héroïquement le Parquet avec l'aide d'un substitut. Il veut que l'on fasse la guerre jusqu'au bout et une nouvelle campagne d'hiver ne l'effraye pas.

 

DUCRE est parti à midi. Il espère aller à ARCACHON où il fut hospitalisé déjà pour blessure.

 

RIBOT m'annonce que la manne des galons va se répandre sur les Officiers d'active du Régiment.

 

LE ROY est proposé pour Capitaine. Je m'en réjouis car c'est un garçon intelligent et plein de cœur. Mais GALERNE P MAQUARD surtout P Réservistes I Tache indélébile ! Bien entendu, il n'est question de rien pour moi et je m'en fous, car j'en ai soupé de la gloire. Le fardeau de la discipline se fait pour moi et de jour en jour de plus en plus insupportable.

 

Ce n'est pas là mon métier et il m'est dur, à 38 ans, d'être assujetti à une règle étroite, tyrannique et trop souvent déraisonnable, d'être sous la coupe absolue d'hommes en qui je me sens d'autres supériorités que celle du galon. Et aucune éclaircie à l'horizon !

 

21 h - Marthe partie, je me couche.

 

* 29 mai 1915

 

Excellente nuit. Matinée comme les précédentes. Marthe vient à 9 h. Elle a une conversation intéressante avec le Dr le STUNF, tandis qu'elle ressortait pour aller m'acheter du sucre.

 

Vers 10 h, arrivée de CARO qui m'apporte des nouvelles et aussi une capote de troupier. Le brave garçon est heureux et ému de me revoir.

 

Il va aller voir OLIVERES et passera au Palais à 2 h, pour prendre mes commissions. Je lui donne 5 F pour déjeuner.

 

Je déjeune sans appétit, puis Marthe va au Palace. Conversation avec RIBOT, pipe, puis vers midi 15 je vais rejoindre Marthe.

 

A 14 h, CARO revient. Marthe lui donne 20 F pour acheter quelque chose à son gosse (à moins que ce ne soit plus utile à sa femme). Il part ému et affectueux. Quel brave Poilu ! Je me fais préparer un bain que je prends à l'hôtel. Puis je vais au Parquet voir les Collègues. Je trouve le Substitut BRETON, condisciple de BRONARD à RENNES : il est du même âge, pas herculéen mais j'ai des hommes plus chétifs ! Le Proviseur arrive ; conversation cordiale. Je reviens auprès de Marthe, puis je rentre au Collège où elle me rejoint. Température : 37°1.

 

Diner, pas d'appétit. Eclipse de Marthe pour son repas. Elle me retrouve auprès de RIBOT couché et dont la femme pourra le rejoindre. Il est sans inquiétude sur son épouse débrouillarde, car au moment de la mobilisation, elle l'a suivi rejoignant VANNES de son poste d'enregistrement dans la Haute Loire, déguisée en homme...

 

* 30 mai 1915

 

Nuit excellente. Matinée comme tous les jours. Temps gris et frais.

 

Température : 37°1. Je me sens assez seul. Je déjeune péniblement d'un œuf. Je rejoins Marthe au Palace, puis je la précède au Parc du Château, qui est une merveille. Nous faisons le tour de l'enceinte dite Petit Parc puis je rentre et elle me rejoint.

 

Je suis fatigué. Température 37°9.

 

Nous allons voir RIBOT alité et causons longuement avec lui. Il nous apprend que ce farceur de CORNULIER-LUCINIERE qui a 17 jours de campagne effective est proposé pour Capitaine : à 28 ans ! Ce que c'est d'être fils et neveu d'Archevêque !

 

Il y a eu quelques évacuations hâtives ce matin : pour faire de la place... Des mouvements de troupes importants sont annoncés pour la semaine prochaine. Est-ce le gros coup ? Le grand Poilu viendrait s'installer à COMPIEGNE avec toute sa smala.

 

Je dine du bout des dents. Je me sens faible et en suis navré.

 

Moi, si fier naguère de mon bel équilibre physique et moral. J'ai le dégoût de tout, moi compris. Mais qu'y faire ?

 

Je me couche après avoir pris un cachet de véronal.

* 31 mai 1915

 

Excellente nuit. Température 37°1. Journée sans incident. Je sors de midi à 16 h. Je vais me peser chez un pharmacien, conformément aux ordres médicaux : 69 kg au lieu de 78, il y a un an, alors que, très entrainé, par une culture physique assidue, je n'avais pas de graisse (poids avec habits, bien entendu). Ce n'est pas brillant. Je passe aussi à la Sous-Préfecture pour savoir si Marthe aura besoin de pièces d'identité pour repartir : on me dit que non.

 

Le pharmacien chez qui je me suis pesé est une pharmacienne qui connaît DARRAS, originaire de cette région : elle est la belle-sœur d'un avocat général qui, à DOUAI, au moment de la guerre, a pu s'échapper et qui a été nommé â ALGER.

 

Coucher à 20 h 30.

 

*1er juin 1915

 

Température 36°8. Je vais déjeuner avec Marthe à midi. Nous sommes presque seuls dans un petit salon du Palace. Bon menu. Je mange avec un peu d'appétit. Je remonte dans la chambre de Marthe où nous demeurons jusqu'à 19 h 30. Je rentre alors au Collège et me couche pour la visite. Température 37°5. Je me relève pour diner : je mange un peu.

 

Courte apparition du Principal du Collège qu'à cause de l'exiguïté de sa personne et de la modestie de son intellect, je ne peux appeler que "l'Accessoire". Il nous apporte le communiqué du jour, bref et sans grand intérêt, prise de quelques éléments de tranchées, les Russes ont cessé de rétrograder... Une des infirmières, la Comtesse de..., femme très aimable et distinguée, nous apprend que des masses de troupes ont "glissé", en avant de COMPIEGNE pour un "coup de sonde". Les bruits d'attaque se multiplient. Mais les Boches seraient avertis et auraient lancé sur nos lignes des billets ironiques demandant : "à quand l'attaque ?“. Je suis inquiet pour Marthe en cas de bombardement et vais demander au Docteur si je ne devrais pas la faire repartir. Coucher à 20 h 30.

 

* 2 juin 1915

 

Température au réveil : 36°8. Je mange avec plaisir. A midi 15, je rejoins Marthe à l'hôtel. Vers 13 h, on vient annoncer GABARROT. Je descends : il y a, outre Emile, Paul " LEVY. Je m'y attendais, du reste ! Grande joie réciproque. Ils sont venus spécialement pour moi dans une somptueuse limousine. Ils ont engraissé l'un et l'autre. Ils repartent - à 15 h, promettant de revenir dans quelques jours, si je suis encore là !

 

Bain, puis retour au Collège. Je me couche. La Comtesse d'EVRY me fait une piqûre de strychnine.

 

Elle opère assez adroitement, c'est heureux, car enfin, si elle me piquait à la machine !

 

Température : 37°5.

 

Je me relève. Le Principal apporte fidèlement le communiqué du jour.

 

RIBOT trouve que ce brave homme a l'air béat, moi je lui trouve l'air "con" ; je nous mets d'accord en affirmant que c'est un béat urinaire. Et nous rions.

 

Lettres de Papa, du Commandant MOREAU et de BRAUD, cette dernière enthousiaste. Il est à ARRAS et croit au déclenchement général. D'après GABARROT, cette offensive a coûté, 16 000 tués, 24 000 blessés.

 

Coucher à 20 h 30.

 

* 3 juin 1915

 

Journée très pareille aux précédentes. Température : le matin 37°, le soir 37°4.

 

Promenade au Parc avec Marthe précédée d'une visite au Lieutenant LOUBIERES, tailleur, 1 bis, rue des Lombards, qui doit rajeunir une vareuse et me faire une culotte.

 

Je vois l'Accessoire. M. BOIS, "ce petit bout de Bois", toujours insignifiant et sa prétentieuse moitié. Causerie devant une chambre après diner. Le Dr est exquis de bonté, mais ne dit pas ce qu'il va faire de moi : et il y a 14 jours déjà que je suis ici. Marthe s'impatiente. Je la calme de mon mieux.

 

Coucher à 20 h 30.

 

* 4 juin 1915

 

Au réveil, température : 36°6. Journée calme, belle et chaude. Promenade au Parc avec Marthe. Je me pèse : j'ai gagné 300 grammes en 3 jours. Lettre au Commandant MOREAU pour essayer de raccrocher ma proposition de citation, car on annonce une révision des propositions non suivies d'effet. Je mange maintenant, avec assez d'appétit. Il va être incessamment statué sur mon sort, car voilà 15 jours pleins que je suis ici. On annonce la journée en avant comme imminente, certains parlent de la nuit qui vient...

 

Coucher à 20 h 45.

 

* 5 juin 1915

 

Température au réveil : 36°2. Un peu de fatigue, pas d'appétit. Temps orageux. Je vais, vers 15 h, commander un képi bleu même nuance que ma vareuse et qu'une culotte qu'on doit livrer demain : c'est plus sombre que le bleu qui semble adopté par l'Armée mais moins salissant.

 

Promenade au Parc avec Marthe. A 15 h 30, je rentre seul et, devant le Palais, je trouve le Médecin Chef qui me dit que l'attaque devait réellement avoir lieu mais qu'elle a été ajournée, des renseignements ayant appris que l'ennemi, averti, avait accumulé des forces considérables sur notre front. Aura-t-on la sagesse de s'en tenir là ?...

 

Je me couche en rentrant. Marthe me rejoint. Température : 37°8.

 

Peu d'appétit.

 

* 6 juin 1915

 

violente canonnade, dès 4 h. C'est l'attaque. Elle dure jusqu'à 10 h. Reprise dans l'après-midi. Des blessés arrivent. Un Capitaine de tirailleurs et mis dans une chambre (grenade explosée contre l'épaule) : un Sous- Lieutenant blessé, éclat d'obus au genou est mis avec RIBOT. Le 264 et les Zouaves et tirailleurs ont seuls donné. Le 316e n'a fait que des boyaux de communication.

Lourdes pertes chez les Africains, légères au 264.

 

Coucher à 21 h.

 

* 7 juin 1915

 

Tuyaux sur l'attaque par des Officiers du 2ème Zouaves : un Bataillon amoché bêtement par ordre d'EBENER qui a fait attaquer, après réussite du plan initial, un point non canonné préalablement : 5 Officiers tués, 6 blessés, 2 indemnes dont l'un devenu maboul en apprenant la blessure de son frère, le Lieutenant CORDIER, décoré, un gamin héroïque que j'ai vu ce matin. Des débris du Bataillon, on

a fait une Compagnie, ... NIESSEL sera général. 2 tranchées prises sur un kilomètre de front, 3 contre-attaques dans la nuit. Journée calme. La femme de RIBOT l'a rejoint, enfin !

Elle annonce que PAULIN a été tué le surlendemain de son arrivée sur le front. RIBUT ne le plaint pas, à cause de son défilage antérieur. Je ne suis pas de son avis. Pauvres parents !

 

Promenade au Parc avec Marthe. Le Dr le STUNF a examiné plus de 900 blessés, quelques-uns du 316e, aucun de la 23e.

 

Le canon recommence à 20 h 30.

 

Coucher à 21 h.

 

* 8 juin 1915

 

Suis réveillé à 4 h par le canon qui tonne tout près. Je me demande ce qui arrive. Des gens nombreux circulent dans la rue. Je passe un pantalon et je vais voir : cette canonnade intense est dirigée sur un sale Taube qui rejoint à grande vitesse les lignes ennemies.

 

Température : 36°8. Un orage menace.

 

10 h - Un Lieutenant du 36e d'artillerie passe, il est rappelé au SOUDAN pour s'y occuper, comme avant la guerre, de transport de charbons. Il a connu Vincent NAVARRE qui était son employé et se charge de mes souvenirs pour AUBRESPIN.

 

Après-midi à l'hôtel : orage, puis lourde chaleur.

 

Le Dr le STUNF a vu passer 900 blessés de plus. Il y aurait 500 morts.

 

Le 264 aurait subi de lourdes pertes : 18 Officiers dont un major du 265e, qui arrive malade du front.

Le Commandant VANNIER est à COMPIEGNE : commotion cérébrale... la veille de l'attaque.

 

Canonnade vers 19 h. RIBOT ira retrouver sa femme cette nuit dans une chambre du Collège : douce complicité des infirmières...

 

Coucher à 21 h.

 

* 9 juin 1915

 

Journée quelconque, après-midi, je lave les cheveux de Marthe et nous restons dans sa chambre. Le Dr a demandé mon évacuation.

 

Un aide-major du 265e, arrivé hier malade dit qu'ils ont eu au Bataillon engagé, 3 Officiers hors de combat et qu'au 264e il n'en aurait eu 18 !... Les étoiles du Colonel NIESSEL auront coûté cher !

 

Un automobiliste d'ambulance dit que l'ennemi a fait la nuit dernière une contre-attaque en masses profondes. Le 75 et les mitrailleuses en auraient tué plus de 1000 : chez nous 48 blessés.

 

Soirée dans le jardin du Principal avec ce dernier et les RIBOT.

 

Coucher à 21 h.

 

Le Dr le STUNF a demandé mon évacuation.

 

* 10 juin 1915

 

Je passe une nuit sans sommeil. Moustiques dans la chambre : j'en tue quelques-uns. Autos circulant sans cesse dans la rue ou même entrant dans le collège pour y amener des malades sans doute et non des blessés, car depuis 2 jours le calme semble revenu sur notre front.

 

Mon camarade de chambre, le Capitaine du 2e Tirailleurs, se nomme SIGONNEY : c'est un géant des plus sympathiques, physionomie énergique et franche, le bon sourire, grande barbe blonde. Il va mieux ; nous sommes très bons amis. Il pense comme moi sur ces actions de pur luxe sans utilité et si coûteuses...

 

L'attaque de la nuit dernière, avec 1000 boches tués, n'est pas confirmée.

 

Le Médecin-Chef a vu 17 à 1800 blessés et en attend encore 200 : or, le communiqué parle de 1500 seulement et de 250 tués...

 

Je passe de 13 à 16 h à l'hôtel avec Marthe, orage, puis lourd soleil.

 

Station avec les RIBOT et les BOIS (Mme et sa fille aînée sont de retour) dans le jardin du Principal.

Nombreuses lettres dont une de Camille : il est lassé !...

 

Pendant le moment où Marthe est retournée au Palace pour diner, formidable abat d'eau, tonnerre et éclairs.

 

Coucher à 21 h.

 

* 11 juin 1915

 

Matinée grise et fraiche. J'ai peu dormi. Courrier assez important : lettre de Mme LOUBET (Colonelle) et de Maman (TARBES) à Marthe ; lettre d'Henri à moi datée du 29 mai ! Erreur d'indication de secteur : 113 au lieu de 87. Je vais avoir un gros courrier à expédier en réponse à tout ce que j'ai reçu.

 

Visite habituelle du Dr le STUNF qui est allé hier au soir voir le front pour savoir combien de blessés devaient encore arriver : il en a compté plus de 500 ce qui fait un total de 2300 au lieu des 1500 du communiqué. Et quelle est la dissimulation pour les morts ?...

 

On en avoue 250 alors que la proportion par rapport au chiffre total des pertes varie toujours au tiers ou au quart ; donc ici, il y a sûrement plus de 500 morts. Et voilà comment "on bourre le mou" au Pays à qui l'on affirme que depuis le début nous avons tué plus d'un million de Boches tandis que nous n'avons que 500 000 morts !!!

 

12 h 30 - On m'avise brusquement que je vais être évacué. Préparatifs. Je fais prévenir Marthe au Palace. Elle arrive. Nous prenons congé des aimables BOIS qui facilitent la préparation des pièces de Marthe à la Mairie. Je vais saluer le bon Docteur au Palace. Attente de l'auto.

 

15 h 30 - Arrivée à la gare. On me prend mon sabre contre reçu. J'ai caché mon revolver. Repas suffisant. Un Sous-Lieutenant tirailleurs indigène se joint à nous.

 

18 h 30 - En route. Je revois NANTEUIL, DAMMARTIN, LE PLESSIS BELLEVILLE.

 

21 h 30 - Arrivée au BOURGET puis à AUBERVILLIERS LA COURNEUVE. Longue station. On nous dirige sur MONTARGIS. Rien à faire pour aller ailleurs. Un Sergent de la 21e du 316e m'annonce que le Sous-Lieutenant GUYON, mon ex- greffier du Conseil de Guerre spécial est tué : balle dans le ventre.

 

Encore un brave cœur et un modeste qui est parti !

 

Boissons, bonbons.

 

23 h 30 - On part vers MONTARGIS.

 

* 12 juin 1915

 

On roule toute la nuit, lentement interminablement.

 

10 h environ - Arrivée à MONTARGIS ou l'on stationne longuement. Repas.

 

Départ vers 11 h 30 vers ORLEANS où les 3 Officiers du train s'arrêteront.

 

Dès l'arrivée, attente d'une affectation. Nous sommes dirigés sur l'Hôpital temporaire n° 5 rue de la République Il y a des religieuses, dont l'une, fort aimable et accueillante me donne quelques conseils sur la façon de me -présenter au Major 4 galons de la coloniale, bourru mais bon diable, qui est Médecin-Chef. Ce toubib n'aime pas les malades, donnant toutes préférences aux blessés. Avec moi, il donne à peine dans sa marotte et finit par se montrer cordial.

 

Je télégraphie à Marthe à l'Hôtel des Mathurins, à Paris, en lui indiquant ici l'hôtel d'Orléans pour y descendre.

 

Je ne suivrai aucun régime : c'est la paix sans phrases pour une quinzaine et ensuite ce sera la convalescence, si la commission d'examen ne récalcitre pas.

 

Je dine avec les Officiers d'ici, au réfectoire où je trouve le Commandant MOULIN du 264e, type de l'Officier, énergie, bravoure, intelligence. Il est blessé à l'épaule.

 

Il est amer quand il parle de l'hécatombe de l'autre jour, inutile pour le Pays à qui elle coûte près de trois mille hommes et quarante Officiers au bas mot. Il traite les Généraux NIESSEL et EBENER de misérables. Il me confirme que cette opération de pur luxe et parfaitement inutile (prise du saillant boche en avant de la partie gauche de mon secteur) aurait pu à cause de la fougue de nos admirables Poilus, et sans pertes plus grandes, donner des résultats véritables : un Bataillon de tirailleurs et un

Bataillon du 264e avaient poussé très loin, le 2e était arrivé devant les tranchées de PUISEUX qui étaient vides ! Et on les a rappelés ! On n'avait pas prévu un succès qui en valût vraiment la peine !

 

Après diner, station dans le jardin, on cause et je regarde jouer au bridge.

 

Coucher à 21 h. La bonne sœur vient m'avertir que la messe aura lieu demain à 6 h 45. J'irai pour faire plaisir à cette exquise sainte fille.

 

* 13 juin 1915

 

J'assiste à l'office et mêle ma voix au chœur qui chante des cantiques. Puis, toilette. A 8 h 30,, visite du Médecin-Chef, qui se montre aimable et m'annonce qu'il me proposera samedi pour une convalescence.

 

Je descends ensuite dans le jardin. Journaux. A mesure que la matinée avance, je deviens inquiet de ne pas avoir des nouvelles de Marthe.

 

11 h - Cloche du déjeuner. Bon menu. Je mange sans grand appétit. A la fin du repas, la bonne sœur apparaît, m'annonçant une visite. Je trouve dans ma chambre une jeune personne, fort élégante, en sobre toilette noire : c'est ma petite Marthe qui, après les effusions naturelles, me conte les péripéties de son séjour à Paris. Descendue à l'hôtel des Mathurins, elle s'est rendue compte dès son arrivée que c'était là une hôtellerie à deux fins... et dès le lendemain matin, elle s'est fait indiquer par un chauffeur de taxi, une maison plus honorable ; elle est alors descendue à l'hôtel de Calais rue des Capucines. Les gens des Mathurins ont eu, du moins, l'amabilité de lui téléphoner dès l'arrivée de ma dépêche qu'elle est allée chercher aussitôt. Elle a pu acheter au Louvre un fort joli tailleurs qu'on a retouché le jour même...

 

A midi 30, elle va déjeuner á l'hôtel d'0rléans indiqué par la sœur qui me soigne. Je vais fumer et lire dans le jardin.

 

14 h - Marthe revient.

 

Marthe reste jusqu'à 17 h 30. Elle assiste à la courte visite du Médecin-Chef qui se montre aimable.

 

17 h 30 - Diner excellent, puis jardin, causeries, bridges et fumeries.

 

20 h 30 - Coucher, un peu de lecture et, bonsoir.

 

* 14 juin 1915

 

Le Médecin-Chef est en révision jusqu'à vendredi. C'est un aide-major qui passe la visite. Rien de particulier. Je demande un "exeat", qui m'est donné de midi à 17 h 30. A midi, après déjeuner, je sors avec BRONSMICHE du 318, mon compagnon de voyage : je passe devant la Cathédrale que je visite : façade jolie du XVe mais un peu mièvre et gâtée par des statues ou ornements XVIe et XVIIe ; intérieur sévère. Je trouve Marthe à son hôtel. Correspondance, puis sortie, visite du Musée Jeanne d'Arc installé dans un exquis hôtel Renaissance : armes et souvenirs du siège. Puis emplettes, j'achète un pyjama. Nous rentrons ensuite chez moi. Fin de journée comme hier. Je me sens las.

Coucher à 20 h 30.

 

* 15 juin 1915

 

Journée pareille aux précédentes. Promenade l'après-midi au jardin botanique, lointain (il est au-delà de la Loire et nous avons pris le train) et sans agrément.

 

Lettre de BILLAUD confirmant la mort de VIDAILLET et m'annonçant celle de mon petit BLANCHARD, je suis navré, les pauvres chers amis !

 

Coucher à 20 h 30.

 

* 16 juin 1915

 

Matinée quelconque. A 13 h, je sors avec le Commandant BATISTELLI du 272e : bock à terrasse d'un café rue de la République. Il me photographie sur la chaussée. A 13 h 30, je rejoins Marthe à l'hôtel. Visite au Commandant CURADIN que nous trouvons seul ; il est très aimable. Puis, tour en ville et, boissons à la terrasse du même café. L'annuaire local m'apprend que M. MAULMOND est Procureur Général à la cour : j'irai le voir demain.

 

Coucher à 20 h 30.

 

J'ai reçu un mot affectueux du Commandant MOREAU qui va essayer de raccrocher ma citation.

 

* 17 juin 1915

 

Rien de saillant. Marthe va voir Mme CORADIN tandis que je rends visite au P.G. ; Marthe est reçue très aimablement : M. MAULMOND est absent pour l'enterrement de M. FORICHON.

 

* 18 juin 1915

 

10 h - Remise de Croix de Guerre aux Capitaines COUSIN (115e), RENAUDIN (102e) et au Sous-Lieutenant LAURENT (Sénégalais) par un Colonel. Champagne, gâteaux, photos ; plusieurs dames y assistent, dont Marthe.

 

Après-midi consacrée à quelques achats, puis station d'une heure à une terrasse de café ; enfin, retour à l'hôpital.

 

* 19 juin 1915

 

8 h - Visite du Médecin-Chef Dr ALLIOT. Il me fait inscrire pour un congé.

 

13 h - Je vais au café avec BATISTELLI, puis nous venons reprendre en voiture le Commandant BONTEMPS (du train), qui passe la visite avec nous au quartier ROSSAT.

 

Le Commandant connaît le Médecin principal qui lui octroie le mois pour lequel il est proposé. Je passe le second : même tarif, bien que je sois proposé pour 2 mois. BATISTELLI, proposé pour 45 jours obtient un mois aussi. Je retrouve Marthe chez les CORADIN très affectueux. Je vais faire viser mon congé à la Place, pendant que Marthe va à la gare s'enquérir des heures de départ. Nous filerons demain à midi par LIMOGES.

 

Coucher à 20 h 30. Mes cantines ont été faites avant diner avec l'aide de Marthe.

 

* 20 juin 1915

 

9 h - Je quitte l'hôpital pour aller à l'hôtel. Déjeuner puis gare. Départ à 12 h. 6 Officiers belges dont l'un dans mon compartiment va dans le couloir, le Marquis de PLOEUVE très aimable, capitaine de territoriale de cavalerie qui va acheter chevaux et mulets dans le Midi.

 

16 h 53 - Arrivée à LIMOGES. Maman, René et le Petit Albert sont sur le quai. Embrassade émue. Pauline nous attend à la maison. Voiture. En passant devant l'hôtel de la Paix nous y laissons nos bagages. Nous trouvons Pauline superbe de santé : son terme est proche.

 

Diner et soirée en famille : quelle détente exquise ? Vers 20 h 30, nous revenons à l'hôtel pour nous coucher. Une promenade en auto est projetée pour demain matin.

 

* 21 juin 1915

 

Excellente nuit. Dès 8 h, la promenade est contremandée à cause de la pluie.

 

Déjeuner gai. René file à TULLE en auto vers 14 h.

 

Promenade avec Marthe et le petit qui est un gosse exquis.

 

* 22 juin 1915

 

Nous paressons jusqu’à 10 h 30. Pluie. Voiture pour aller chez Pauline. Il y a du nouveau. L'évènement attendu se produira aujourd'hui. Pauline est pleine de vaillance.

 

Nous partons à 17 h.

 

22 h 30 - Arrivée à TOULOUSE. Terminus. Hôtel, chambre très confortable à 6 F.

 

* 23 juin 1915

 

9 h 20 - Départ à TDULOUSE. A MURET, Gabrielle LAY et ses gosses : joies du revoir, trop courte.

 

13 h 15 - TOURNAY : Papa, Maman de TARBES, nos petiotes, Jeanne, les LOUSTAU nous attendent. Nos filles sont superbes.

Déjeuner au cours duquel nous voyons Laure et ses petits arriver pour nous embrasser. Maman, Jeanne, Laure et ses enfants repartent à 16 h pour TARBES. La Maison ! Quelle joie I Les effusions y sont plus douces !

 

* 24 juin 1915

 

Repos, détente. Pauline a un fils.

 

* 25 juin 1915

 

Marthe et moi allons à TARBES où je dois faire viser mon congé. Nous voyons les enfants très grandis, Pierre exquis, il ne me quitte pas.

 

* 26 juin 1915

 

Quelques visites. Je m'arrête en passant chez les TORRES dont deux fils sont sur le front, l'un Jean, colosse de 20 ans est avec François. Les pauvres gens ! Lui est à demi paralysé, elle (sa femme) malade. Pluie diluvienne.

 

* 27 juin 1915

 

Jeanne, ses enfants et Melle de SEZE viennent déjeuner. Journée très agréable.

 

De nombreux Tournayais me font le plus affectueux accueil.

 

Visite au Colonel LOUBET, au cours de laquelle on m'avise que tous les SOULE, sauf Germaine viennent me voir.

 

* 28 juin 1915

 

Rien de saillant.

 

* 29 juin 1915

 

Rien.

 

* 30 juin 1915

 

Voyage à BERNAC-TARBES. Je pars seul avec les LOUSTAU. Nous trouvons Oncle et Tante dans un état de santé aussi satisfaisant que possible. Ils sont heureux de me voir. A 10 h, nous filons sur Tarbes. Je cueille Marthe à la gare. Déjeuner à la maison où la famille est en bonne santé.

 

14 h - Visite à Laure où nous trouvons Mme CORADIN très affectueuse et venue spécialement pour nous.

 

17 h 20 - Retour à TOURNAY. Nous emmenons Pierre que j'ai trouvé pâlot et qui sera plus au bon air dans le vieux patelin de ses pères.

 

* 1er juillet 1915

 

Déjeuner chez LOUSTAU. Visites à Mme PEDEBIDOU, au Colonel LOUBET, à Mathilde. Celle-ci a de bonnes nouvelles de Camille qui est à ARRAS après avoir passé par le bois de la GRUREE et celui de PERTHES les HURLUS. Pauvre 17e Corps 1 Qu'en restera-t-il ? Certains Régiments dont le lle (celui de Camille) ont refusé de sortir des tranchées. JOFFRE aurait fait 734 exécutions... Je plains mon pauvre Cousin et sa mère.

 

* 2 juillet 1915

 

Rien.

 

* 3 juillet 1915

Oncle Charles et moi allons en voiture à BORDES pour déjeuner chez Louis REY. Accueil très affectueux, bon repas. Retour à 15 h. Je m'étends sur le divan du petit salon jusqu'à 18 h 30, moment où Marthe vient me reprendre pour aller à la prairie de l'ESCARRAIROLLES où sont Papa, les petites LOUSTAU et les enfants. Lettre du Commandant MOREAU, je suis cité à la Division.

 

* 4 juillet 1915

 

Lettre de Camille, affectueuse, le 9 juin, son Régiment a perdu 800 hommes et 12 Officiers.

L'offensive sur ARRAS paraît arrêtée. J'avais prévu son échec. Plus que jamais je crois â la cristallisation définitive des lignes adverses : fin octobre 1914, je soutenais que la paix se signerait dans cette situation ; après l'inutile et coûteux effort d'ARRAS, il n'en faut plus douter.

 

* 5 juillet 1915

 

Jeanne vient déjeuner chez LOUSTAU. Lettres très affectueuses de LEROY et de LAFERRIERE me félicitent pour ma Croix de Guerre.

 

* 6 juillet 1915

 

Rien de particulier. Marthe va à TARBES.

 

* 7 juillet 1915

 

Je vais passer à TARBES la visite médicale pour ma demande de mutation dans les Conseils de Guerre. "Entérite muco-membraneuse". Nous déjeunons rue Larny. Je vais à 3 h avec Marthe et Laure commander un uniforme. Je trouve du ruban de Croix de Guerre chez LATREILLE. Je pourrai restituer à Oncle Charles le ruban (pareil) de la médaille de Ste Hélène venant de l'0ncle N...

 

* 8 juillet 1915

 

Rien.

 

* 9 juillet 1915

 

Marthe et moi allons à TARBES. Je fais un essayage d'uniforme. Achat de chaussures et de leggings jaunes.

 

Visite à Mme de SEZE : nous trouvons sa fille seule.

 

Rencontre AMICIE sur la rue.

 

Je dois revenir essayer mercredi prochain.

 

* 10 juillet 1915

 

Maman annonce son arrivée pour cette nuit.

 

* 11 juillet 1915

 

Arrivée de Maman. Voyage parfait. Je suis allé l'attendre à la gare à 3 h 40.

 

* 12 juillet 1915

 

Avis de passage d'Emile en gare avec permission de 8 jours.

Marthe va à TARBES pour le voir.

 

* 13 juillet 1915

 

Rien.

 

* 14 juillet 1915

 

Voyage à TARBES avec Marthe et les enfants. Emile sans barbe toujours beau, plus mâle. Son protégé René LEROY paraît un bon enfant, intelligent ; il le laisse à TARBES.

 

Essayage d'uniforme que je paye 105 F.

 

* 15-16-17 juillet 1915

 

Rien.

 

* 18 juillet 1915

 

Départ pour TARBES avec Marthe.

 

 

 

***

 

Fin du Tome 1 des carnets de guerre 1914-1918 de Guilhaume Cazenavette

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18 mai 2017 4 18 /05 /mai /2017 14:49

* 20 novembre 1914

 

7 h - CARO vient me réveiller après une bonne nuit passée dans mon excellent lit.

 

7 h 30 - Je vais prendre un café au lait à la tambouille, puis je reviens faire ma toilette et ma barbe dans ma chambre. Je descends ensuite dans la cuisine de mes hôtes, gros fermiers et braves gens et je fais ma correspondance près de leur fourneau.

 

Je reçois 3 lettres de Marthe et une lettre de Maman.

 

- 11 h 30 - Déjeuner à la tambouille.

 

- 12 h 30 - Réunion des Officiers par le Colonel dans notre salle à manger pour questions de service.

 

- 13 h - J'emmène mes hommes en armes laver leur linge dans l'Aisne, au pont de JAULZY. Le temps est superbe et la Vallée admirable. Nous nous promenons, BIGEARD et moi en causant et nous attendons que mes Poilus aient terminé leur travail.

 

15 h 45 - Rassemblement et retour au cantonnement.-

 

17 h - Manille avec mes Sergents ; PHILIPPON vaguement relevé par un territorial, est affecté à ma Compagnie, mais sera agent de liaison avec le Commandant MOREAU.

 

19 h - Diner à la tambouille. Conversation littéraire intéressante avec le Colonel, les Médecins et le Commandant MOREAU, tous très cultivés.

 

21 h - Coucher. Vive fusillade et canonnade sur la droite (14e Corps). Je m'attends à une alerte et j'ai peine à m'endormir.

 

* 21 novembre 1914

 

7 h - Réveil après nuit excellente. Toilette, puis café au lait à la tambouille.

 

9 h - Correspondance au cantonnement des Sous-Officiers. Il y a du feu dans la pièce, mais les fenêtres sont sans carreaux et ceux-ci aveuglés par une toile de tente : aussi, 1'obscurité rend nécessaire l'emploi d'une bougie.

 

11 h 30 - Déjeuner à la tambouille. Langouste (en conserve) avec mayonnaise, filet de bœuf, haricots verts sautés, flan à la vanille, Sauternes, Vouvray, café. On se traite bien.

 

13 h - Exercice dans la plaine par temps splendide, jusqu'à 16 h.

 

16 h - Un détachement de 171 hommes arrive de VANNES.

DUPOUE (Sergent) et CALLOT (Caporal) viennent me serrer la main. DUPOUE m'annonce que PAULIN est affecté à l'instruction des bleus : bonne et définitive embuscade !

 

* 22 novembre 1914

 

7 h 15 - Lever, “jus” porté par CARO. Toilette. Barbe.

 

8 h - Café au lait à la tambouille. Le froid est très vif.

 

9 h - Correspondance dans le cantonnement des Sous- Officiers. Je reçois 2 lettres de Marthe des 12 et 13 septembre (!!!) : dans l'une la photo du groupe familial prise à QUIMPER par Nicole.

Nous nous préparons à retourner aux tranchées : gros travaux en perspective pour renforcer la nôtre : fils de fer en réseaux quinconce, sur 10 m de profondeur et 700 m de front, réfection partielle de parapets effondrés par suite d'excavations malencontreuses creusées par le 264. Je fais préparer 200 piquets à emporter ce soir.

 

11 h - Déjeuner à la tambouille.

 

13 h - Départ pour St-PIERRE du 5e Bataillon.

 

15 h - Léger repas au cantonnement avec mes Sous-Officiers et le brave BIGEARD.

 

16 h 45 - Départ du 6e Bataillon pour St-PIERRE et les tranchées. La boue du chemin de bois est gelée, la marche désormais facile. J'arrive à la grande tranchée où 2 Lieutenants du 264 me reçoivent.

Ils ont fait d'importants travaux : chambre de repos par demi-sections (4), vastes, régulières et confortables, approfondissement de tranchées, là où le parapet s'était effondré, placement de piquets en avant, pour fils de fer dont quelques rouleaux sont déjà en place, etc... J'espère que mes Poilus vont se piquer d'émulation et je les exhorte au travail. Je fais couper en deux, cinquante de ces piquets qui ont 1,50 m de long, ce qui est excessif.

J'ai vérifié à ce point de vue le travail du 264 et je vais le faire compléter sans retard. Il faudra des réseaux de 10 m de profondeur près du triple de ce qui est partiellement placé déjà. Je n'ai que peu de fils de fer barbelés et je me bornerai donc à placer des piquets cette nuit.

CARO a laissé mon sac de couchage sur mon cheval... Je vais geler... Je refuse de le laisser retourner le chercher, mais le brave garçon va, en compensation, aller piller une meule de paille à un kilomètre derrière nous.

Je m'endors malgré le froid aux pieds, non sans m'être restauré d'une tranche de gigot, de 2 billes de chocolat, d'une pomme et d'un quart de vin.

 

* 23 novembre 1914

 

J'ai terriblement froid aux pieds, ce qui me réveille.

L'Adjudant me conseille de poser un sac de troupier sur mes pieds, ce qui me semble illusoire. Je me conforme cependant au conseil... et je m'en trouve bien.

Je pousse l'exécution des travaux. On termine la première chambre de repos où 20 hommes tiendront à l'aise : ils pourront y circuler debout. Les parapets sont renforcés avec des gabions que l'on remplit de terre. Les piquets à fils de fer ont été placés : la 19e Compagnie fixera ces derniers et continuera mes travaux : je prends la haute direction des aménagements, les sapeurs du Régiment à ma disposition avec les outils du parc. Nous avons touché des tôles ondulées pour recouvrir nos abris.

 

12 h - Déjeuner sur le pouce, en plein air. L'ennemi est calme : seules, quelques balles nous sifflent aux oreilles ; nous sont-elles spécialement destinées ? J'en doute...

La journée s'écoule sans incident. Le Colonel est venu voir les travaux et il a paru satisfait.

 

18 h - Relève, retour à St-PIERRE. Une partie seulement de ma Compagnie est logée dans le 2e cantonnement que nous avions occupé à St-PIERRE, chez le vieux forban soupçonné d'espionnage. La popote des Officiers est installée au rez-de-chaussée et j'occupe avec LEROY la chambre du haut où j'ai un bon lit.

 

21 h - Je me couche et bien au chaud je dors comme un bienheureux.

 

* 24 novembre 1914

 

Je me lève et m'habille après toilette et barbe. LEROY est déjà parti pour faire un topo avec le Colonel.

 

8 h - Déjeuner à la tambouille. J'apprends que le 5e Bataillon va avoir un nouveau Commandant. Le Capitaine CHOPARD devient adjoint au Colonel ce qui lui évite une reprise de commandement de Compagnie.

 

30 - Je vais au Bureau commun de la 23e et de la 19e et j’écris ces lignes puis je ferai ma correspondance.

 

Hier au soir, trouvé, en arrivant à la tambouille, 2 lettres de Marthe des 16 et 17 courants. Le temps me paraissait long sans nouvelles récentes depuis 3 jours. Le ciel est gris, un ciel de neige, le froid toujours vif, mais je préfère cela à l'humidité.

 

A l'instant, je reçois les 2 envois de Marthe et Geneviève (lainages, foie gras, saucisson, tabac, cigares, coing, chocolat) qui me font un très grand plaisir. J'ai aussi, j'ai surtout la lettre de Marthe du 18 novembre avec toutes les chères nouvelles de la famille. Journée sans incident.

 

A midi, déjeuner à la tambouille puis je donne des ordres pour faire porter à la réserve du bois des piquets à fils barbelés, des bobines de ces derniers et des créneaux de 0,80 m de long, que la section demeurée en bas de la 19e fera monter au plateau.

 

15 h 30 - Je mange avec mes Sous-officiers dans notre nouveau bureau de Compagnie.

 

16 h 30 - Départ pour la tranchée. Le temps est moins froid, mais le sol demeure ferme. Nous relevons la 19e à 17 h 15. BIGEARD, souffrant, est resté à St-PIERRE. La première section s'arrête à la réserve de bois.

 

Je mets mes Poilus à l'ouvrage. Obligé de fournir une section à la tranchée de la 22e, je n'ai plus que 2e sections que j'occupe au remaniement des créneaux devenus trop hauts par le creusement de la tranchée, et au placement des nouveaux créneaux, dans les endroits où il n'y en avait pas encore.

 

20 h 30 - Je viens m'étendre dans mon gîte et je me réchauffe. Tournée d'inspection, le travail marche. Je me couche et m'endors.

 

* 25 novembre 1914

 

5 h - Coup de téléphone demandant si la 22e s'est reliée avec la 219e par un boyau, travail prescrit pour la nuit je n'ai pas encore le renseignement qui me parvient à Je le transmets : la communication est établie. On m'apporte du café chaud et du beurre. La campagne est blanche de neige.

 

7 h - Ordre de descendre tous nos grands outils à la réserve où le fourgon les prendra. Nous quittons le secteur où la 219e se prolongera, en liaison avec le 265. Nous coucherons ce soir à St-PIERRE et demain matin, nous filerons à droite, à VIC sur AISNE, où nous remplacerons le 44e actif (7e Corps).

 

10 h 30 - LEROY, que j'ai invité à déjeuner vient à mon gite partager mon foie gras reçu hier de TOURNAY avec un saucisson, des cigares, du tabac, des lainages tricotés par Tante et mes cousines. Mon convive a été hier à VIC avec le Colonel. Les tranchées à occuper sont dans un secteur assez tranquille mais mal construites et, comme cantonnement de repos, on n'a que des carrières.

 

Le foie gras est jugé exquis. On m'apporte une lettre de Marthe et une autre d'Adrienne, exquises d'affection.

 

14 h - Le Lieutenant-Colonel commandant le 219 vient voir la tranchée avec le Commandant de la Compagnie de relève.

Il la trouve défectueuse (naturellement) et donne les instructions à son subordonné pour en faire une nouvelle en avant. Il me vante l'hygiène de son régiment, les merveilles de son ordinaire et j'écoute respectueusement.

Il a, du reste, l'air distingué et énergique.

 

On me débarrasse de mon téléphone que la SHR emporte. J'aurai donc la paix pour le reste de la soirée. Nos grosses pièces (120) tonnent sans relâche, ébranlant l'atmosphère et le sol. Les Allemands ne répondent pas.

 

14 h 30 - Je vais m'étendre et dormir, n'ayant rien de mieux à faire. La neige de cette nuit a fondu, le sol de la tranchée est détrempé, ce qui rend la circulation dans mon secteur désagréable.

 

19 h 15 - La 219e nous relève très tard. Nous rentrons rapidement à St-PIERRE : le chemin est, heureusement, encore gelé.

 

20 h - Diner à la tambouille. Huitres apportées de Paris par GREGOIRE que le Colonel a envoyé à nouveau aux provisions.

 

21 h - Réunion des Officiers pour instructions sur notre nouveau secteur. Il est situé à la droite du ravin, à cheval sur le chemin BRUNEHAUT et comporte, en ce moment une seule tranchée de Ve ligne que me compagnie renferme.

 

22 h - Coucher.

 

* 26 novembre 1914

 

Lever à 6 h 30 - Toilette, barbe, café au lait.

 

7 h 30 - Je vais écrire au Bureau de ma Compagnie où l'on m'offre un chocolat exquis.

 

A 8 h, nous partirons avec le Commandant et les Commandants de Compagnie et 2 Chefs de Section par Compagnie, pour examiner notre secteur, occupé depuis hier soir par le 5e Bataillon.

Par une modification heureuse, le cantonnement démarre à St-PIERRE et nous aurons, après chaque huitaine, 4 repos à BITRY.

 

8 h - Reconnaissance du secteur. Long boyau d'un kilomètre Sud-Nord pour arriver des tranchées de 2e ligne à la 1e qui est la mienne.

Pas d'abri pour la nuit, gros travaux à exécuter dans ce sens après le renforcement de la ligne : et ici, il y a beaucoup à améliorer.

 

9 h 30 - LEROY et moi, revenons ensemble, mais nous nous dirigeons trop au Sud, sans nous en apercevoir, à cause de notre conversation animée et nous sommes obligés de faire un détour à travers plateau et bois pour rejoindre BITRY par la route de VIC.

 

11 h 30 - Nous arrivons à St-PIERRE où m'attendent une lettre de Marthe, la bonne lettre quotidienne, une lettre du Préfet de VANNES très cordiale m'annonçant qu'il va donner à la femme de CARO une allocation supplémentaire pour son bébé, enfin une lettre de LE GALLO convalescent d'une terrible typhoïde et qui va aller ces jours-ci en convalescence chez lui. On m'apporte aussi une lampe électrique de poche, avec pile de rechange, achetée pour moi par le Sous-Lieutenant GREGOIRE à PARIS ces jours-ci.

 

12 h - Le vaguemestre m'apporte un nouveau colis de Marthe : des lainages pour mon brave CARO, ravi et reconnaissant de l'aubaine et un flacon de vieille eau de vie ; je garderai cette dernière pour moi, précieusement.

 

13 h - Je fais aller ma Compagnie dans le bois voisin avec mission de couper des rondins de 2,5 m qui serviront à couvrir les abris de tranchées que nous projetons. La nuit prochaine sera douce : pourvu que la pluie ne s'en mêle pas.

 

* 27 novembre 1914

 

La nuit a été pénible. Je l'ai passée dans l'étroit tunnel creusé sous la chaussée pour assurer la jonction entre ma Section de gauche et mes 2 Sections de droite (la 1e Section sous le commandement de GOSSET est à 250 m à gauche, en jonction avec le 264, tranchée "RIVOLI", ainsi dénommée à cause des abris en arcades creusés dans le parapet).

 

Le froid n'est pas très vif. Le téléphone se maintient au beau, mais il est dur de passer une nuit à somnoler dans un boyau à courant d'air, assis sur un seau. Mes hommes creusent des chambres de repos, mais j'ai laissé mes rondins à la réserve (21e Compagnie). A l'entrée du boyau, LEBLOND s'est chargé de me les faire apporter par des corvées, mais j'en vois apparaître seulement une vingtaine.

 

Sur ma réclamation, LEBLOND m'apprend que ses hommes commandés de corvée ont tiré au renard... mais il va y mettre ordre et m'envoyer tout ce dont j'aurai besoin.

 

J'ai envoyé 2 patrouilles dont l'une (commandée par FLOCH) est allée se mettre en liaison au diable, à droite, avec le 60e (7e Corps).

 

On a installé le téléphone, le poste s'appellera "Métro". Le poste analogue installé sous la chaussée, dans un boyau, en 2e ligne, se dénomme "courants d'air" et rien n'est plus comique que d'entendre nos grands chefs effectuer leur appels "allo Métro ! allo Rivoli ! allo courants d'air !” Au matin, je me préoccupe de faire un peu de feu. CARO s'est muni d'un vaste seau à graisse d'armes dont les parois sont encore garnies de cette graisse, nous avons du charbon de bois et nous essayons d'allumer à l'extrémité droite du tunnel. Flambée intense et immédiate ; haute flamme. Les cuisiniers nous apportent vers 7 h du café qui s'est refroidi en route : en un clin d'œil nous le réchauffons sur notre brasero improvisé dont les parois, percées de coups multiples de baïonnettes, assurent un tirage parfait.

 

Pendant la nuit, le Génie, aidé par 50 hommes de la 24e et par 9 hommes de ma Section de gauche, a percé un boyau de 250 m pour me relier avec la section de GOSSET. Il reste 30 m à creuser pour achever ce travail, ensuite, le boyau sera transformé en tranchée ; mes hommes, pendant la matinée, s'amusent à tirailler sur les Boches qui répondent de temps à autre.

 

8 h - Je demeure auprès de mon brasero dont la modeste chaleur ne me donne que l'illusion d'un peu plus de bien- être. Enfin ! Mes hommes vont assurer le travail de creusement des abris, la 19e achèvera le travail et après-demain, je pourrai passer une nuit confortable. Et puis, nous aurons 4 jours de repos à BITRY, après quoi, j'espère que l'on me donnera l'un des secteurs de 2e ligne ce qui m'évitera la traversée interminable du boyau en zigzag d'un kilomètre, qui me sépare de la réserve. Le boyau, s'il nous protège, rend la relève terriblement lente, car les hommes peuvent à peine y passer un à un. Et encore, comme il n'a pas plu ces jours-ci, on peut y circuler à pied sec ; mais à la première averse !...

 

11 h - Déjeuner somptueux, relief du foie gras, saucisson de TOURNAY, rosbif froid, gruyère, confiture, vin, café.

 

13 h - Lettre de Marthe toujours tendre et réconfortante. Notre Toty me paraît impayable, que doit en penser sa douce grande sœur ? Je l'imagine volontiers pleine de mansuétude pour les caprices de sa cadette, comme autrefois HENRI vis à vis des miens.

Mes hommes continuent à tirer sur les Boches, qui doivent avoir placé des silhouettes et qui, aux coups justes agitent le drapeau rouge des stands militaires. Je mets bon ordre à ce gaspillage inutile de munitions. Notre artillerie fait rage sur les tranchées de la ferme St-VICTOR, dont le tir nous prend en enfilade : elle tape en plein dedans et non, évidemment, sans y causer de dommage.

Le creusement des chambres de repos s'avance. En attendant, je suis au bout droit de mon tunnel dont j'ai fermé une partie avec une toile de tente : je me tiens dans le demi réduit ainsi constitué, auprès de mon brasero improvisé. A quelques pas, un miroir de tranchée permet à CARO de suivre à couvert les effets de notre canonnade.

 

15 h - Avion boche au-dessus de nous : nous le fusillons sans succès. A notre droite, 2 cavaliers teutons qui se profilent sur une crête, salués par nos fusils à grande distance tournent bride : ils étaient à plus de 2000 m.

 

18 h - Relève. Retour à St-PIERRE par l'interminable boyau d'autant plus interminable que le clair de lune nous oblige à y poursuivre notre route au-delà de la réserve de 1ère ligne (1er kilomètre). Nous rentrons crottés abominablement mais joyeux dans la perspective du repos prochain.

 

19 h 30 - Dès l'arrivée, je viens à la tambouille.

Excellent repas, au cours duquel on nous apporte des journaux d'aujourd'hui relatant la défaite allemande en POLOGNE. La débâcle commence, le rouleau compresseur poursuit sa marche irrésistible.

 

21 h - Je me couche après avoir dégusté avec LEROY une goutte du vieil Armagnac envoyé par Marthe.

 

* 28 novembre 1914

 

Réveil à 7 h, toilette, barbe, café au lait à la tambouille.

 

8 h 30 - Réunion des Officiers dans le bureau du Colonel.

Je reçois une lettre de Marthe du ll septembre (!) et un projet de procuration de la même date. La lettre de Marthe se termine par un mot personnel de Louise. J'ai aussi une lettre d'HOUCIX aussi ancienne. Journée quelconque.

Déjeuner à la tambouille, après correspondance faite à mon cantonnement.

 

15 h - Vague repas avec mes Sous-Officiers. J'ai mangé si tard (midi) que je peux à peine prendre un peu de potage et de macaronis ainsi que de la confiture.

 

16 h 30 - Relève ralentie par le fait de mes hommes : bottes de paille, longs créneaux de bois. Dès mon arrivée, je me rends compte que les abris commencés n'ont pas avancé d'une ligne : FARIGOUL s'excuse en disant que les corvées de rondins ont été abandonnées à mi-route par les hommes de corvée et accaparées par des débrouillards de l'arrière. Encore une mauvaise nuit à passer ! LEROY dont les mitrailleurs sont installés dans ma tranchée est venu avec moi : nous associerons notre misère. Je téléphone au Commandant qui me promet pour tout de suite 30 rondins et quelques créneaux. Ces matériaux m'arrivent à 20 heures. Le Génie avec son Lieutenant vient travailler au boyau qui prolonge notre tranchée, à droite. La 21e qui fournit 20 travailleurs que j'utilise moi-même au travail du parapet, jusqu'au moment où le Génie en a besoin lui-même.

 

Entre temps, comme il faut aussi songer à soi, je me préoccupe d'achever de couvrir un abri où je m'installerai. Je retiens 5 bottes de paille sur l'apport de mes hommes et je fais disposer sur les quelques rondins placés par moi, puis par FARIGOUL des bandes de papier bitumé touché hier par le 19e. Il pleut à verse, mais nous serons à peu près abrités. Mes cuisiniers ont touché du charbon de bois : je vais en prélever pour mon brasero. Nous avons des vivres, une nuit est bientôt passée, donc tout va bien. Ceux qui sont plus à plaindre, ce sont mes pauvres Poilus qui montent la garde sous l'averse.

 

Le Lieutenant du Génie vient dans mon abri qui est chaud et agréable et s'emplit peu á peu. Une manille s'organise. Jouant et causant, nous atteignons ainsi une heure.

 

 

* 29 novembre 1914

 

Je m'étends sur la paille, roulé dans ma couverture et je m'endors.

 

6 h - On me réveille pour téléphoner au Commandant, le compte-rendu de la nuit.

 

7 h - Excellent café, tartines de beurre. Les Boches commencent à nous canonner. Comme notre abri n'est pas á l'épreuve des obus, je viens m'installer sous le tunnel.

 

9 h 30 - Un obus éclate à quelques mètres derrière nous, suivi d'un autre, qui tombe juste devant la tranchée, à gauche et presque â hauteur du tunnel qui est envahi par une fumée âcre : des balles de shrapnells sont ramassées dans la tranchée à quelques pas de nous. Aucun dégât même matériel.

 

11 h 30 - Je vais déjeuner avec LEROY au gîte de ses mitrailleurs. Bon repas : côtelettes de porc et de mouton, rognons rôtis, pommes frites, riz au lait, café, vin : j'oubliais les hors d'œuvre, beurre et sardines. La canonnade continue, sans effet. Mon Caporal-fourrier m'apporte, avec le rapport, deux lettres de Marthe qui se plaint de n'avoir pas de mes nouvelles depuis 3 jours : que fait donc la poste ? Elle y joint une lettre très affectueuse de Germaine NOUEIX. Le fourrier m'apporte aussi l'Echo de Paris d'hier, tout plein de bonnes nouvelles sur l'avancée Russe et le désarroi grandissant des Boches. Je lis un peu dans mon gîte, puis je viens m'installer dans le recoin droit du tunnel.

 

17 h - Toujours le canon. Un obus tombe sur la tranchée, à gauche de la chaussée, arrosant les poilus de Shrapnells et de débris de terre, heureusement sans autre résultat.

Courte visite du Capitaine du Génie qui vient examiner les travaux exécutés la nuit passée sur notre droite et ceux qui devront être entrepris la nuit prochaine.

 

18 h - L'après-midi s'achève, calme ; je la passe sous le tunnel, les pieds près du brasero. Puis, je vais attendre la relève dans la tranchée de gauche.

 

18 h 25 - Relève. Détestable retour par l'interminable boyau dans la boue gluante et épaisse.

 

19 h 35 - Arrivée à St-PIERRE et repas à la tambouille. J'y apprends incidemment par le Colonel que ma proposition pour la citation à l'Ordre de l'Armée, revenue pour modification administrative, n'a pas été renvoyée au Commandant, le Général de Brigade estimant que ma promotion était une récompense enviable et suffisante.

 

22 h - Coucher.

* 30 novembre 1914

 

Lever à 7 h, toilette, barbe, puis café au lait à la tambouille. Deux ou trois marmites éclatent sur les crêtes proches.

 

8 h 30 - Je vais au Bureau de la Compagnie où je trouve l'Adjudant LE ROLL (19e) qui repris de rhumatismes n'a pas été à la relève. J'avais fait à VANNES, en recherchant une location pour Marthe et moi, la connaissance de sa famille, jolie jeune femme vivant avec sa mère et ses deux bébés (fillettes).

BIGEARD nous quitte. La stupide prévention du Commandement contre lui s'est évanouie. Il revient à VERSAILLES dans les autos.

 

10 h - Je reçois deux colis : 1° une boîte de chocolats à la crème envoyée par Marthe avec un mot, 2° une boîte de 24 cigares (Condrès et Havane) accompagnés d'un jeu de cartes, de papier à cigarettes et d'une boite de cachous, le tout envoyé par Pauline SOULE ; celle-ci, il y a 15 jours m'avait écrit une lettre délicieuse en me demandant si elle pourrait me faire un envoi dans lequel je lui avais demandé quelques cigares et des cartes. Elle me comble, généreuse comme toujours. Je lui adresse incontinent un mot de remerciements.

 

11 h - Déjeuner à la tambouille très gai. Les chocolats, au dessert disparaissent comme par enchantement.

BIGEARD est parti avant le déjeuner, très ému de me quitter. Nous nous sommes embrassés, il a promis d'écrire souvent.

 

13 h 30 - Rassemblement pour partir vers BITRY. La 23e est au drapeau. Nous prenons la tête, effectuant le parcours au pas, baïonnettes au canon, rendant les hommes au départ et à l'arrivée lors de la remise au logement du Colonel. Je retrouve mes aimables hôtes et ma chambre faite par CARO parti en avant. Ah ! la perspective de se détendre déshabille dans des draps propres...

Je passe la fin de la journée au Presbytère.

 

19 h - Diner avec les convives habituels. Je suis de jour, ma Compagnie de service et suis appelé à diverses reprises, à aller au poste pour les appels, prescriptions diverses, etc.

 

* 1er décembre 1914

 

Je me suis couché à près de dix heures (22h). Excellente nuit dans un lit parfait.

 

7 h 30 - Visite des postes, puis, l'appel rendu, café au lait au Presbytère dont nous sommes les maîtres.

 

8 h - Je reviens au cantonnement ; je m'installe au Bureau de ma Compagnie pour faire ma correspondance.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille. Ma Compagnie étant de garde, j'ai ensuite des loisirs que j'occupe à musiquer dans le salon du Presbytère pendant que le groupe habituel de bridgeurs (Commandant MOREAU, le Docteur DUPONT et LEROY) se livrent à leur sport favori. On me proclame musicien consommé : je proteste modestement et lorsque je déclare ne pas savoir lire mes notes on croit (aimablement ?) à une plaisanterie.

Un renfort de 350 hommes et grades est annoncé : les deux Officiers qui l'accompagnaient sont restés en panne avec leur wagon dans une gare pas trop lointaine. Le Capitaine CHOPARD va les chercher en auto.

 

19 h - Diner très gai. Le Colonel entré soucieux et fatigué, se met au diapason et se montre le plus en train.

 

On se sépare à 21 h 15, comme d'habitude ou à peu près. Je retrouve mon lit avec plaisir.

* 2 décembre 1914

 

Lever à 6 h 30. Toilette, puis café au lait à la tambouille.

 

8 h - Je viens passer une revue en tenue de campagne avant celle du Commandant. Les hommes ont eu à peine le temps de se nettoyer.

 

8 h 30 - Revue du Commandant MOREAU, toujours bienveillant : je lui demande de dispenser ma Compagnie d'exercice cet après-midi, pour lui permettre de se nettoyer en vue de la revue imminente du Général de Brigade : il en parlera au Colonel.

Je reçois 24 hommes, dont un jeune Garde républicain dont on fera sans doute un Sergent d'active au 2ème Zouaves. Je reçois aussi un Sous-Lieutenant territorial, M. PUPIN, un Parisien qui a l'air vigoureux et intelligent : c'est un commerçant possédant 3 maisons (ameublement, comestibles et une représentation) : ça fait beaucoup.

LE GALLO m'écrit à nouveau : il va en convalescence à TULLE. Je vais lui écrire et aussi à RENE, pour qu'il le voie.

On annonce que la revue du Général a lieu cet après-midi.

Le Général doit nous passer en revue à 13 h 30. Grand branle-bas dans les Compagnies pour le nettoyage des effets d'armes.

 

11 h - Je vais voir avec le Commandant, le terrain de revue.

 

11 h 30 - Déjeuner.

 

12 h 30 - Départ du Régiment qui arrive sur le terrain à 12 h.

Formation : ligne en colonnes de Compagnie, en fer à cheval dont le centre est occupé par le Colonel et le Drapeau. Les hommes ont crâne allure, vigoureuse et suffisamment souple.

Le Général passe devant toutes les sections, formule quelques remarques, bienveillantes du reste.

 

14 h 30 - Les Compagnies sont formées en ligne déployée, formant un immense carré de 400 m de côté : à un signal, deux des côtés opposés se lancent l'un sur l'autre au pas de charge, puis à la baïonnette, se traversent et finalement ont échangé leurs emplacements, même exercice

pour les deux autres côtés du carré. Enfin, défilé en colonne par 4 et retour au cantonnement à 15 heures.

 

Vu sur les rangs, parmi les nouveaux de la 22e, GANDON le médaillé militaire et du major de ma 30e.

Fin de journée pareille aux autres : manille avec mes Sous- Officiers, très flattés, puis musique au Presbytère pendant que les bridgeurs, sombres et insolents, machinent leurs combinaisons savantes.

 

19 h - Le Colonel arrive, on se met à table et nous buvons du vin cacheté payé par les innombrables amendes infligées pour les motifs les plus saugrenus par le Président, qui est bien entendu, le Colonel ; il me donne la parole, je requiers éloquemment, le Président fait semblant de chuchoter avec ses voisins sur l'application de la peine qui est invariablement de trois bouteilles et le Greffier (LEROY) inscrit gravement la condamnation sur un carnet.

Notre charmant Colonel, pour qui les réunions de ce genre sont une détente, nous comble lui-même de gâteries, foie gras, huitres, etc... Il est très aimé de nous tous.

 

21 h 30 - Je rentre me coucher avec le même bonheur dans mon excellent lit.

* 3 décembre 1914

 

Une pluie abondante me réveille par son bruit. Je paresse délicieusement en attendant CARO qui vient me porter le bon "jus", à 7 h.

Matinée pareille aux autres.

 

8 h - Je fais ma correspondance à mon Bureau, pendant que mes hommes nettoient le cantonnement et aussi la rue, vraiment trop boueuse.

 

11 h 30 - Je déjeune sans attendre mes commensaux habituels, à cause de l'exercice.

 

13 h - Nous allons sur le terrain habituel. Le sol est sec, mes hommes manœuvrent de bon cœur, d'abord par sections séparées, ensuite d'ensemble sous le commandement de PUPIN.

Au début de l'exercice, je fais procéder au montage d'une tente abri par d'anciens Troupiers d'Afrique : nous venons, enfin, après les autres Compagnies de toucher ce matériel indispensable même en tranchée, la toile de tente individuelle servant de waterproof aux Poilus. Je fais comprendre à ces derniers, par cette démonstration que tous les accessoires touchés (ficelles, piquets) sont indispensables et qu'ils doivent les conserver avec soin ; à l'inverse de leurs camarades des autres Compagnies ; dans une marche en avant ceux-ci seraient, en cas de bivouac, obligés de dormir sous la pluie.

 

19 h - Diner à la tambouille très gai comme toujours. Je raconte des tas d'histoires écoutées avec bienveillance et dont certaines font littéralement se rouler mon auditoire.

LEROY proclame que celui qui m'a coupé le filet a bien gagné son argent. On se sépare à près de 22 h.

J'ai depuis deux jours un rhume de cerveau qui me gêne fort pendant une partie de la nuit. Je finis cependant par m'endormir jusqu'à 7 h le lendemain.

* 4 décembre 1914

 

7 h - Après toilette, je vais au petit déjeuner de la tambouille puis, selon le rite, correspondance à mon Bureau.

J'ai envoyé hier à Marthe un mandat de 400 F par lettre non recommandée : il faudra qu’elle m'annonce si cet envoi lui est parvenu ; l'Etat est responsable de l'arrivée et du reste on a la précaution d'aviser le Bureau destinataire (ici, C'est TOURNAY).

 

Temps froid et humide : la pluie est dans l'air. Nous partirons vers 4 heures pour les tranchées, mais comme ma Compagnie sera en 2e ligne, nous aurons moins à patauger : pas de boyau !

 

10 h - Réunion par le Colonel pour ordres et instructions diverses.

11 h - Déjeuner transformé en festin par MAQUARD qui rentre à l'Etat-Major combattant (il va commander la 18e pour avoir le 3e galon) et qui apporte trois boîtes de foie gras, deux bouteilles de Pontet-Canet 1907 et deux bouteilles de Moët et Chandon. Gaieté coutumière.

Le 5e Bataillon rentrera à St-PIERRE à 13 h et le 6e Bataillon ira directement aux tranchées à 16 h.

Journée paisible en attendant le départ.

 

16 h - Rassemblement du Bataillon. Mes hommes en queue.

 

En passant à St-PIERRE, arrêt à la sortie pour prendre des outils (30 pelles et 25 pioches) 10 grenades à main et 22 couvertures pour les hommes.

 

18 h - Nous arrivons à la réserve. Je trouve les deux Officiers de la 19e du 264 dans une vaste case où brûle un bon feu. Vent violent qui filtre entre les planches mal jointes de la case et éteint ma bougie que je rallume.

 

18 h 25 - Un artilleur du 45e se présente : n'ayant pas le mot, pour aller au poste téléphonique de “courants d'air".

Il a un accent alsacien et, malgré sa bonne figure jaune, je le fais conduire à sa destination, encadré de RUSQUET et de CARO, avec mission de lui casser la tête au moindre geste suspect.

Ma Compagnie reçoit l'ordre de poster à Métro, 106 créneaux de bois ; corvée exécutée par 33 hommes encadrés et sans armes.

 

20 h - Reçu, après envoi de la corvée, instructions pour laisser 30 hommes armés à la disposition de la 22e à qui sont destinés les créneaux. J'attends le retour de la corvée, à cause de l'encombrement du boyau pour expédier ce contingent.

 

Entre temps, le Sergent RUSQUET et CARO rentrent : l'artilleur était un brave garçon.

Nous cassons une croûte, grâce à PUPIN qui offre une boîte de foie gras, puis nous nous installons pour la nuit. Le vent souffle sur le plateau avec une grande violence : notre gourbi gémit, mais résiste. Je m'endors.

 

* 5 décembre 1914

 

Réveil à 6 h 30. Café apporté par LELAIN et RENAUD, tartines beurrées.

 

8 h - FARIGOUL et son Sous-Lieutenant DAMIENS viennent reconnaître le secteur.

Excursion à la recherche de tranchées à occuper, en cas d'alerte, comme soutien d'artillerie. Nous passons devant l'entrée d'une carrière qui s'enfonce sous terre en une large et droite avenue. Un Capitaine du 47e vient à notre rencontre et nous quitte vers les tranchées par un boyau.

Le vent violent a séché toute humidité. Nous rentrons après avoir visité la position.

 

12 h - Déjeuner préparé sur place par LELAIN.

Le vent continue, violent. Je vais voir mes travailleurs, mais je pousse ma promenade au-delà de la route d'Autriche à St-PIERRE, suivant un boyau qui continue le nôtre et qui nous conduit à des emplacements de batteries. BRAUD m'accompagne, je lui offre un cigare ; PUPIN nous rejoint et nous rentrons ensemble.

L'après-midi s'écoule. La pluie survient, violente, noyant le boyau. Nous demeurons, PUPIN et moi, au coin du feu, attendant la relève.

 

18 h - Relève par la 19e. Le Capitaine CHOPARD étant évacué, je vais profiter de son lit dans une maison proche de mon cantonnement. La chambre est convenable et propre.

 

19 h - Repas à la tambouille.

 

21 h 30 - Coucher. Canonnade lointaine et fusillade. Au moment où je vais m'endormir, un imbécile crie sous mes fenêtres : “tout le monde sac â dos !" Cette facétie stupide me coûte 1/2 heure de sommeil.

 

* 6 décembre 1914

 

Je m'éveille à 6 h. A 6 h 30, je vais au cantonnement où je trouve toute ma Compagnie encore endormie. Je secoue les dormeurs et à 6 h 3/4 nous partons pour le plateau où nous séjournons jusqu'à 7 h. Nous coupons des rondins et fabriquons des claies que les Compagnies de premières lignes prendront ce soir au passage.

 

Le temps est beau et froid ; mais la pluie de la veille et de la nuit a fait du pays piétiné par des pas innombrables, un cloaque où l'on patauge désespérément.

 

En rentrant au cantonnement, je fais me toilette dans ma chambre, puis, à 9 h, je viens écrire au bureau de ma Compagnie.

 

Les journaux d'hier que je lis après avoir fait ma correspondance, donnent d'excellentes nouvelles ; mais j'ai l'impression que la guerre durera encore de longs mois.

 

Journée semblable aux précédentes à ST-PIERRE. Déjeuner à la tambouille puis attente patiente et désœuvrée de la relève. Je ne dine pas avec mes Sous-Officiers n'ayant pas faim à cause du déjeuner trop proche.

 

19 h - Rassemblement pour le départ. C'est la 1ère Section, avec PUPIN, qui se joint à la 22e pour l'occupation des tranchées de 1ère ligne.

 

Nous sommes en queue du Bataillon et l'écoulement des 9 Compagnies qui nous précédent, rend notre marche très lente. A l'entrée du boyau, près de la chaussée BRUNEHAUT, interminable stationnement derrière la 24e : le boyau est plein d'eau stagnante et les hommes, profitant de l'obscurité absolue, passent à côté, le long de la chaussée. Je prends directement celle-ci, seul, et je vais en avant vers mon secteur. Je trouve FARIGOUL dans notre gîte commun. La nuit dernière a été laborieuse pour sa Compagnie qui, par une pluie diluvienne, a été effectué des corvées vers la 1ère ligne. Chaque corvée durait 2 h 30 par le boyau. Nous avons la même perspective, car un fourgon doit amener à la réserve un important matériel que la 23e portera par corvée à destination. Et la pluie commence à tomber...

 

La relève est laborieuse dans le noir, les gradés de la 19e, pressés de s'en aller, donnent en rechignant les consignes aux miens.

 

20 h 30 - CARO est arrivé depuis 1/2 heure, apportant un repas froid pour moi, rôti de bœuf, pommes de terre bouillies, beurre, fromage de gruyère, moutarde, vin. Je me laisse tenter et je mange de bon appétit. Le vent souffle, âpre de froid, la pluie tombe. Il fait chaud dans mon gîte, mais je goûte mal ce bien-être, à la pensée que mes pauvres Poilus cheminent par le boyau, dans l'eau jusqu'aux chevilles et sous l'averse.

 

CARO coupe du bois pour alimenter notre feu. Je vais me coucher et tâche de dormir quelques heures.

Je me couche ensuite et m'endors après avoir envoyé 20 travailleurs en 1ère ligne.

 

* 7 décembre 1914

 

Je suis réveillé à 6 h 30 par les cuisiniers qui apportent le café. Les corvées sont rentrées ; elles sont demeurées en route six heures et demi sur ce misérable parcours, cheminant sous l'averse, lourdement chargées, glissant à chaque pas, trébuchant, tombant ; les hommes, au retour, sont gainés de boue gluante, mais ne se plaignent pas, simplement heureux d'en avoir fini pour 24 heures et de pouvoir s'abriter en se séchant près d'un bon feu. Fort heureusement, le service des subsistances est toujours parfait : nous vivons dans l'abondance et la plupart des Poilus n'avaient jamais connu un tel luxe.

 

J'apprends par les cuisiniers que la Section PUPIN a éprouvé des aventures : la 22e qu'elle suivait, s'est égarée et quand ils ont retrouvé la bonne voie, ils ont tous, les uns après les autres, dégringolé dans une descente raide et glissante.

 

Mes travailleurs de la 1ère ligne rentrent pour éviter le boyau transformé en aqueduc, ils se profilent sur la crête : un obus les salue à hauteur d'un camion automobile gisant les roues en l'air : aucun dégât. La pluie et le vent font rage.

 

11 h 30 - Nouvel obus qui passe sifflant au-dessus de ma case et va s'enfoncer à 200 m, sans éclater, dans un champ de betteraves, près de la chaussée, incident accueilli par d'immédiats quolibets.

 

Nous nous mettons à table presqu'aussitôt, BRAUD, CARO et moi pour déguster beurre, sardines et rata fameux où je ne puise que des pommes de terre et de la sauce. Un café, un cigare (de la boîte envoyée par Pauline SOULE) terminent dignement ce repas.

 

13 h - Je fais réparer et assécher le boyau ; que restera-t- il de ce travail ce soir, avec la pluie incessante ?..

J'ai eu plusieurs lettres aujourd'hui, une d'Henri, très gaie où il me donne de bonnes nouvelles de François et deux de Marthe, avec d'amusantes ou exquises réflexions de nos petiotes , Marthe se préoccupe du froid pour moi, bien à tort, car nous le subissons rarement, pouvant presque toujours lutter contre lui en nous chauffant. Elle me propose un vêtement de fourrures bien inutile Car j'ai encore ma veste de cuir dans ma cantine.

 

14 h - La canonnade continue en s'accentuant. Des projectiles tombent à la hauteur des tranchées qui nous précèdent et leurs éclats passent en sifflant au-dessus de la nôtre. Nos batteries de 75 et de 120, toutes proches, ripostent gaillardement. La journée s'écoule sans autre incident. La canonnade ne cesse qu'à la nuit.

 

18 h - Relève.

 

19 h - Diner à la tambouille.

 

21 h 15 - Je me couche. Le vent fait rage, mais il ne pleut pas.

 

* 8 décembre 1914

 

7 h - Lever, toilette, déjeuné à la tambouille. Le bruit court que nous allons aller à l'Est.

 

9 h - Correspondance à mon Bureau.

 

12 h - Tambouille. Le changement éventuel est commenté avec animation.

La journée s'écoule sous un ciel triste et gris. Il ne pleut pas, le temps est doux. Nos grosses pièces, tirant des hauteurs voisines, ébranlent formidablement l'atmosphère.

On signale, sur le front, des tentatives boches pour entrer en pourparlers avec nos lignes : sans doute pour capter notre confiance et en profiter ensuite. Le 219e a fait accueil à une ouverture de ce genre : rencontre à mi-chemin entre les tranchées, cigares offerts par les Allemands.

Mais une sentinelle du 264, obéissant à des consignes formelles, a descendu l'un des tentateurs ; ceux-ci étaient sans armes.

 

16 h - Rassemblement pour la relève : de petits piquets ont été coupés pour la pose des fils de fer. La 23e à l'emplacement de qui tous les matériaux nécessaires à la le ligne vont être portés, sera chargée d'effectuer les corvées.

 

Ma Compagnie lourdement chargée de piquets et de paille, sans compter le fourniment chemine lentement. Malgré les ordres formels, quelques imbéciles prennent un raccourci sensible mais peu praticable et arrivent sur le plateau, précédant le reste de la Compagnie au moment où le Colonel rentrait à cheval au Cantonnement. Observation méritée. Je rassemble les coupables en les tançant vertement et nous arrivons au boyau. Ce dernier, qui paraissait praticable â son point de départ n'est plus qu'un ruisseau boueux où nous pataugeons ignoblement. Heureusement, le trajet est court.

 

17 h 45 - Nous arrivons. FARIGOUL me passe le service et s'en va avec la 19e. La nuit est opaque.

 

18 h 45 - Le fourgon de matériaux pour la première ligne arrive. Je vais commander mes corvées. Les Boches lancent des fusées lumineuses qui éclairent le terrain.

 

21 h - Nous nous couchons : quelques bottes de paille fraîche nous font un excellent lit. Très chaud.

 

* 9 décembre 1914

 

7 h - Lever, café chaud, pipe, temps doux, ciel moins menaçant.

 

8 h - Nos 75 entrent en danse. L'ennemi ne répond pas.

J'ai oublié de mentionner qu'hier soir avant notre coucher, une vive fusillade a éclaté sur notre ligne : nos canons ont donné et tout s'est calmé en 1/4 d'heure.

 

8 h 30 - Le canon cesse de tonner. Je fais nettoyer les abords de nos gîtes et le boyau.

 

11 h - La canonnade ennemie a repris très active. Cela ne nous empêche pas de déjeuner, de très bon appétit. J'ai des journaux d'hier, un roman de Conan Doyle. Les Contes de Lafontaine, des cigares, ma pipe, un bon feu : que souhaiter de plus lorsqu'il est impossible de joindre les êtres aimés ?

 

On s'efforce à la philosophie, bien qu'on sache qu'ils souffrent plus que nous-même de nos misères et de nos dangers.

 

14 h - Les Boches canonnent dur. Les obus éclatent, nombreux, à faible distance et leurs éclats passent en sifflant au-dessus de nos têtes.

 

BRAUD et PUPIN, en excursion dans le boyau, sont arrosés de terre par un projectile et le premier reçoit même dans le dos une motte de terre qui le meurtrit sans le blesser. Un des éclats, ramassé par JOSSET, semble du genre "marmite" ultra grosses (220). BRAUD porte l'objet aux artilleurs voisins pour examen. C'est un très gros obus, en fonte.

 

18 h - La relève est rentrée au cantonnement sous une pluie battante. Nous apprenons qu'il y a eu 2 tués à la 21e.

 

19 h - Diner à la tambouille. La 23e sera demain matin de corvée au plateau. Départ à 5 h 3/4.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 10 décembre 1914

 

5 h 15 - Lever, café au cantonnement et, à 5 h 45, montée au plateau.

 

Corvée de balayage de la route par la Compagnie avec balais fabriqués dans le bois.

7 h 30 - Retour au cantonnement.

 

9 h - Correspondance au Bureau de la Compagnie.

 

11 h 30 - Je reçois 2 colis : 1° Galantine truffée, 2° Bottes de laine, a... et cigares, ce dernier accompagné d'une affectueuse lettre de Jeanne avec sur l'enveloppe, un mot de Marthe.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille, gros succès de la galantine.

Le temps est morose, la pluie proche. Journée pareille aux autres.

 

16 h 30 - Départ pour la relève. Nous arrivons à 17 h 15 par le hangar, à droite de la chaussée, évitant ainsi le boyau qui, cependant, est moins humide, car la pluie a cessé.

 

19 h - Je commande les corvées pour la 1ère ligne.

 

20 h - CARO et RENAUD coupent des rondins pour alimenter notre foyer puis je mange le souper apporté par mon brave ordonnance. La nuit promet d'être froide. Le calme est presque absolu sur le front. On entend de rares coups de fusil.

 

* 11 décembre 1914

 

7 h 30 - Réveil, café, pain beurré.

 

8 h - Excursion aux tranchées de 1ère ligne avec PUPIN et JOSSET. Nous visitons le secteur que la 23e occupera au retour de BITRY. Je reconnais un chemin de relève, par le bois, qui nous évitera le retour par l'affreux boyau habituel.

 

10 h - Retour à la tranchée de réserve ou je trouve une lettre de Marthe et une autre de Tante Pauline. Toutes deux débordantes de tendresse. Marthe se plaint du peu d'application de Louise : cela n'est pas très inquiétant à son âge et la chère petite fera mieux quand elle sera assez grande pour comprendre qu'elle nous rendrait heureux en travaillant avec zèle. Je la voudrais surtout bonne musicienne, mais nous avons le temps d'y songer 1 Le brouillard épais qui a favorisé ma promenade, se dissipe. Le calme continue. Les journaux d'hier nous apportent de meilleures nouvelles.

 

11 h 30 - Excellent déjeuner.

Les Boches recommencent à canonner ferme, arrosent le plateau autour de nous, sans causer de dégâts heureusement.

 

Nos batteries répondent ferme. Je m'étends sur des couvertures et je somnole, bien au chaud.

 

15 h - La pluie recommence, abondante, noyant tranchées et boyaux qui commençaient à sécher.

 

17 h 30 - Relève : je passe par la chaussée pour éviter le boyau : la nuit est noire.

 

18 h 30 - Retour à St-PIERRE. J'ai deux lettres de Marthe.

 

19 h - Diner à la tambouille. Il paraît que la Division va être disloquée : une Brigade irait à PARIS, l'autre en Alsace. La Division serait remplacée par une autre de réserve du Midi qui n'a pas donné encore, on dit que Guist'ham serait intervenu pour qu'on laisse souffler un peu les contingents Bretons. Qu'y-a-t-il de vrai ?...

 

21 h 30 - Je me couche.

 

* 12 décembre 1914

 

Nous coupons à la corvée du plateau et je reste au lit Î jusqu'à 7 heures. CARO m'apporte du "jus", brosse mes vêtements, mes chaussures puis je me lève et fais ma toilette.

 

8 h - Café au lait à la tambouille.

 

8 h 30 - Revue de vivres de réserve par le Commandant. Je viens ensuite m'installer au Bureau ou viennent d'arriver, après tant d'autres, des vêtements de laine pour les Poilus. Les sacs de ces derniers sont archipleins, et avec le chargement règlementaire (vivres, cartouches, couvertures, tente, piquets, outil individuel) ainsi accru, sont d'un poids plus que respectable. Heureusement que les trajets quotidiens sont relativement brefs : mais, s'il fallait faire de longues marches ! Pendant la retraite sur la Marne, le 316e a fait des étapes formidables : certaines de 60 et 70 kilomètres ; beaucoup d'hommes, éreintés, avaient jeté leurs sacs.

 

11 h 30 - Déjeuner à la tambouille.

 

13 h 20 - Rassemblement pour le départ de la 23e qui est de drapeau. Cérémonie habituelle.

 

14 h 20 - Arrivée à BITRY. Je retrouve mes aimables hôtes et ma chambre. Le temps est tiède, le ciel découvert.

 

17 h - MOLGAT, que toute la Compagnie appelle par son petit nom (Désiré), rentre à la Compagnie, chargé, comme jeune Sergent d'active, des fonctions d'instructeur au peloton, des élèves chefs de section ; il a passé la semaine à BITRY, ainsi que les 2 élèves de la Compagnie, le Sergent BOULAIRE et le Caporal FICHER. Ce charmant garçon, intelligent, vigoureux, très gai, nous manquait. Il est acclamé à son arrivée au cantonnement. Manille habituelle.

 

19 h - Diner à la tambouille. J'y apprends que le Commandant MOREAU est proposé pour Officier et le bon Docteur pour Chevalier de la Légion d'Honneur : tout le monde se réjouit de ces désignations et souhaite qu’elles aboutissent, mais il n'y a que 6 croix pour la Division...

 

A ce propos, j'ai vu hier le Lieutenant d'Etat-Major de la Brigade BESSE, qui est toujours très cordial ; je n'ai pu l'interviewer sur l'abandon de ma proposition de citation, à cause de la présence de GALERNE, mais j'irai le voir spécialement aujourd'hui ou demain pour lui parler de cette question.

 

22 h - Coucher. Dans la nuit, le bruit de la pluie diluvienne, me réveille, il fait meilleur ici que dans la tranchée ! Mais dans trois jours…

 

* 13 décembre 1914

 

Lever à 7 h 30. Cérémonial habituel. La pluie a cessé.

 

fl - 10 h - Réunion des Officiers au Bureau du Colonel : communications diverses et d'intérêt moyen.

 

11 h 30 - En sortant de la réunion, nous voyons la voiture d'un épicier ambulant qui a de jolies huitres. J'en ai acheté 200 pour la tambouille. Le Colonel qui m'a rejoint, déclare vouloir offrir la moitié de ce stock.

 

 

12 h - Joyeux déjeuner. J'ai trouvé à la tambouille un colis de Marthe, chaussettes de papier, tube de vaseline contre le rhume de cerveau et chocolats a la crème ; ceux- ci obtiennent, au dessert, un succès tel, qu'ils disparaissent en un clin d'œil.

 

Les hommes passent leur journée à laver, chose qu'ils n'avaient pu faire, lors du repos antérieur, à cause de la revue du Général. Demain matin, à 8 h, promenade à cheval des Commandants de Compagnie et de Bataillon sous la direction du Colonel pour aller visiter les tranchées sises au-delà de l'Aisne : on y conduira ensuite le Régiment. Les précautions les plus minutieuses sont prises contre toute surprise qui serait ainsi sans lendemain.

 

14 h - Je vais écrire au bureau de ma Compagnie où les Sergents URVOIS, BLANCLOEIL, le Caporal d'ordinaire JEHANNO et le cuisinier LE LAIN jouent à la manille. Ils s'amusent comme des gosses, se font des niches et tournent à tout instant leurs bons regards vers moi qui suis la comme le père de famille.

 

Journée quelconque. Vers 18 h, je vais à la Brigade pour voir BESSE. Je lui demande si ma proposition de citation est annulée : sur sa réponse affirmative je lui dis que j'aurais préféré la citation au 3e galon ; il parait surpris. Je lui explique qu'un Officier de réserve peut justifier cette préférence pour des raisons de carrière, la citation, préface de la Croix, pouvant favoriser l'avancement civil et, d'autre part, la Croix pour faits de guerre, ayant pour un Magistrat, militaire seulement occasionnel, une importance toute particulière. Il comprend à merveille, mais ne s'engage pas à rouvrir la question. Je ne le lui demande, du reste, pas. Je lui parle du pauvre LA VILLEMARQUE, tué à l'ennemi et pour la famille de qui une citation aurait été un réconfort. Il répond aimablement mais évasivement. Je le quitte et vais à la tambouille où nous dégustons le reste des huitres.

 

21 h 30 - Coucher. Vent violent.

 

* 14 décembre 1914

 

Lever à 6 h 30. Toilette.

 

8 h - Rassemblement du peloton de cavaliers. Trot, galop, je me tiens tant bien que mal. Visite des tranchées, à gauche du pont, puis à droite. Le cheval de MAQUARD enfonce dans un terrain mouvant et s'abat. MAQUARD se relève sans mal. Je me décide à effectuer le court trajet de retour à pied. LEROY et FARIGOUL, prudents, étaient venus à bicyclette.

 

10 h 30 - Retour au cantonnement.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille : nous aurons encore des huitres.

 

14 h - Exercice jusqu'à 15 h seulement, la Compagnie devant prendre le service.

Le Général reçoit les Officiers individuellement, à partir de ce soir, 17 h. Je suis de la première fournée et, arrivé un peu avant l'heure, je suis introduit aussitôt.

Je suis reçu affectueusement par le grand Chef à qui BESSE a certainement dit ma déconvenue.

 

Le Général me dit son regret que "la présentation pour ma citation n'ait pas réussi..." mais il me renouvelle ses félicitations "pour ma brillante conduite et mon énergie en des circonstances particulièrement difficiles, et me promet qu'à la première occasion, il me proposera "pour le ruban rouge".

 

Il me garde un grand quart d'heure, vraiment paternel et affectueux. Je remercie avec effusion et je sors réconforté, car j'avoue que ma déconvenue avait été forte.

 

19 h - Diner à la tambouille, très gai. Le cuisinier, qui m'accueille, toujours avec un bon sourire, m'apporte, spécialement, un morceau de filet de bœuf, car les rôtis quotidiens, énormes, de viande superbe mais trop cuits à mon goût personnel, ne me tentent pas ; et tous les convives, indulgents pour ma gaité qui anime la table, pour les gâteries qu'on m'envoie et que je leur fais partager, trouvent naturel ce régime de faveur : j'ai la "cote". Il y a quelques jours, en arrivant à table, j'apprends qu'on venait de discuter sérieusement avec le Colonel si j'accepterais de demeurer dans 1'Armée après la guerre et ... on le souhaitait !

 

21 h 30 - Coucher.

* 15 décembre 1914

 

Lever à 7 h - J'ai envoyé ma culotte, défoncée, en réparation chez les tailleurs du Corps. On m'y a mis un fond neuf avec soin.

 

Je reçois de TOURNAY ma boite de foie gras, du chocolat et du tabac, tous les envois envoyés par Marthe, me sont exactement parvenus. J'apporte à la tambouille le foie gras et le flacon d'eau de vie (je réserve pour moi celui antérieurement envoyé et qui est presque intact encore). Ce supplément est accueilli avec enthousiasme et dégusté religieusement. Pendant le repas, pluie diluvienne ; je suis content d'être de service au cantonnement et dispensé ainsi de prendre part à l'exercice qui aura lieu dans les tranchées de JAULZY et, au retour, dans la plaine au-dessus de l'Aisne.

 

Quelque chose semble en préparation : sans doute une attaque générale et prochaine. Ce luxe de précautions pour assurer la solidité des lignes arrière, les renforts nouveaux qui sont amenés et qui comprendraient de forts contingents algériens, le bruit persistant que les approvisionnements d'obus sont reconstitués et que de gros canons de marine sont venus renforcer nos lignes, tout cela paraît significatif. JOSSERAND vient de recevoir de sa femme une lettre, annonçant que l'on parle à Paris d'un évènement considérable et prochain qui entraînera la brève terminaison de la lutte...

 

15 h - Arrivée d'un renfort de 198 hommes. Parmi les "bleus" c'est à qui, même en dehors des anciens de la 30e et de la 23e, viendra avec moi. VIDAILLE, mon brave compatriote, qui a obtenu une permission du Commandant LAMBIN pour aller se marier à PARIS et qui reviendra au 316e demain, s'est fait annoncer à moi en me priant de le réclamer, ce que j'ai fait avec joie.

 

Journée tranquille, à 17 h, je joue à la manille avec mes partenaires habituels de la Compagnie.

 

19 h - Diner à la tambouille. J'apprends :

 

1) que nous restons ici un jour de plus,

 

2) que nous reprenons notre ancien secteur, de l'autre côté du ravin, mais en l'étendant vers la gauche,

 

3) que nous n'aurons plus de repos de 4 jours,

 

4) que nous cantonnerons définitivement ici.

 

Voilà bien des nouveautés. Le repas est très animé et gai à souhait.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 16 décembre 1914

 

Matinée semblable aux précédentes à BITRY.

12 h - Déjeuner à la tambouille. Le Colonel annonce que la relève s'opèrera désormais toutes les 48 heures et non toutes les 24 heures. Cela assurera aux Compagnies 2 jours de repos après 2 jours de tranchées, sauf bien entendu, les alertes à prévoir avec ce qui semble se préparer.

 

Nous avons touché ce matin un lot de pantalons de marsouins, pompiers ou douaniers et de brodequins neufs.

 

Les hommes qui ont reçu de ces effets manifestent une joie puérile et bien amusante.

 

13 h - Pluie abondante : il n'y aura pas d'exercice cet après-midi.

 

LEROY est accepté comme Officier d'active, mais on lui enlève le second galon qu'il avait bien mérité cependant.

 

Les propositions faites en faveur du Commandant MOREAU n'ont pas abouti. Tout le monde l'a regretté.

 

16 h - Manille au Bureau de la Compagnie.

 

17 h 30 - Réunion au bureau du Colonel.

 

19 h - Diner à la tambouille. Dislocation prochaine de celle-ci. Le Bataillon, qui ne sera pas en tranchée, sera scindé : 2 Compagnies resteront à BITRY (19.20-23.24), les 2 autres seront à ST-PIERRE : celles-ci réserves de Régiment, les autres, combinés avec des éléments d'autres unités composeront des réserves de brigade de la Division.

 

21 h 30 - Coucher. Demain matin, excursion au secteur que nous devons occuper le soir.

 

* 17 décembre 1914

 

7 h 30 - Départ, après casse-croûte, par le chemin habituel, ravin du bois, nous trouvons nos anciennes tranchées très améliorées, surtout les abris : les postes de commandement (tranchées COUSIN et Grande Tranchée) vraiment confortables.

 

Retour à onze heures, repas à midi. Le temps passe rapidement et l'heure de départ pour la tranchée survient bien vite.

 

16 h - Nous reprenons le chemin du matin. Nous passons par le bois, prenant le sentier bourbeux, maintes fois parcouru lorsque nous occupions ce secteur : il ne s'est pas amélioré et l'obscurité compliquant notre marche, nous cheminons en file indienne, très lentement, je tombe deux fois sans me faire mal mais je m'agenouille dans la boue où je plonge mes mains.

 

18 h 30 - Nous arrivons à la tranchée et je m'y repose avec plaisir pendant que mes Chefs de Section procèdent à l'installation des hommes.

 

Le logis est chaud. J'ai ma cheminée, une bonne provision de bois, une chaise luxueuse, 2 tables improvisées, les escabeaux solides : 2 couchettes jumelles nous attendent PUPIN et moi. J'ai fait apporter deux lanternes à pétrole, m'en réservant une. Je vais diner. CARO a apporté mon repas tout préparé qu'i1 suffira de réchauffer.

 

20 h 30 - GRAVRAUD et ses hommes viennent poser un téléphone dans mon gourbi ; mais ils n'ont pas pu, dans la nuit, retrouver la ligne posée par le 219e et l'utilisation de l'appareil ne pourra se faire que demain.

 

Nous entendons une salve, suivi d'une fusillade assez vive, mais courte ; une fusée éclairante est lancée, qui illumine notre front, puis 3 coups de canon, les 2 derniers venant de nos pièces. Renseignement pris, la salve a été tirée par les Boches qui ont viré un Français : "à la baïonnette !".

Le premier coup de canon tiré par eux a reçu une réponse doublée, le Commandement ayant décidé qu'il en serait toujours ainsi désormais : nos approvisionnements nous permettent ce luxe. Tout se calme rapidement. Je me couche aussitôt et m'endors.

 

* 18 décembre 1914

 

6 h - Violente canonnade lointaine dont le bruit nous parvient en bourdonnement ininterrompu : cela semble provenir de notre gauche.

 

7 h - Les cuisiniers nous apportent du café chaud : tartines beurrées, bonne pipe. J'envoie les Chefs de Section en première ligne reconnaître de jour leurs emplacements de ce soir et prendre les consignes.

 

9 h 30 - MOLGAT, BOULAIRE et FICHER rentrent à la Compagnie : le peloton des élèves Chefs de Section est dissous depuis hier au soir, mais au moment où ils ont rejoint la 23e à BITRY, ils n'avaient pas encore pris leur repas du soir et nous étions déjà formés pour le départ. Aussi les ai-je autorisés à n'arriver que ce matin.

 

La journée s'écoule, calme, lente, sans incident.

 

16 h 30 - Nous allons à la tranchée de première ligne et je m'installe dans le poste de commandement où brûle un bon feu dans ma cheminée mobile, apportée par le 219e et gracieusement laissée à leurs successeurs. Mon gîte est plus vaste que celui de la Grande Tranchée : il a 3 mètres de large sur 5 de profondeur, il est haut de 1,70 mètre : table de fortune, chaise cannée, banc, couchettes complètent l'installation. Je vais assurer une veille efficace.

 

18 h - La nuit est obscure, le vent violent. Quelques coups de feu sur la ligne. Par téléphone, j'ai appris à 16 h que les Boches avaient démoli une mitrailleuse et blessé un homme à Rivoli.

 

19 h - Nous soupons, au chaud et à l'abri pendant que la pluie fait rage. Puis, avec mes Chefs de Section, nous ' assurons une veillée ponctuée, à intervalles inégaux, de rondes dans la tranchée. Pour nous tenir éveillés, nous causons et le Sergent poète LAPORTE dont j'ai lu de nouveaux produits cet après-midi, nous sert de thème. En deux minutes, je ponds un poème idiot que BRAUD va lui présenter en le disant œuvre de CARO. Le voici :

 

Sous les balles

 

Petit soldat quand tu quittas ta mère,

 

Ton Père et puis ta Soeur pour voler aux combats,

 

Tu ne te doutais pas que ton heure dernière

 

Serait celle de ton trépas.

 

Et cependant, quant au fort des rafales

 

Tu pensais bien que la plupart des balles

 

Quand elles ratent ne tuent pas.

 

A tes amours rêvant d'un cœur fidèle

 

Pendant que tes copains astiquent leur gourbi

 

Tu lui a écris deux mots au feu de ta chandelle

 

Sous la toiture du gourbi

 

Mais un cri retentit : en avant ! A la charge !

 

Ton cœur bondit, ton bras qui brandit le fort fer

 

S'écrie "Amis courons dans cette plaine large

 

Où passera le chemin de fer !"

 

Sus au Boche félon ! Cassons lui la mâchoire

 

De la nuque au talon avecque volupté

 

De son ventre, faisons une vaste écumoire

 

Où l'on pourra passer le thé.

 

Mais nous serons cléments et s'il faut une brique

 

Pour réchauffer son corps, dans la plaine gisant,

 

Nous la lui donnerons : Vive la République !

 

Car nous sommes de bons enfants

 

 

LAPORTE est un malade imaginaire, qui s'abreuve de thé et fait constamment chauffer des briques pour se réchauffer le ventre. Il a une instruction rudimentaire mais il a quelque peu lu, à tort et à travers, sans digérer, il est toujours d'un imperturbable sérieux, vit dans le culte attendri de son moi, brave garçon, du reste et parfaitement inoffensif.

Il est ramené par BRAUD, formule sur le poème quelques critiques anodines etc... s'endort au coin de mon feu.

* 19 décembre 1914

 

1 h 30 - Nous lançons une fusée éclairante dans la direction d'un boyau d'écoute que l'ennemi a percé à 80 mètres de notre tranchée : elle nous montre notre secteur tranquille, mais les Boches, mécontents, nous envoient quelques salves.

 

Je m'étends ensuite sur ma couchette et je dors quelques heures.

 

7 h - La pluie a cessé, le soleil apparaît, mais la tranchée et les boyaux sont inondés. Calme sur le front : coups de feu isolés.

 

8 h - Les cuisiniers apportent "le jus". Je fais assécher le boyau par des corvées.

 

9 h - Nos crapouillots de 80 font de la musique.

Les cuisiniers des Sous-Officiers nous apportent à 12 h 30 un diner qu'ils font réchauffer et qui est infect : je les tance vertement.

Journée calme.

 

A 14 h 30 visite du Général de Brigade, aimable pour moi.

 

18 h - La 20e, commandée par PLAT, vient nous relever. Nous nous écoulons par le boyau du ravineau central rapidement : dans le ravineau lui-même nous passons directement dès que nous sommes suffisamment défilés.

 

CARO me sert de guide sur ce plateau où abondent les trous d'obus et les fondrières : dans la nuit noire, avec une sûreté qui fait mon admiration il chemine vers le point désigné par moi pour le rassemblement de la Compagnie. Les compagnies du 7e Bataillon qui montent pour la relève se massent en silence en débouchant du ravin boisé. Les projecteurs ennemis fouillent l'horizon, mais leurs faisceaux passent au-dessus de nos têtes que protège la crête du plateau. La Compagnie se rassemble lentement, le 2e peloton a filé par le boyau du ravineau tandis que le 1er passait par le boyau central, se faisant embouteiller par une Compagnie montante. Nous attendons son arrivée avec 1'obscuritê, un contrôle d'effectifs est impossible.

 

Dès qu'on m'annonce que nous sommes au complet, je donne l'ordre de départ. Pour éviter le ravin fangeux, nous passons par le plateau, marchant à toute allure. Nous arrivons ainsi, par un vent des plus violents et par la pluie, au chemin qui descend vers St-PIERRE. Je fais ralentir une garde de police et une garde aux armes et m'aperçois que plusieurs escouades n'ont pas rejoint. Elles arrivent au bout de 3/4 d'heure. Il est 20 h 30. Je juge qu'on a renoncé à m'attendre â la tambouille. J'envoie dire que je ne viendrai pas et je m'installe à table avec PUPIN et mes sous-Officiers.

 

Pendant le repas, survient le Caporal OLIVERES (ancien Sergent d'active, que j'ai eu à la 30e à VANNES, Pyrénéen oriental, sérieux et intelligent) ! Il se plaint qu'au retour de la 1/2 section de garde à JAULZY un nommé KERJOUAN a bafoué ses galons : rapide enquête ; le fait est exact. KERJOUAN est un bon soldat : je ne lui porte que 2 jours de prison. Un autre troupier de la même 1/2 section, est rentré ivre : 8 jours de prison. Je mange de bon appétit. Toute la table est égayée par notre modeste confort après deux journées de fatigue. A 22 h, nous allons nous coucher.

 

* 20 décembre 1914

 

J'ai passé une excellente nuit. Toilette puis café au lait à la tambouille où je ne vois que les cuisiniers. On comptait sur moi hier soir et ma part (il y avait des huitres 1) avait été réservée. Je viens m'installer ensuite au Bureau de ma Compagnie pour écrire.

 

Les parents du pauvre BOSSE m'ont encore écrit pour me demander s'ils doivent désespérer de revoir leur fils. Hélas, le brave enfant, si dévoué, est mort de la typhoïde, nous en avons été informés il y a huit jours. Je vais répondre à ces malheureux parents.

 

9 h 30 - Nous rentrons un nouveau stock de chaussures qui sont visiblement de provenance anglaise, simples, robustes et pratiques, presque luxueuses, et aussi des pantalons, enfin quelques coupons en peau de mouton.

 

Hier, pas de lettre de Marthe : je pense être plus favorisé aujourd'hui. Dans la dernière reçue, elle s'inquiétait de savoir si la galantine m'était arrivée : or, dans mon journal, je note tous ces détails et j'avais mentionné que cet envoi m'avait permis d'augmenter le confort des repas tambouillesques. Tous les colis annoncés me sont exactement parvenus. Je me demande, par contre si toutes mes lettres et mon journal arrivent à destination.

 

J'ai passé une excellente nuit dans une confortable chambre. Réveil à 7 h l/4... mais je crois avoir noté ces détails et les suivants dans les feuillets précédents qui viennent de partir pour TARBES.

J'ai reçu de Marthe 3 colis : poires, pommes, saucisse, une petite lampe, réchaud très pratique et une bonne lettre. J'apporte les victuailles à la tambouille.

 

Il y a du nouveau dans l'air. LEROY est parti cette nuit avec ses pièces et va prendre à Attichy 2 autres sections pour coopérer avec la 37e Division. Les nouvelles sont excellentes : Serbes, Russes, et Alliés de l'Armée de _Belgique, avancent sensiblement. C'est l'heure du gros effort pour la libération du sol. Calme résolution de tous.

 

Nous changeons de cantonnement pour prendre moins bien dans les boyaux de la 19e. PUPIN et moi conservons nos chambres actuelles.

 

Journée calme. A 19 h, je vais à la tambouille où le Colonel annonce la grande danse pour demain. La 23e, en réserve de Brigade, devra être aux carrières de St PIERRE à 6 h 30.

 

* 21 décembre 1914

 

Réveil à 5 heures, rassemblement à 5 h 30. Départ à 5 h 45, arrivée à 6 h 15. Lanternes dans la carrière où quelques malheureux lapins sont prestement tués. Il pleut, le temps est aigre.

 

7 h - Début de canonnade formidable. Nous nous installons dans la carrière qui constitue une série de hautes et vastes grottes irrégulières et dont la succession s'étend, parait-il jusqu'à ATTICHY. Les ouvertures sur la campagne ont de 10 à 20 m de large : une esplanade s'étend en avant d'où l'on a une vue charmante. Tumulte soudain dans les carrières : 100 Poilus armés de leurs bâtons de route, courent, se bousculent : un lapin ! Ils tapent sur ... une peau de lapin bourrée de paille et trainée a l'aide d'une ficelle par un loustic. Rire homérique de tous, même des mystifiés. Chasse du lapin empaillé.

 

Avec les vivres emportés on organise prestement des cuisines qui flambent joyeusement. A midi, nous nous installons pour un repas très confortable : sardines, beefsteak, pommes de terre en sauce, fromage, confiture, une boîte de chocolats que je viens de recevoir avec une lettre de Marthe, vin et café. L'abondance règne, comme toujours. La canonnade continue, mais de notre côté seulement.

 

Vers 13 h, visite de 2 Officiers du 265. Je passe mon après-midi sur l'esplanade. Nous attendons des ordres. Les cuisiniers préparent le repas du soir.

 

17 h - Repas des hommes : on nous avise que nous pouvons opérer la relève que je conduirai. Nous partons à 17 h 30 par le plateau où règne un calme absolu. Le boyau d'accès à la Grande Tranchée est infect : des gabions écroulés l'encombrent. Je m'installe au poste de commandement et je dine avec appétit. Je me couche aussitôt.

 

* 22 décembre 1914

 

Réveil à 5 h, à 6 h, le Commandant MOREAU arrive pour s'installer pendant la journée. Il partage mon "jus" et nous causons cordialement. Cet homme excellent et distingué est adoré de tous.

 

Hier au soir BESSE m'a apporté deux lettres de ma chère Marthe et trois colis : foie gras, galantine truffée, mandarines et cigares. On m'annonce un aspic de Maman : quelle abondance I Je vais être obligé de commencer à réveillonner ce matin.

 

10 h - Le Commandant MOREAU retourne à son poste habituel. La canonnade commencée ce matin s'est tue : calme absolu sur tout le front.

 

11 h 30 - Déjeuner. Nous cassons la galantine qui est exquise : merveilleux rata de mon cuisinier, sardines, fromages, vin, café, cigare.

 

Je reçois une lettre de René qui m'annonce une ballotine de dinde ! J'ai eu hier une lettre de l'exquise Adrienne je suis bien en retard avec elle et lui écrirai sous peu.

 

13 h 30 - KERJOUAN, que j'ai gracié, m'installe une petite table très commode près de ma cheminée : il me promet de me fabriquer une table pliante à BITRY.

 

La journée s'écoule ainsi dans un calme assez complet ; seules quelques balles claquent ou sifflent en passant au- dessus de notre parapet. Un ballon captif, s'élevant au- dessus de nos lignes, est accueilli par une vive et inutile canonnade ; plusieurs obus retombent sans avoir éclaté.

 

16 h 30 - Nous allons en première ligne. Le calme est troublé, de temps à autre, par des coups de feu isolés.

 

18 h - Je dine sans grand appétit après le somptueux repas de midi.

 

19 h - J'ordonne les patrouilles pour cette nuit.

 

22 h 30 - Je m'étends sur ma couchette après avoir assuré le service des rondes de nuit.

 

* 23 décembre 1914

 

6 h 30 - Une des patrouilles, commandée par le Commandant BARON et comprenant le Caporal LE LAIN et KERJOUAN, a été à 20 m des boyaux d'écoute Boches, mais accueillie par deux feux de salve, elle a rebroussé chemin, sans mal.

 

Temps gris, pluie probable. Le calme continue : coups de feu isolés pour se prouver de part et d'autres, qu'on est toujours là.

 

On m'apporte une lettre de Marthe pleine d'espoir en un envoi que nous n'attendons plus, de la Brigade à Paris. Ce n'était qu'un vain bruit.

 

Notre Division fait maintenant partie du 35e Corps. Il semble que, d'un commun accord tacite, on fasse une trêve de Noël, après quoi, nous entreprendrons l'effort libérateur.

 

10 h 45 - Le Commandant MOREAU m'appelle au téléphone, on va recommencer l'opération du 21, nous devons exécuter des salves espacées, par sections alternées, 60 cartouches par homme. Objectif : les tranchées Boches, où l'on ne voit rien remuer : pendant ce temps, nos voisins attaqueront (on dit qu'ils ont progressé le 21). Notre Noël sera donc moins tranquille que je ne l'espérais.

 

On va m'envoyer une section de renfort et l'on m'avisera, ensuite, de l'heure où nous devrons commencer à tirer. En attendant, je vais déjeuner.

 

La journée s'écoule sans incident notable : visite du Colonel, toujours aimable. La pluie tombe ou plutôt le grésil. Peu de bruit à droite et à gauche. Sur notre front, feux continus d'artillerie et d'infanterie. Calme à la nuit.

 

18 h - Relève par la 20e et retour à BITRY par le plateau.

Grésil abondant, qui fond aussitôt. Le 23e assure la garde de police.

 

19 h 30 - Tambouille réduite : le Colonel LAFERRIERE, GOSSERAND, GREGOIRE et FLOCH. Coucher à 21 h. Je trouve deux colis dans ma chambre, un foie de la maison et des crêpes, envoyées par Geneviève.

Quel réveillon mes enfants 1 Je m'endors comme une marmotte.

 

 

* 24 décembre 1914

 

Je me réveille à 7 h 30. Ce bon somme m'a détendu. Je fais ma toilette avec une sage lenteur. CARO brosse mes vêtements, ma capote boueuse mais encore trop humide pour un nettoyage complet. Je me rase et, après un jus apporté par RENAUD, je descends, frais comme l'œil. Je vais au Bureau de ma Compagnie où je fais faire un bon feu, bien nécessaire avec l'absence totale de vitres aux fenêtres. Le temps est gris, humide et froid. Il neige un peu.

 

Calme sur le front. Mais il y en avait tout autant hier matin et cependant ça a barde pendant l'après-midi : on annonce un succès de nos Zouaves et tirailleurs qui a notre gauche ont enlevé une tranchée et pris une compagnie Boche qu'i1s ont tout entière passée à la baïonnette...

 

Je souhaite une fin de jour et une nuit tranquilles qui donnent un peu de repos à mes hommes. BRAUD est souffrant, lui si robuste !

 

12 h - Déjeuner à la tambouille : mêmes convives qu'hier, moins FLOCH. Je fais ouvrir la boîte envoyée de TARBES : je croyais que c'était un foie gras... ce sont des truffes exquises que nous dégustons avec délices.

 

Je reviens à mon Bureau pour y lire les journaux. Puis, à 15 h, je mande le maestro PIQUE de la Section hors rang, coiffeur dans un des premiers hôtels de Paris et lui livre mon chef qu'il allège avec élégance d'un excédent capillaire devenu gênant.

 

Journée quelconque. Manille.

 

18 h 30 - Je vais à la tambouille où j'apporte la ballotine de dinde que je viens de recevoir, nous dinons à 19 h mais nous décidons de garder cette friandise pour demain au déjeuner.

 

21 h - Je rentre au cantonnement. Ma Compagnie réveillonne et je suis convié. Soirée commence, bon feu, lampes à acétylène nouvellement reçues, jeux de cartes.

 

23 h 30 - Réveillon : huitres, volailles rôties, friandises, vins fins, café, cigares, gaité.

 

* 25 décembre 1914

 

Coucher à 2 h, lever à 7 h 30.

 

8 h - Alerte, mais stationnement à BITRY.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille avec JOSSERAND, FLOCH et GREGOIRE. Huitres, vin vieux, la ballotine de René (une merveille !), porc froid, mayonnaise, pommes frites, dessert, café. Une vraie noce, quoi !

 

Temps splendide. Vive canonnade. Nous relèverons le 5e Bataillon ce soir, à l'heure habituelle.

 

Les heures s'écoulent rapides et vides ; vers 19 h, bruit d'altercation. Je vais voir à mon cantonnement voisin où, me dit-on, des hommes du 265e sont venus embêter mes Poilus. Je vois le Caporal GUILLEMOT, un hercule, secouer d'importance un des intrus au visage sanglant. Je les sépare, chasse ses acolytes qui filent sans demander leur reste. Et comme le dernier, boueux, infect et ivre, ne part pas assez vite, sur un mot de moi, GUILLEMOT le jette dans la rue sans douceur.

 

16 h - Rassemblement et départ. Beau temps, mais brouillard grandissant. En traversant St-PIERRE, je téléphone au Commandant pour provoquer des ordres relativement à la garde du pont de JAULZY : je renvoie en arrière ma 4e Section dont la moitié assurera ce service, tandis que l'autre prendra au nord de BITRY des claies préparées pour faire des abris de mitrailleuses. En première ligne, celle-ci nous rejoindra à la Grande Tranchée, sous la conduite de BLANCLOEIL.

 

Nous passons par le plateau. Calme absolu. Des obus allemands passent très haut, allant éclater vers la ferme GASSET.

 

17 h 30 - Nous arrivons pour relever le 20e. J'ai fait emporter les 2 lampes à acétylène dont l'une éclairera mon poste de commandement.

 

19 h - Tendre lettre de Marthe et lettre très affectueuse de GRIMAUD, que, CARO, demeuré en arrière, m'apporte avec les journaux du jour. Je mange légèrement et je me couche.

 

* 26 décembre 1914

 

Nuit calme : malgré la gelée je suis au chaud dans mon sac de couchage. Lever à 7 h : café chaud. Temps splendide, froid sec, bonne flambée dans mon poste. Correspondance.

 

10 h 30 - Visite du Commandant MOREAU. Il me demande de tenter cette nuit un coup de main sur le poste d'écoute Allemande : je vais organiser cela.

 

12 h - Pendant le déjeuner, un des avions français qui sillonnent continuellement le ciel, lance une bombe chez les Allemands et s'en retourne, poursuivi par les obus ennemis impuissants.

 

Les Allemands lancent quelques obus sur notre ligne. Ce matin, l'un deux éclatant vers 10 h entre les deux tranchées à hauteur d'un boyau, a blessé légèrement à la main l'un de mes hommes qui ne s'est même pas fait panser ; j'ai appris le fait seulement à 16 h.

 

Je me couche.

 

* 27 décembre 1914

 

Nuit calme. Mes hommes brulent quelques cartouches. Les Allemands ne répondent pas.

 

Le Capitaine du Génie viendra ce matin pour examiner la possibilité de porter la tranchée en avant. Je suis chargé de l'accompagner sur notre secteur dans les deux Compagnies et de rendre compte au Colonel du résultat de nos observations.

 

Journée sans incident. Nos canons tonnent ferme et inondent d'obus les tranchées ennemies. Nos voisins d'en face ripostent un moment avec vigueur et incendient derrière nous la dernière meule de paille qui demeure sur le plateau. Les projectiles sifflent au-dessus de nos têtes, puis nos canons se font entendre seuls.

 

Vers 15 heures, le Capitaine du Génie passe dans le secteur Je suis averti un peu tard et je le rattrape seulement dans la Tranchée Petit : le froid au sortir de mon poste surchauffé me cause un malaise aussitôt dissipé.

 

Je vais au bout du secteur et je reviens rendre compte au Colonel dans ma tranchée, par téléphone. Le travail commencera cette nuit.

 

Ce matin mes deux dormeurs de la veille sont venus implorer grâce : je les ai semoncés vertement et ils m'ont promis de ne plus récidiver. J'ai été clément.

 

17 h 45 - Relève mais stationnement prolongé dans le ravineau pour attendre la première Section. La 22e s'en va par le plateau, malgré la meule enflammée qui éclaire largement. Je préfère passer par le ravin qu'on m'affirme praticable. Dès que nous sommes au chemin du bas, nous enfonçons jusqu'au mollet dans une boue infecte, épaisse et gluante qui, fort heureusement ne pénètre pas dans la chaussure. Nous finissons par arriver sur un terrain plus ferme, mais dans quel état sommes-nous, bon Dieu !

 

J'ai la migraine et sommeil. Je vais à mon cantonnement (le même, au Sud de BITRY). J'y trouve VIDAILLET qui me fait fête et me présente un nommé MARBAC, réformé de la classe 1906, engagé volontaire pour la guerre dans l'Armée anglaise, 3 fois porté à l'ordre du jour, devenu sergent, blessé et qui, convalescent, a demandé à reprendre du service chez nous. Il est venu de VANNES avec VIDAILLET et voudrait rester à la 23e, ce que je demande au Commandant.

 

Je vais à notre tambouille où je trouve le Commandant et le Docteur DUPONT. Je prends seulement du café et je vais me coucher.

 

* 28 décembre 1914

 

Je passe une bonne nuit et me réveille dispos. Après toilette, correspondance à mon Bureau où m'attend le pâté envoyé par Maman.

 

11 h 30 - Déjeuner avec le Commandant PUPIN et le Docteur DUPONT. Nous mangeons l'aspic qui est exquis. Ce n'est pas sans attendrissement que je pense à tous les soins apportés par ma chère Maman à la préparation de cette gâterie.

 

Après le déjeuner, nous jouons aux cartes. Puis, je vais à mon logis où je vois arriver le brave TEXIER qui vient m'annoncer qu'il va être évacué : ce vigoureux et gai garçon, qui m'est particulièrement dévoué, a 40° de fièvre, des maux de tête violents, de la diarrhée : je crains la typhoïde. Il me quitte très ému, je suis moi-même peiné de me séparer de lui.

 

Encore un de moins parmi les rescapés du début !

 

Le temps continue à être menaçant et humide. Le vent souffle mais il est tiède et la pluie va durer.

 

16 h - Je vais à mon bureau où viennent d'arriver des colis et des cadeaux pour mes hommes : il y a encore des pipes, du tabac fin, des cache-nez etc... Manille avec MOLGAT, URVOIS et BLANCLOEIL.

 

19 h - Diner à la tambouille. 0n vient m'apporter la clef de mon logis : le propriétaire nommé JUDAS a été coffré 'pour avoir vendu du vin à la troupe et favorisé l'ivrognerie. Après avoir diné, manille : je suis avec le Commandant.

 

21 h 30 - Coucher. Tempête violente.

 

* 29 décembre 1914

 

Réveil â 7 h 30. Café à notre tambouille. Correspondance.

 

Journée sans incident. Déjeuner à la tambouille toujours les mêmes 4 convives. Temps mou et menaçant.

 

Nous paressons en attendant le départ aux tranchées. Les 23e et 24e iront en première ligne ce soir, à la demande de GALERNE (Commandant la 24e) qui préfère cette disposition, moi cela m'est égal et j'ai pour principe de ne jamais rien solliciter, préférant m'abandonner aux évènements.

 

16 h - Départ. Il fait encore jour. Nous montons vers le plateau, très lentement. En y arrivant, je fais arrêter ma Compagnie qui est en tête pour attendre le crépuscule complet, puis je repars, en suivant la lisière du bois qui nous sert d'écran aux passages placés sous les vues de l'ennemi. Tout se passe à merveille et nous arrivons au boyau du ravineau sans donner l'éveil.

 

Le boyau, bien nettoyé par la 18e, est très propre. La tranchée a beaucoup souffert du dégel et de la pluie qui a suivi, surtout le parapet. Plusieurs abris sont inondés et inhabitables. Le poste de commandement est intact.

 

PUPIN et moi attendons nos ordonnances et la bistouille. CARO arrive seul : il a perdu en route le cuisinier de notre nouvelle tambouille, l'ex matelot BOTEAZOU.

 

Celui-ci apparait au bout d'une heure apportant les marmites fumantes, après avoir eu le bon esprit de laisser au poste du Commandant le repas de ce dernier et celui du Docteur.

 

Nous soupons, puis j'écris. Mes patrouilles sont commandées, le service assuré, je pense pouvoir dormir tranquille.

* 30 décembre 1914

 

Nuit calme, étoilée, patrouilles difficiles à cause de la pleine lune. Les Boches, comme nous, travaillent ; 2 salves les obligent à interrompre. Je dors assez mal. A 6 heures, je téléphone au Commandant le compte rendu de la nuit. Vers 7 heures, on m'avertit qu'un de mes hommes a été tué à l'instant d'une balle à la tête, tandis que, imprudemment monté hors de la tranchée, il débouchait son créneau. Je fais abattre le parapet pour ravoir le corps du pauvre garçon : il se nommait LE PETIT, et laisse une femme avec 3 petiots, sans ressources. Le corps est ramené dans la tranchée : la tête, atteinte à la nuque, a éclaté : balle explosive ? Dans le képi, on retrouve la chemise nickel de la balle, chemise éclatée et vide de plomb... Je la fais porter au Médecin-Major. Les brancardiers viennent chercher le corps.

 

Le temps se maintient, assez beau.

 

11 h 30 - CARO apporte le déjeuner, qui est excellent. Nous achevons le merveilleux aspic de Maman.

J'ai des journaux. Les nouvelles sont bonnes. Mais les progrès sont lents, quoique continus. L'offensive ennemie est brisée définitivement, mais la libération du sol sera longue à atteindre, à moins de crise économique ou de o succès russe décisif, mais nous sommes patients autant que résolus et le moral de la troupe est merveilleux. Il est vrai que l'abondance règne et que la plupart de nos Bretons n'a jamais connu un tel ordinaire : c'est presque trop et rien n'est épargné pour le bien être du troupier. Je les entends rire aux éclats à quelques facéties de loustic.

 

12 h 30 - On m'a signalé des travaux dans le secteur ennemi. PUPIN va diriger quelques feux jusqu'à la relève qui s'opère à 17 h 30. Le poste de commandement a pas mal souffert, à la Grande Tranchée, des pluies récentes. Les rondins qui soutiennent le toit sont pas mal infléchis : il faudra les étayer dès demain.

 

19 h - BOTEAZOU apporte la bistouille pendant que je joue à la manille avec VIDAILLET contre PUPIN et OLIVERES. Ce dernier est un Roussillonnais, gai et brave garçon qui, dans le "civil", exerce le métier si utile de patron d'une "maison" ; vu les circonstances, montrons-nous aussi tolérante que l'établissement de cet honnête commerçant. Je dois dire, du reste, que j'ai ignoré sa profession jusqu'à ce matin et ne l'ai apprise que par une confidence de VIDAILLET.

 

21 h - Après le diner, pipes et causerie avec PUPIN et les téléphonistes qui partagent avec nous le poste de commandement. Je vais me coucher.

 

* 31 décembre 1914

 

Réveil à 7 h 30. Chocolat exquis apporté par BOTEAZOU. Journal, pipe, bon feu. Temps maussade. Calme complet, nos canons tirent.

 

12 h - Déjeuner interrompant un travail d'étayage des rondins qui plafonnent mon poste. Les Allemands nous envoient de nombreux et inutiles obus. Tout à coup, courte et rapide rafale de nos pièces etc... mutisme de l'ennemi. Il pleut.

 

18 h - Relève, retour par le plateau. Pluie et boue. Diner à la tambouille. Manille. Je reçois deux colis et fruits confits : une lettre de Marthe, une d'Emile et une autre de Maman qui en contient une de Marthe, toutes très tendres.

 

* 1er janvier 1915

 

Lever à 6 h après excellente nuit.

 

Nettoyage au cantonnement en vue de la visite éventuelle du Médecin Inspecteur du 35e Corps.

 

10 h 30 - LEROY vient me voir. Il rentre de PUYSALERNE où il a appuyé avec ses mitrailleuses 1'attaque de la 37e Division. Gain de 200 mètres de tranchées après combats opiniâtres. L'ennemi a prononcé une contre-attaque où il a employé du pétrole enflammé : il a réussi à reconquérir la tranchée qu'occupait seule une Compagnie de Zouaves qu'on n'a pu renforcer, le passage étant battu d'un feu intense.

 

A la nuit, deux Compagnies fraiches ont reconquis la tranchée et n'ont pas fait de prisonniers... Un Zouave, capturé et amené dans la tranchée de première ligne par un Commandant qui voulait en obtenir des renseignements sur nos positions, a choisi son moment et, malgré 2 gardiens armés, s'est défilé à un coude de boyau. On a tiré sur lui, il est tombé... et est rentré en rampant.

 

Le Commandant allemand lui avait donné un cigare. Il n'a pas eu une égratignure.

 

11 h 30 - Nous allons déjeuner : huitres et champagne. Partie de cartes.

 

16 h - Je vais à BITRY pour le diner de ce soir auquel le Colonel nous a invités, le Commandant, DUPONT et moi, nous y trouvons le Docteur, LEROY, Grégoire, LE VISAGE et FLOCH, enfin, le Docteur VILAINE. Repas des plus agréables comme gaité, notre groupement reconstitué se retrouve avec joie.

Excellent menu dont une langouste superbe, une oie rôtie magnifique, haricots verts, foie gras, vins fins, bons cigares, café, liqueurs. Séparation à 22 h 30 et retour à 3 (Commandant, DUPONT et moi) a ST-PIERRE. Notre logis commun à DUPONT et moi étant fermé à clef, nous escaladons une fenêtre : coucher et bon repos.

 

* 2 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Chocolat à la tambouille. Correspondance.

 

11 h 30 - Déjeuner avec les 4 mêmes convives. Café, pipes, journaux divers.

 

14 h 30 - Je viens de mon bureau où se réunissent mes Sous- Officiers. Ils me montrent une trouvaille faite par eux dans une des boites de fruits confits envoyés par Marthe et que je leur avais offerts, sur une des séparations de papier qui isolaient les diverses catégories de fruits, est écrit au crayon :

 

"Gentil militaire qui défendez la France, à vous tous mes "bons souhaits. Francine (blondinette de 18 ans).

 

Je garde ce pauvre papier pour l'intention jolie qui a dicté sa rédaction.

 

J'ai envoyé ce matin à Marthe un paquet de correspondance par pli recommandé.

 

16 h 30 - Diner puis â 17 h 25, relève. LEROY qui a mangé avec nous, m'accompagne en tête de ma Compagnie. Nous passons par le plateau. Le clair de lune est intense. Je contourne la lisière du bois, fidèlement suivi jusqu'à la dernière anse où le 2ème peloton, pour raccourcir, prend la corde de l'arc formé par la lisière et remonte ainsi vers la crête inondée de lumière. Je cours vers les imprudents,

je les engueule et les ramène vers le bas. Le chemin s'achève sans incident. Nous arrivons vers 18 h 40 à la tranchée de 1ère ligne. Ma Compagnie, outre une section de renfort de la 22e, reçoit une 1/2 section du 67e territorial, Régiment des Deux-Sèvres. MESTAGER, l'ex juge de Paix de BRESSUIRES y est Capitaine. Je m'installe dans mon poste après avoir assuré le service de rondes.

 

20 h - Le Caporal téléphoniste GRAVRAUD, frère du Lieutenant, apporte du courrier. J'ai plusieurs lettres dont 2 de Maman, une de Marthe, une de LE GALLO. Marthe me parle des envois effectués : je les ai reçus sauf le colis de volailles, vin et mandarines.

 

On travaille en avant des tranchées sur le front de la 24e, malgré le clair de lune : un sapeur est tué, un fantassin blessé peut-être mortellement Le Caporal GRAVRAUD, qui est ordonné prêtre est allé voir et assister ce dernier qui a une balle dans le ventre.

 

Dans le courant de la nuit nous surprenons des ennemis travaillant en avant de leurs tranchées : 3 feux de salve par 4 ou 5 hommes les rejettent dans leur trou d'où ils ripostent rageusement.

23 h - Je me couche.

 

* 3 janvier 1915

 

Réveil à 6 h 30. Multiples quarts de jus. Canonnade réciproque. Matinée calme.

 

12 h - Déjeuner avec LEROY et PUPIN. On me signale 2 créneaux de mitrailleuses dans la tranchée ennemie, à droite du chemin de terre. Je rends compte au Commandant. Le 90 va tirer. Je fais placer un téléphone en face de l'objectif, en communication directe avec la batterie. Nous observons les points de chute pour régler le tir. Celui-ci atteint en plein la tranchée allemande â diverses reprises : les créneaux visés ne sont pas atteints, mais il y a de la casse à côté. Les derniers projectiles étaient à mélinite.

 

Après interruption d'1/2 heure, le tir reprend. 4 nouveaux obus sont lancés, dont un tombe dans la tranchée, à 3 mètres de la mitrailleuse.

 

17 h - Relève, nous descendons en 2ème ligne. Je suis enrhumé du cerveau et peu disposé à manger. Mais à 19 h, BOTEAZOU nous apporte une soupe exquise et des haricots merveilleux auxquels je fais honneur. Je dédaigne le rôti et termine par une excellente semoule au lait et du café.

 

Je me couche vers 22 h. Mais le feu ayant péri, QUILBAUT le rallume en employant un bois vert qui fait une intenable fumée. Je me lève et vais faire une ronde qui me permet de constater les mauvais états de quelques créneaux dont j'ordonne le débouchage ou le replacement. Je rentre ensuite et j'apprends par téléphone qu'une vingtaine de Boches ont essayé d'arriver à la tranchée de 1ère ligne qui les a accueillis par des salves efficaces.

 

Je me recouche et m'endors.

 

* 4 janvier 1915

 

6 h 30 - Réveil. Café. Correspondance. Journaux.

 

10 h - La pluie commence précédée de neige fondue. Le temps s'attiédit. L'averse est peu nourrie mais tenace. Il pleut dans mon poste.

 

12 h - Déjeuner copieux et excellent. La pluie tombe toujours. La tranchée n'est plus qu'un marécage.

 

13 h - Visite d'un Capitaine du 265 qui vient inspecter le secteur, voisin du sien, à cause d'une attaque probable sur notre front de 1ère ligne. Le Général de Division veut aussi son petit succès et, bien que sachant, comme tous, l'inutilité des petites actions partielles, justifiées seulement par des ambitions personnelles ou par le désir de donner une pitance a l'opinion publique, il médite un mouvement. Il nous a fait parvenir des instructions pour l'exécution qui aura lieu, sans doute, dans peu de jours.

 

Journée quelconque. Relève à 18 h, par nuit noire où l'on ne distingue rien, sous la pluie. Dès la sortie du boyau ce sont les Poilus doués de cet extraordinaire sens de l'orientation, qui prennent la tête et nous suivons, confiants, dans le noir absolu. Le terrain est détrempé, on se mouille mais on finit par arriver. Je trouve une bonne lettre de Marthe et une d'Henri. Je reçois un paquet de chaussettes et de cigares et aussi, de la part des GRIMAUD, une boites de crêpes dentelles.

 

Le Commandant m'apprend à table que le 265e s'en va en repos une fois de plus à notre place et nous étendrons notre secteur jusqu'à MOULIN-MOULIN inclus, jusqu'à ce que ces Messieurs reviennent. O, puissance des hommes politiques bien-pensants, tel, en l'occurrence, ce fumiste de QUIST'HAM, qui soigne ses électeurs, tels les LE BAIL et autres LE LOUEDEC, qui ont obtenu même faveur pour le 318e ! Le 316e n'a pas de représentants aussi purs tant s'en faut : un simple Duc de ROHAN et quelques autres réactionnaires !

 

Le plus clair de l'histoire, c'est que ce soir même nous remonterons aux tranchées, après 48 h de service suivies de 24 h seulement de repos.

 

12 h - Déjeuner. Visite du Colonel. La 23e reviendra ce soir à la tranchée. COUSIN y continuera le service par 24 h, avec alternance de 24 h de repos, pendant une huitaine vraisemblablement ; puis, elle ira à MOULIN-MOULIN où elle remplacera la 24e.

 

Relève à 16 h 30. Pluie battante. Le trajet par le plateau est exécrable, la boue infecte. Nous arrivons péniblement au boyau. Je m'installe et vers 19 h, LEROY me rejoint.

 

A 19 h 30, CARO et BOTEAZOU apparaissent, portant le repas : ils s'étaient égarés dans le noir absolu. Nous mangeons d'assez bon appétit. Je me couche ensuite, mais ne puis m'endormir. Le Lieutenant du Génie, dont les sapeurs viennent travailler dans la tranchée PETIT, me pousse une visite. La nuit s'écoule. CARO est souffrant : indigestion.

* 6 janvier 1915

 

Après minuit, BRAUD annonce qu'un Boche, très poli, les a interpellés, demandant des journaux et si nous ferions la paix bientôt : on lui a répondu que s'il voulait des journaux, il n'avait qu'à venir les chercher et que pour la paix, elle se ferait quand le dernier des Boches aurait crevé dans la tranchée. Il a dit que leur artillerie avait pour la plupart filé en Russie. On lui a crié : ”N'est-ce pas que Guillaume est un grand c.. ?" Il a répondu : “Oh, non I" La fusillade a interrompu le colloque.

 

Une 1/2 Section de territoriaux est mélangée à ma Compagnie.

 

8 h - Visite des tranchées. Elles sont lamentables. Je propose des mesures au Commandant : courts boyaux planches pour les tireurs, réfection du réseau de fils de fer etc...

 

Après une nuit assez belle, le temps se couvre.

 

Aucun incident notable dans la matinée non plus que dans l'après-midi. LEROY déjeune avec PUPIN et moi. Un Lieutenant de réserve d'Artillerie (90) vient surveiller dans la tranchée le tir de sa batterie. L'ennemi ne tarde pas à riposter vigoureusement.

 

Mais à un moment donné, il reçoit une bordée de 75 qui tombe en pluie dans sa tranchée d'où l'on voit fuir à travers champs une section entière. Fusillade intense.

 

18 h - Relève. PLAT m'annonce qu’un homme de la 29e a été blessé à la tête par une balle en traversant le plateau. Nous filons par ce dernier, et tel qui trainait la jambe antérieurement se retrouve très alerte avec les sifflements de balles. Nous arrivons sans accroc au point de sécurité, tout mon monde derrière moi.

 

En arrivant à St-PIERRE où le Régiment est tout entier maintenant et où l'on va retambouiller avec le Docteur, je trouve la caisse : chapon, Bordeaux, etc.. Tout est complet, en parfait état. On se met à table incontinent. Le chapon, grâce à son parfait emballage, est merveilleux de goût autant qu'imposant par la taille et par le noir contenu de sa carcasse. Le vin est dégusté religieusement.

Les mandarines, superbes, sont très appréciées, je garde pour moi le saucisson.

 

22 h - Coucher dans la chambre du haut (nous aurons à nouveau le N° de St-PIERRE comme cantonnement). Je m'endors sur un bon lit, bien au chaud dans mon sac de couchage.

 

* 7 janvier 1915

 

Lever à 7 h. Toilette. Café au lait en bas, dans la salle tambouillesque, puis correspondance.

 

11 h 30 - Déjeuner à la tambouille où nous achevons le merveilleux chapon.

Flânerie en attendant de remonter aux tranchées.

 

16 h 30 - Relève par le plateau. Des balles sifflent mais moins nombreuses qu’hier. Le parcours est pénible à cause de la boue. Nous arrivons à 18 h. Je m'installe et, à 19 h, BOTEAZOU nous sert un repas très suffisant. La pluie recommence, diluvienne au moment où rentre une patrouille composée de MORINEAU, BONNAUD et LE PLEIN Caporal : ils sont allés jusqu'au poste d'écoute ennemi où ils ont vu 3 individus fumant et causant paisiblement : les nôtres n'avaient pas emporté de grenades et ils le regrettaient...

 

La pluie persiste une grande partie de la nuit. Tranchée et boyaux ne sont plus qu’un vaste lac. L'eau envahit mon poste. Dès que l'accalmie survient, je fais commencer l'asséchage. Quel travail !

 

* 8 janvier 1915

 

Je reçois une lettre de Marthe et une autre d'Alizon : ce dernier s'imagine être sur le front à cause des lointains échos qui lui parviennent de la canonnade.

 

La matinée s'écoule sans pluie.

 

12 h - Déjeuner avec LEROY et PUPIN. Par deux fois, à deux heures de distance, 2 batteries de 75 envoient chez les Boches une foudroyante bordée de 8 coups à la mélinite qui calment immédiatement leurs velléités de canonnade.

 

15 h - Au moment où nous venions de terminer et avec quelle peine, le nettoyage et le déblaiement des tranchées, une forte tombée de grêle survient qui nous inondé rapidement à nouveau.

 

18 h - La 17e avec PLAT vient nous relever et se plaint du détestable état du boyau. Nous constatons que ce dernier et le plateau par où nous passons ensuite, sont inondés. Nous y cheminons, résignés et pataugeant, par pelotons, car, pour éviter une vaine attente dans le ravineau, j'ai emmené le 2ème peloton qui est arrivé le premier laissant à PUPIN le soin de rassembler le premier.

 

Je retrouve, à 19 h à la tambouille, notre aimable cercle habituel. On y est gai comme à l'habitude.

FARIGOUL qui est allé passer quelques jours à l'arrière pour y faire soigner une conjonctivite et qui a de nouveau les yeux malades, vient se faire panser.

 

A 21 h 30, nous nous séparons pour aller nous coucher.

 

* 9 janvier 1915

 

Lever à 7 h. Toilette, puis je descends dans notre salle à manger pour le petit déjeuner. Bien mince, l'avantage de cette arrivée directe, de même que celui inverse de la veille, mais appréciable cependant : hier soir, il m'était agréable, ayant les pieds séchés, de grimper dans ma chambre sans avoir à traverser le cloaque de la cour et les rues pour aller chercher un gîte. Après le café au lait, correspondance.

 

11 h 30 - Déjeuner à la tambouille. Hier au repas du soir, en finissant la deuxième boîte de fruits confits, j'ai trouvé le mot suivant écrit sur une des séparations : “une Française de 20 ans qui vous offre, Monsieur, tous ses meilleurs vœux et souhaits." La brave enfant ! Journée quelconque, grise et morne.

 

17 h 30 - Nous montons aux tranchées ; le 67e Régiment ayant quitté la région, ne sera remplacé que demain par le 68e, pendant l'intervalle, une section du 265e remplacera l'effectif qu’il nous fournissait et j'en emmène la moitié à la tranchée COUSIN. Le parcours devient, même sur le plateau, excessivement mauvais. Le terrain, piétiné sans relâche, creusé par les lourds souliers des hommes, et inondé par la pluie continuelle, est un cloaque où l'on enfonce à chaque pas jusqu'à la cheville et c'est incomparablement meilleur que le chemin du bas, entièrement défoncé, avec des ornières et des trous pleins d'une boue liquide où l'on enfonce jusqu'au-dessus du genou.

 

Nous arrivons enfin. PLAT me dit que l'ennemi a recommencé à canonner abondamment l'extrême droite de la tranchée mais sans succès : 2 hommes ont été simplement contusionnés.

 

Je m'installe pour la nuit. A 20 h, les Allemands canonnent à ma droite.

 

* 10 janvier 1915

 

2 h - Nouvelle bordée d'obus.

 

Matinée très calme. Bon et cordial déjeuner avec LEROY et PUPIN. Je lis "MM. les ronds de cuir" de COURTELINE dont je savoure l'ironie, l'impayable drôlerie et les trouvailles de style : dommage que ça finisse en eau de boudin par une vision de cabaret montmartrois bien inutile, mais le reste est un chef d'œuvre. Je fais le tour de ma tranchée qui est propre grâce au travail de mes hommes et à un chaud soleil bien inattendu : que durera-t-il ?

 

Le Colonel apparaît vers 14 h. Toujours aimable et bienveillant.

 

De temps en temps, les canons allemands nous arrosent, sans résultat d'ailleurs. Le temps est beau et chaud : aussi les avions sortent-ils. Un des nôtres survole les tranchées ennemies et y lance des bombes, puis s'en revient vers nos lignes. A ce moment-là seulement il est canonné par l'ennemi avec des engins dont la détonation sèche est exactement celle de notre 75 : quelque canon français capturé qu'ils utilisent sans doute. L'aéro s'enfuit et descend très loin chez nous.

 

Pour tuer le temps, je joue aux cartes avec PUPIN, VIDAILLET et BLANCLOEIL.

 

17 h 30 - PLAT apparaît pour la relève. Nous filons comme d'habitude par le boyau C jusqu’au ravineau où se rassemble la Compagnie. La demi-section du 265 se joint à celle du même régiment qui complétait la 21e et j'autorise le chef de cette section reconstituée à filer seul vers BITRY.

 

Le 2ème peloton de ma Compagnie étant au complet, je l'emmène tandis que PUPIN rassemblera le reste. Je file par le plateau qui est de plus en plus mauvais. A l'arrivée, je me déharnache entre les mains de CARO et je lis les journaux en attendant nos commensaux. Parmi eux arrive un petit St CYRIEN, nouvellement promu qui est affecté à la 24e, un de ses camarades est, parait-il, placé à la 20e, c'est un garçon très jeune, fils du chef d'escadron qui commande l'artillerie lourde (4e) à VIC sur AISNE. Il a 4 mois de service. Repas très gai, comme à l'ordinaire. On se sépare à 21 h 30.

 

* 11 janvier 1915

 

Je conduis ma Compagnie aux carrières, à 6 h, pour la veillée habituelle en vue d'une attaque ennemie au point du jour. Puis, à 7 h 30, BRAUD, qui vient d'être promu adjudant-chef, le ramène à St-PIERRE tandis que j'attends avec PUPIN le Commandant MOREAU, les Officiers du Bataillon et la 24e Compagnie qui doit effectuer un exercice de prise et d'organisation de tranchée ennemie, sur un terrain préparé, tout proche, dans ce but. Le temps incertain (il a plu cette nuit) devient tout à coup très mauvais.

 

10 h - L'exercice terminé, nous rentrons. Je vais vite faire ma toilette et je descends dans notre salle à manger pour écrire. LEROY est en face de moi. Journée terne et si pareille aux autres !

 

16 h 30 - Relève par le plateau, plus boueux et aqueux que jamais. La pluie est peu abondante, mais, dès notre arrivée, elle se déchaine et inonde la tranchée dans laquelle elle détermine des éboulements. PUPIN va en reconnaissance pour voir les dégâts, il a enfoncé dans la boue jusqu'aux genoux. L'eau envahit mon poste. Le coin de ma couchette est protégé. Je m'y installe, nous soupons, et je me couche après avoir assuré le service.

 

* 12 janvier 1915

 

Pendant la nuit nous recevons des mines qui ébranlent le sol : aucun dégât. Réveil à 6 h. Le travail a peu avancé pour le nettoyage des tranchées, faute de pelles en nombre suffisant. A force de récurer, nous creusons boyaux et tranchées tous les jours davantage et les accidents sont fréquents et inévitables, surtout avec la boue liquide dont nous couronnons sans cesse les parapets, afin de nous dégager. Nous nous consolons en pensant que l'ennemi n'est pas mieux partagé que nous.

 

Dans la journée, la pluie cesse et lorsque la 17e vient nous relever, nous trouvons le boyau praticable et le plateau meilleur, surtout vers l'Ouest.

 

LEROY a reçu l'ordre de mitrailler et détruire en 2 endroits le réseau de fils de fer ennemi. Il opérera le 14 et le 15. Y aura-t-il ensuite une attaque ? Cela semble probable. En tout cas, les points choisis par le mouvement étant très près de l'ennemi (50 et 80 m) notre artillerie ne pourra donner tout son effort sur la tranchée adverse et assurer son évacuation avant l'assaut, pas plus qu'elle ne pourra hacher le réseau défensif. Et alors ?...

 

Nous dinons à la tambouille ; toujours le même groupe sympathique.

 

21 h 30 - Séparation et coucher. Je dors bien.

 

* 13 janvier 1915

 

Réveil à 7 h. Rassemblement de la Compagnie à 8 h pour l'exercice d'assaut. Celui-ci a lieu en présence du Commandant.

 

Le temps, gris, est plus froid. Il n'a pas plu cette nuit. Pas d'ordre sur le changement de secteur ce soir. Irons-nous à MOULIN-MOULIN ?

 

Retour au cantonnement à 9 h 30. Correspondance.

 

Déjeuner à l'heure habituelle. On commente l'apparition d'un nouveau projectile de 77 allemand dont l'éclatement est suivi d'une fumée intense. Il pleut...

 

Journée quelconque. Relève à 16 h 45. Nous traversons le plateau immonde et je finis par atteindre le poste de commandement de la tranchée COUSIN. Le Caporal téléphoniste GRAVRAUD m'annonce qu'il a examiné les débris d'un des obus de 77 lancés hier par l'ennemi.

 

Aux shrapnells sont mélangés des tubes d'aluminium remplis de phosphore... Ce sont des projectiles dont les Russes ont signalé déjà l'emploi ; un seul moyen d'arrêter les effets de l'empoisonnement : la térébenthine.

 

La pluie a beaucoup abimé la tranchée ; le poste de commandement lui-même a souffert. L'Adjudant POLI, de la 17e, a tué un superbe lièvre qu'il emporte ; mes hommes en ont rapporté 2 hier soir. J'institue un mode de service de sûreté en avant de ma tranchée : 4 groupes de 3 sentinelles.

 

Je dine avec PUPIN et je me couche. La nuit est calme, il ne pleut pas.

* 14 janvier 1915

 

Réveil à 6 h par l'éboulement sur ma couchette d'une épaisse plaque de terre : résultat des dernières pluies.

 

J'apprends que mes hommes ont tué 2 lièvres qu'on ira ramasser à la nuit.

 

12 h - Déjeuner dont la partie solide est constituée par d'excellents beefsteaks cuits par CARO sur un gril de sa fabrication, en fils de fer. Au dessert, nouvel éboulement de mon poste. Il faut aviser au plus tôt. J'envoie une corvée abattre des arbres pour étayer la face menacée. LEROY a fait commencer un poste plus réduit mais plus solide, renforcé et étayé, avec des madriers que je ferais volontiers terminer et que je partagerais avec lui s'il était plus au centre de mon secteur. VIDAILLET offre son lièvre.

 

La journée s'écoule ainsi. A 18 h, PLAT arrive et nous filons. Je prends plus à droite sur le plateau et je finis par rejoindre la route : mais nous la suivons trop loin et sommes obligés de couper par les carrières.

 

J'arrive à la tambouille à 19 h 30, mon lièvre au poing. Ovation.

 

Gai repas. Coucher à 21 h 45.

 

* 15 janvier 1915

 

Lever à 7 h 30. Toilette puis je descends dans notre salle à manger où je déjeune avec le commandant. Correspondance, journaux.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille ; nous mangeons le lièvre en civet : ce dernier ne vaut pas les chefs d'œuvre de Marthe, mais il est bon tout de même et nous lui faisons largement honneur.

Après-midi semblable à tant d'autres au cantonnement.

 

16 h 35 - Départ pour les tranchées. Chemin pénible à travers plateau détrempé. Cette nuit nous ferons des tirs pour empêcher l'ennemi d'arranger son réseau de fils de fer démoli par les mitrailleuses de LEROY.

 

20 h 30 - Après un souper excellent, je vais dormir.

 

* 16 janvier 1915

 

Nuit assez calme pas de tir, à cause des travaux á exécuter : canonnade et "minen", sans effet, heureusement. Pluie peu abondante.

 

La matinée passe, très quelconque, à midi, déjeuner avec PUPIN. Tandis que nous achevons, nous apprenons que notre excellent camarade LEBLOND, mon ancien Sous-Lieutenant de la 17e à MEUDUN, blessé à MONTREUIL et qui, revenu sur le front, avait pris le commandement de la 21e, vient d'avoir la tête traversée d'une balle, au moment où il observait les résultats d'un tir d'artillerie. Le Commandant MOREAU et le Docteur DUPONT accourent. PUPIN va aux nouvelles et revient annonçant que le pauvre garçon est perdu. La mort nous est confirmée au bout d'un instant. Il avait 28 ans.

 

La pluie tombe, fine, incessante, lamentable. Nos tranchées, nettoyées ce matin, sont redevenues un cloaque. A vrai dire, c'est, malgré la pluie, le piétinement incessant de nos troupiers qui rend les tranchées et surtout chemin et plateau horriblement mauvais, car toutes les fois que nous passons pour la première fois sur une partie du plateau non piétinée, nous trouvons une herbe rase et élastique ; les chemins où l'on n'a pas trop circulé sont parfaits.

 

Journée morne. A la tombée de la nuit, VIDAILLET m'apporte une superbe perdrix grise qu'il vient de tuer. Je l'offrirai au Colonel.

 

18 h - PLAT vient nous relever. Le retour par le plateau se fait rapidement. Nous arrivons vers 19 h 15. Repas à la tambouille, attristé par le deuil du jour. Nous nous séparons à 21 h.

 

Nouvelles : un Bataillon du 265, toujours au repos à BITRY, a été alerté et est allé du côté de MONPLAISIR ; le Commandant LAMBIN est parti vers le front (!!!).

 

* 17 janvier 1915

 

Réveil à 5 h 45. Nous sommes de plateau : nous y partons à 6 h et en revenons à 7 h 30. Je prends mon café au lait puis je vais faire ma toilette et je redescends pour ma correspondance. Dans la pièce à côté, on interroge un déserteur Boche. On nous dit ensuite que, Danois d'origine et arrivé ici il y a 3 semaines, il ne veut plus faire la guerre, que son Capitaine est trop sévère et que beaucoup de ses camarades déserteraient s'ils n'avaient peur d'être pris entre les balles allemandes et les balles françaises. Ils seraient assez bien nourris.

 

10 h 30 - Enterrement de LEBLOND. L'église est comble, le Caporal GRAVRAUD officier assisté de son frère (diacre et Caporal) et du Lieutenant infirmier RABROT qui est prêtre. L'aumônier de la Division, en chasuble dit quelques prières, c'est un missionnaire barbu (comme les autres du reste) et qui circule dans le cantonnement vêtu d'un long manteau de cavalerie, le chef couvert d'un bonnet de police à 3 galons. Assistance recueillie, attristée. A notre petit cimetière, speech très ému de notre excellent Colonel qui ne peut maitriser son émotion : il nous touche tous profondément, disant tout ce qu'il convenait de dire. Le Général de Brigade prononce aussi quelques mots.

 

Le divisionnaire, à son habitude reste froid, muet et digne.

 

La pluie, cette nuit a été violente. Le temps, dans la journée, est moins maussade : cela durera-t-il ?

 

On nous annonce une riposte 10 jours à partir du 22, nous y croirons quand nous le tiendrons.

 

Déjeuner à l'heure habituelle à la tambouille. Je reçois ma culotte civile par GRIMAUD.

 

Relève à 17 h. LEROY est déjà au poste de commandement. Plusieurs mines éclatent sur la tranchée PETIT, pendant que nous soupons : 2 hommes sont blessés. GOURVENNEC demande quelques obus sur 90, pour éviter que ses hommes s'énervent. 2 coups éclatent ; sonnerie téléphonique : “arrêter le tir ! un des nôtres a été tué par un de nos obus tombé en plein dans notre tranchée avancée !". Nous sommes muets de douleur devant cette stupide maladresse.

 

* 18 janvier 1915

 

Je suis appelé au téléphone. On s'attend à une attaque allemande pour le point du jour. Toute notre première ligne va être renforcée et le 5e Bataillon va occuper la tranchée de 2e ligne, à tout événement.

 

Tout le monde est sur le pont. Fusillade intermittente à ma gauche.

 

Nous passons la nuit dans une attente résolue. Rien ne se produit. Vers 7 h, le Commandant vient s'installer auprès de moi.

 

A 8 h 30, je fais une ronde vers ma gauche, dans la tranchée nouvellement creusée en avant de l'ancienne, l'ennemi est très près. Je trouve VIDAILLET qui se distrait à établir un abri : nous causons gaiement. Tout d'un coup il porte la main à la tête et la retire pleine de sang. Moment d'émotion vive. Heureusement, la blessure causée par une balle poussée à travers un créneau, est légère.. Le brave garçon va se faire panser au poste de secours, accompagné par un homme que je désigne. Je le suis, mais il court plus vite que moi, arrosant le boyau de son sang qui coule abondamment. Il revient au bout d'une heure, la tête élégamment emmitouflée et reprend son poste. La journée passe avec la même monotonie que les précédentes. Le Commandant va déjeuner à son poste habituel. PUPIN, LEROY et moi déjeunons ensemble. Le ciel devient gris à nouveau, un peu de neige tombe. Il fait plus froid.

 

Vers 16 h l'ordre d'effectuer la relève, comme d'habitude, nous parvient. Le Commandant s'en va. Par le téléphone, j'apprends que les autres Compagnies du Bataillon sont remplacées une à une et la 17e, qui est cependant dans la grande tranchée, à 200 m derrière nous, n'apparaît pas. Elle nous fait attendre jusqu’à 18 h 30 ! PLAT en arrivant, me donne des justifications qui n'en sont pas. J'emmène ma Compagnie furieux.

 

Pour comble de malchance, tandis que je rassemble mon monde dans le ravineau, une vive fusillade éclate. Le plateau doit être balayé par les balles. J'hésite à y passer. PUPIN et plusieurs Sergents estiment plus prudent de descendre par le bois et le chemin du ravin dans lesquels des travaux d'amélioration ont été faits ces jours-ci. Nous nous y engageons donc. Au bout de 20 m, nous voyons une voie engageante, blanche dans l'obscurité. Nous y entrons... jusqu’aux mollets. C'est une nappe de boue, recouvrant par endroits des trous de 0,50 m de profondeur. Tant pis ! Il faut y aller, du reste seule la première impression est désagréable, à cause du nettoyage énorme que nous serons contraints d'effectuer une fois rentrés et séchés ; mais nous avançons moelleusement d'un pas pour ainsi dire beurré et par chance, cette boue assez compacte et grasse, sans flaques d'eau, gaine étroitement nos jambes et nos pieds, sans les mouiller.

 

A 19 h 30, nous arrivons au cantonnement, mes commensaux sont à table. Le repas est parfait. Nous mangeons la perdrix aux choux : elle est admirable. Nous l'arrosons avec du Bordeaux. Au moment du café, CHEMIN revient de sa villégiature, on l'acclame.

 

Coucher à 21 h 30. Je dors comme un bienheureux.

 

* 19 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Toilette, chocolat à la salle à manger tambouillesque et correspondance.

 

L'alerte d'hier, purement préventive, a été ordonnée à cause de l'anniversaire de la fondation de l'empire allemand.

 

Omis de mentionner hier le bombardement de ma tranchée par une douzaine d'obus percutants qui ont détruit un abri de mitrailleuses : plusieurs de mes hommes ont été renversés par les explosions, mais sans mal. Déjeuner à midi.

Champagne Moët offert par le Colonel.

 

Puis nous attendons la relève. Sans doute irons-nous en repos pendant 10 jours, à partir du 22.

 

Relève par le plateau, en suivant le chemin de ST-PIERRE à COUCENT. De la sorte, nous n'avons à traverser que quelques passages fangeux. A l'arrivée, je vante à PLAT l'excellence du chemin du ravin : il va le prendre. Chacun son tour ! Il part enchanté.

 

Je me couche vers 21 h. Je dors mal : mon lit est d'un dur J J'ai les reins moulus.

 

* 20 janvier 1915

 

Réveil à 6 h. Brouillard. On en profite pour aller sur le plateau. Derrière la tranchée, chercher des chevaux de frise pour renforcer nos défenses de fils de fer, en avant. Tout d'un coup et momentanément, le brouillard se dissipe ; mes hommes sont découverts. Fusillade. Le Lieutenant BARON tombe, frappé d'une balle à la cuisse. Le Caporal LE PLEIN se penche pour le relever : une balle lui laboure les épaules. On les dégage tous deux. Les brancardiers emportent le Sergent. L'ennemi envoie dix obus sur les chevaux de frise. Aucun mal, car dès le premier coup, la tranchée a été évacuée. Riposte des 75 : 24 obus en rafale.

 

On m'annonce que la blessure de BARON n'est pas très grave.

 

Travaux des Boches dans leurs boyaux d'écoute. Mes Poilus tirent, les travailleurs agitent leurs pelles comme des fanions de stand. J'avise le Commandant qui demande aux 90 quelques obus : le tir de ces pièces est plus qu'approximatif ; du reste, depuis l'accident de l'autre jour, ils tirent très long.

 

17 h - OLIVERES, qui vient de passer Sergent, m'apporte une perdrix qu'il a tuée à l'instant. Le gibier abonde.

 

18 h - La 17e arrive. Je passe les consignes au Lieutenant PLAT et lui conseille de faire un abri spécial pour nos 45 000 cartouches, nos 150 grenades et nos 50 pétards à mélinite. Si un obus tombait là-dedans, ce serait la marmelade irrémédiable des occupants, tandis que la disparition de tous ces explosifs nous rendra notre relative sécurité d'il y a 8 jours. Il me promet de faire le nécessaire, me dit qu'il est venu par le plateau, mais ne parle pas de son aventure de la veille dans le bois.

 

Nous filons par le plateau, moins la première section que j'ai autorisée à passer par l'escalier de l'ancien poste du Colonel et à descendre par le chemin du bas.

 

En arrivant à St-PIERRE je vais directement à la tambouille. J'y trouve notre cher Colonel qui m'annonce que le repos du Régiment sera retardé : le 265e est astreint à des travaux toutes les nuits et contraint d'effectuer chaque fois, pour l'aller et le retour, une quinzaine de kilomètres. Dans ces conditions, où serait notre repos ? Il vaut mieux attendre quelques jours. Comme je suis un peu fatigué par les dernières alertes, le Colonel me propose de rester demain soir au cantonnement pour me reposer et j'accepte avec reconnaissance.

 

Nous dinons vers 19 h 30. A 21 h, je vais me coucher et je dors assez bien.

 

* 21 janvier 1915

 

Réveil à 8 h. J'ai coupé au plateau. Correspondance après toilette. Hier soir, reçu un colis de crêpes immédiatement entamé à la tambouille et un flacon de vieille eau de vie, soigneusement mis de côté pour la tranchée.

 

Et la journée s'écoule, si pareille aux précédentes ! Le temps est détestable : la pluie tombe, très abondante. Dans quel état vont être les tranchées ?

 

17 h - Le Bataillon part pour les tranchées. Je mets en route ma chère 23e et j'ai le cœur serré de voir tous ces braves gens s'éloigner. Il pleut à flots et ils vont subir sans moi nos petites misères quotidiennes. Beaucoup, au passage, me disent un affectueux bonjour. Je vais passer au Bureau du Docteur, les deux heures qui vont précéder le diner. J'y trouve JOSSERAND et VILLENE puis le bon Docteur, un peu fatigué, ces jours-ci, vient nous rejoindre. On cause amicalement au coin du feu.

 

Vers 18 h, le Sergent infirmier RABRAUD (prêtre) apporte des journaux et annonce que mon brave Sergent BARON est mort hier au soir d'une hémorragie.. Je suis navré.

 

Repas à 19 h 30. Je revois le Commandant BERTHONIN, toujours cordial, trempé de pluie.

 

2l h - Coucher. Je dors assez bien.

 

* 22 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Toilette. Je tire de ma cantine les 3 caleçons de toile qui y restaient pour les envoyer à TARBES, moins un que je donne à CARO. Je peux ainsi loger ma culotte grise dans ma cantine.

 

Je vais ensuite prendre du café au lait à la tambouille où je retrouve le Commandant BERTHONIN. Le Docteur VILLENE, tandis que j'écris ces lignes, m'annonce qu'il a dû y avoir erreur pour l'annonce de la mort de BARON : cela va être vérifié aujourd'hui, à JAULZY par un cycliste. Je n'ose trop espérer.

 

10 h - Je vais au cantonnement de ma Compagnie. Il est occupé par le 19e (Compagnie correspondante du 5e Bataillon). Je m'y sens un peu étranger, malgré la présence de figures connues, et je reviens à la tambouille. En chemin, je vois des hommes du 6e Bataillon qui, malades, descendent des tranchées pour se présenter à la visite ; ce sont des blocs de boue ambulants. Cette fange, liquide ruisselle encore sur leurs chaussures, tandis qu'elle plaque leurs vêtements sur leurs corps, surtout a hauteur des jambes. Ils me disent que dans les boyaux, on a de l'eau jusqu'aux genoux, que les parois des tranchées s'éboulent et, piétinés par les pas innombrables, forment dans le fond, en se mêlant à l'eau, une masse boueuse presque impraticable. Mes pauvres Poilus, dans quel état les reverrai-je ce soir ? Pour l'instant, il ne pleut pas, mais le temps demeure menaçant. Cette nuit, une gelée de quelques heures a encore compliqué la situation pour les hommes.

 

Le peloton du 68e territorial qui renforçait notre ligne, nous sera retiré demain : il sera remplacé par un peloton du Bataillon au repos et ce peloton aura donc à subir 3 jours de tranchée consécutifs, sans repos. Cela pourra-t-il se prolonger ainsi ? J'en doute, surtout avec les intempéries grandissantes. Nos hommes, constamment sur le collier depuis plus d'un mois, n'ont plus le temps de se nettoyer, ni de laver leur linge et la vermine commence à les envahir. Et ils trouvent le moyen de rester gais ! Hier, deux loustics, ayant déniché dans le village des parapluies, sont montés aux tranchées en s'abritant cocassement dessous.

 

Il y a cependant quelques malades. Aujourd'hui, un de mes sergents, BOULAIRE, a été évacué pour emphysème. C'est un excellent Sous-Officier, intelligent et énergique. Je proposerai, à la place, le Capitaine fourrier KEROUHAUT.

 

12 h - Le déjeuner est des plus confortables : œufs sur le plat, perdrix aux choux, foie gras (que j'avais réservé sur les envois de Marthe au 1er janvier) crêpes de TARBES, fromage, biscuits, confiture, café ; comme vin, du Bordeaux de 1909. Je passe mon après-midi dans les bureaux du Docteur, où il y a un bon feu. Le brave CHEMIN, toujours un peu patraque, me tient compagnie.

 

15 h - Le bon Docteur me confirme la mort du brave BARON, par une hémorragie interne. On annonce que les brancardiers ramènent cinq blessés, dont un de ma Compagnie ; atteint par un éclat de mine. On ne peut me donner de renseignements sur la gravité de ses blessures. Je donne des ordres pour la préparation d'un vaste vin chaud pour mes hommes et des flambées où mes pauvres gars pourront se sécher.

 

19 h - La Compagnie rentre, couverte de boue. La nuit a été particulièrement dure : dans les boyaux, les hommes avaient de l'eau jusqu’aux cuisses et n'ont pas perdu, pour cela, leur bonne humeur. L'un d'eux que l'on pressait d'avancer, criait en riant : “Attendez que je cherche un passage ! j'ai mes c..... qui trempent !" Et tous de se tordre. Le vin chaud les met en joie. Le blessé, un nommé LALY, a été atteint par les éclats d'une grenade à fusil, mais peu grièvement, au bras et à la jambe gauches.

 

3 hommes de la 22e (section de renfort), ont été atteints plus légèrement par le même projectile. Un homme de la 21e a eu le sommet du crâne fracassé par une balle à travers un créneau : il est perdu.

 

Le repas en commun est gai comme toujours. Coucher à 21 h 30. Presqu'aussitôt nous entendons un soufflement de moteur suivi de détonations (bombes lancées par l'aéro ? Canonnade des nôtres sur ce seul oiseau ? On ne sait).

 

* 23 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Café au lait, correspondance. La nuit, étoilée a été froide. La matinée est superbe.

 

Puisse ce beau temps durer ?

 

12 h - Déjeuner cordial, comme toutes ces réunions où tout le monde se montre très affectueux pour moi. Je passe l'après-midi au bureau du Docteur qui, ne me trouvant pas la mine assez reposée, me conseille de ne pas remonter aux tranchées ce soir. Je finis par accepter.

 

Je mets en route ma Compagnie, en exemptant de sac 2 hommes visiblement fatigués. Les autres conservent leur gaîté : pendant leur dernière si mauvaise nuit de tranchée, ils ont entonné la Marseillaise en chœur : quels braves gens !

 

J'ai reçu les chaussures envoyées par Marthe, ainsi que le flacon d'huile, les chaussures sont superbes et m'iront à merveille. J'ai renvoyé, par postal recommandé, mes caleçons de toile.

 

Rencontré, pendant le rassemblement de ma Compagnie, le Général de Brigade à cheval, qui s'est arrêté pour causer avec moi, très aimablement : son Officier d'ordonnances, BESSE, promu récemment Capitaine, s'est également arrêté en passant et s'est montré cordial.

 

17 h - Je retourne au Bureau du Docteur pour y attendre le diner, qui a lieu à l'heure habituelle. Coucher à 21 h 30.

 

* 24 janvier 1915

 

Lever à 8 h. Chocolat excellent. Correspondance. J'étrenne mes brodequins : ils me vont parfaitement.

 

Journée sans incident, passée, après le déjeuner, au bureau du Docteur qui organise un poker. J'y gagne 6 F 50.

 

A 19 h, diner, à 21 h, coucher.

 

* 25 janvier 1915

 

Lever à 8 h. J'ai admirablement dormi. La nuit prochaine, à la tranchée, sur ma dure couchette (que je suis heureux d'avoir là-bas) sera évidemment moins bonne.

 

12 h - Grand déjeuner offert par le Colonel aux Officiers des 21e et 22e Compagnies. Huitres, Sauternes, jambon aux petits pois, rôti de veau (rareté), Bourgogne, pommes soufflées, foie gras, entremets crème et riz, gâteau au chocolat, Champagne (Moët et Chandon), café, rhum, grande gaité cordiale.

 

14 h - Poker chez le Docteur.

 

17 h - Relève par le plateau, très praticable, ainsi que boyaux et tranchées. Je souffle pour arriver...

 

20 h - Diner auquel je participe très légèrement.

 

Je me couche vers 22 h. PUPIN envoie mes hommes de liaison travailler à un nouveau poste de commandement entrepris pour remplacer l'actuel qui se ruine peu à peu. A minuit, un Poilu vient m'annoncer que l'un d'eux, qui repoussait la terre sur le sommet, vient d'être frappé d'une balle. Je cours sur l'emplacement : c'est mon pauvre COLLEO, charmant garçon, brave et dévoué, qui est atteint. Il est tombé dans l'emplacement creusé, d'une hauteur de 2,50 m. J'aide à le relever : il est touché près de l'aisselle droite mais on ne sait si la balle est ressortie. Il croit avoir les reins cassés, ses jambes demeurent inertes. On l'emporte vers le poste des hommes de liaison et je téléphone pour avoir des brancardiers qui arrivent au bout de 20 minutes.

 

Je me recouche et ne peux m'endormir un peu que vers le matin.

 

Aucun incident au cours de la nuit, sauf la méprise d'un homme de la 4ème section qui, étant en avant de notre réseau et voulant rentrer chez nous, est allé jusqu'au réseau boche. Il a fallu le rappeler et il rentré heureusement dans la tranchée.

 

* 26 janvier 1915

 

Réveil vers 6 h 30. Journée grise. Il ne pleut pas. PUPIN surveille la confection de notre nouveau logis. Si PLAT, par trop de hâte ne nous le gâche pas, il sera vraiment confortable. J'ai encore un homme blessé par balle à l'arcade sourcilière, à travers un créneau.

 

20 h - Déjeuner. LEROY a un fort rhume de cerveau. J'apprends par lui que je suis proposé à titre définitif pour Capitaine (je ne suis encore nommé qu'à titre provisoire et pour la durée de la guerre). Il me dit encore avoir reçu du Commandant MOREAU la confidence suivante : "lorsque le 21 septembre, en sa qualité de Capitaine, Officier de liaison à la Brigade, il vint m'apporter l'ordre de conduire le Régiment à l'attaque, se rendant compte du tragique de cette situation qui était la nôtre, avec la faiblesse ou plutôt l'inexistence du cadre d'Officiers (j'avais comme Chefs de Bataillon LEROY et l'Adjudant PATTYE), il s'en alla tout de suite pour ne pas pleurer devant nous. Il est excellent Chef et un brave qui a fait ses preuves ! Il est adoré de tous."

 

Notre artillerie canonne l'ennemi sans relâche.

 

18 h - Relève par le plateau : il est sec ! Nous arrivons en un rien de temps.

 

19 h - Gai repas.

 

21 h 30 - Coucher. Le Docteur m'a appris que mon pauvre COLLEO est mort dès son arrivée à JAULZY. Du reste, dès la blessure, le brave garçon qui souffrait beaucoup ne s'est pas fait illusion puisqu'il m'a dit, pendant que nous attendions les brancardiers : "Mon Capitaine, je suis mort." Je me suis efforcé de le rassurer, mais j'étais bien inquiet. Le poumon a été lésé mais c'est une perforation du foie qui a entrainé la mort.

 

Le 265e va venir, dans 2 ou 3 jours, nous remplacer. Nous irons nous reposer à BITRY pendant 4 jours. Après quoi on inaugurera un nouveau système de service : nous passerons 3 jours à la tranchée, puis nous descendrons passer un jour de repos ici : nous remonterons 3 jours, nous aurons 1 jour à St-PIERRE puis le Régiment ira se reposer 4 jours à BITRY. Cela afin de pouvoir renforcer notre première ligne. J'en suis heureux, malgré le surcroît de fatigue, parce que nous serons beaucoup plus solides en cas de coup de chien. De plus, je crois que nous allons avoir sous peu un renfort du Dépôt.

 

* 27 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Je mets ma culotte civile pour permettre de réparer celle d'uniforme qui est déchirée à une poche.

 

Temps gris et froid.

 

Correspondance à la tambouille. Le Colonel me promet 3 tôles ondulées pour couvrir mon nouveau poste.

 

Journée quelconque. De 14 à 16 h, poker chez le Docteur.

 

A 17 h, relève. Etant donné le temps sec, je passe par le ravin : le passage dans le bois, à flanc de coteau est encore assez boueux, mais praticable. En raison de l'anniversaire du KAISER, mon Bataillon a passé la journée au cantonnement, sous les armes et le 5e Bataillon, qui rentre à St-PIERRE, demeurera cette nuit en alerte.

 

18 h - Nos canons tonnent sur l'ennemi (pour l'anniversaire ?).

 

19 h 30 - Diner avec LEROY et PUPIN. On apporte pour la corvée de la 22e, les tôles ondulées ; il y en a 3, de 120 kg chacune (2,60 m x 1 m) et sans doute en faudra-t-il 2 de plus : je les demanderai au Commandant.

 

20 h - Je vais visiter mes Poilus dans la tranchée. La nuit est splendide. Le clair de lune permet de voir comme en plein jour. Je passe un instant au poste de MOLGAT (Zème Bataillon) et aussi au poste de la 1ère Section. Je reviens ensuite à l'autre extrémité où je m'assieds un moment chez VIDAILLET dont le poste est d'un confort achevé : bancs, table, étagères, cheminée, porte hermétique etc... Ces messieurs (VIDAILLET, OLIVERES, BLANCLOEIL et URVOIS) jouent aux cartes. Tandis que le bon LUCAS les contemple. Partout on me fait fête et sur tout le parcours les Poilus me disent un mot.

 

22 h - Je rentre dans mon poste et je me couche.

 

* 28 janvier 1915

 

Réveil à 6 h 30. Jus. Je vais voir où en est la construction du nouveau poste : elle avance sérieusement, le poste sera fortement étayé de rondins multiples et constituera le chef d'œuvre du genre.

 

8 h - Correspondance.

 

Journée sans incident. Les travaux d'aménagement de mon nouveau poste se poursuivent. Les parois en seront clayonnées pour empêcher les éboulements ; tout sera fortement étayé et l'on vient d'achever la pose d'un confortable plancher. Un banc et 2 couchettes superposées complèteront, avec une table pliante, le plus luxueux ensemble. J'ai demandé 2 nouvelles tôles ondulées pour achever la couverture.

 

15 h 30 - Visite du Commandant COMMAILLEAN, du 265e, et des Officiers de son Bataillon, qui viennent faire connaissance avec le secteur. Mais ce Bataillon, devant occuper les sous-secteurs de gauche, s'arrêtera au boyau G et le Commandant de la Compagnie de droite ne pourra profiter de mon nouveau palais.

 

La journée s'achève dans le calme et nous effectuerons la relève à l'heure habituelle, par un clair de lune splendide. Nous prenons à cause de cette clarté le chemin du bois et du ravin ; nous passons par le large sentier où il y a peu de jour, nous avions enfoncé jusqu'à mi-jambe, mais aujourd'hui, grâce au froid sec, nous cheminons à l'aise, proprement et rapidement.

 

A table j'apprends que l'on va tirer au sort les sous- secteurs de Bataillon. Si nous (6e Bataillon) avons le sous-secteur de droite, je garde ma tranchée et surtout mon château, sinon je serais obligé de construire à nouveau : mais je serai peiné de voir les gros travaux et l'affectueux dévouement de mes hommes profiter à d'autres.

 

Coucher à 21 h 30.

 

* 29 janvier 1915

 

Réveil à 7 h 30. Correspondance à la tambouille. Pendant que j'écris, l'aumônier de la Division, grand gaillard blond et barbu qui ne circule qu'en manteau de cavalier et bonnet de police à 3 galons, vient prendre un chocolat auprès de nous. Après avoir dit sa messe dans notre modeste église, toute crevée par les obus.

 

10 h - Je vais à mon cantonnement pour préserver une revue que je passerai à 14 h. CARO me remet une lettre de Marthe où la chère petite me dit les précautions touchantes qu'elle prend pour assurer la conservation de mes feuilles de carnet. Le temps splendide depuis 3 jours se couvre légèrement mais le froid demeure vif et peut être n'aurons- nous pas encore la pluie.

 

Journée sans incident. Poker chez le Docteur.

 

Relève à 17 h par le ravin.

 

20 h - Vives fusillades par salves ennemies sur la partie gauche de mon secteur : mes hommes attentifs, ne répondent pas. Cela finit assez vite.

 

23 h 30 - Je me couche et m'endors.

 

* 30 janvier 1915

 

Réveil à 5 h 45, mais je ne me lève pas tout de suite. La nuit a été froide et claire. La matinée est superbe. KERJOUAN et BONNEAUD travaillent au nouveau poste de commandement. Ce dernier promet d'être le chef d'œuvre du genre. Déjeuner à 3, avec PUPIN et LEROY. Et puis nous allons voir travailler nos ouvriers, les aidant même, par instants, pour poser les rondins et les tôles de la toiture. Le poste sera vite achevé maintenant. Il a 4,70 m de long sur 2,60 m de large. Il est planchéié, au fond se trouvent deux couchettes superposées, sur un côté un long banc, sur la face opposée une cheminée mobile, butin d'origine inconnue ; à côté de la porte une tablette pour les téléphones. et une banquette pour les téléphonistes. La toiture est constituée par des tôles ondulées de 1 m x 2,60 m et pesant 120 kg pièce : on les chargera de terre.

 

Tout l'après-midi tir de 75 sur les voisins d'en face. Fracas assourdissant, bouleversement de leurs tranchées : des menus éclats retombaient jusque chez nous.

 

Relève à 18 h. J'emporte un lapin de garenne offert par un Poilu.

 

Un nouveau chef de Bataillon, en surnombre, nous arrive : élégant et distingué il fut "melon du Colonel" à St-CYR et à l'école de guerre. Chef de Bataillon depuis 6 ans, il devait passer Lieutenant-Colonel au moment où la guerre a éclaté. Il a été Chef d'Etat-Major de la 21e Division, mais évacué en août pour insolation. Il a l'air aimable. Je lui pardonne aisément de m'enlever ma chambre, bien que la nouvelle où je m'installe dans une maison touchant à mon cantonnement, soit beaucoup moins bien.

 

19 h 30 - Repas très gai, causerie très cordiale et intéressante, car le milieu est vraiment élevé.

 

21 h 30 - Coucher dans mon nouveau local. Je n'y suis pas trop mal mais l'on voit qu'il n'y a plus de femme dans la maison, car la poussière est énorme. Je dors cependant fort bien.

 

* 31 janvier 1915

 

Lever à 8 h.

 

Hier, pendant notre canonnade, un éclat de nos obus a percé la capote de CARO sur l'épaule, sans le blesser, heureusement, Les Poilus étaient fous de joie en voyant voler en l'air les parapets Boches que nos 75 démolissaient, en suivant la ligne ennemie. Ils hurlaient des invectives et, à la 4e Section, GUILLOTIN clamait plus haut que les autres. La veille, à 20 h, cet animal criait : "Allons, les gars, â la baïonnette !" d'une voix tonitruante, et nos voisins d'en face, émus, tiraillaient comme des perdus dans le vide.

 

Le nouveau Chef de Bataillon se nomme MEANDRE de SUGNY.

Toujours pas reçu le colis de fruits et foie gras annoncé par Marthe.

Journée pareille aux précédentes. Déjeuner à la tambouille et poker chez le Docteur (je perds 20 sous !). Entre temps, je confie ma tête au grand artiste PIQUE.

 

17 h - Relève par le ravin. Léger dégel mais pas de boue. Il a neigé durant l'après-midi. Le ciel demeure couvert.

 

J'inaugure le nouveau poste, que KERJOUAN et BONNEAUD, sous la direction de PUPIN, ont terminé en venant passer la journée en première ligne. Le feu flambe dans la cheminée, je fais allumer une lampe à acétylène, apporter une table rustique, ma chaise cannée, et je m'installe.

 

Diner puis veillée. Vers 22 h, arrivée de DAGUIN, Lieutenant du Génie ; manille avec LEROY et PUPIN.

23 h 30 coucher. Le poste dont les parois dégèlent et suintent, est humide. Des plaques de terre tombent. Le clayonnage devra être complété.

 

* 1er février 1915

 

Lever à 8 h seulement, bien que je sois réveillé depuis 2 h. Vers le milieu de la nuit, j'ai dû me lever pour me réchauffer les pieds auprès du feu.

 

Il dégèle ferme et il pleut. La tranchée devient boueuse.

Tout le jour, nous travaillons à perfectionner le poste que nous clayonnons entièrement.

 

18 h » Le Capitaine DUPLESSIS et la 18e Compagnie du 265, viennent nous relever.

 

Départ par le plateau, car nous nous méfions de la boue du ravin. Nous filons directement sur BITRY, sans passer par St-PIERRE, l'arrivée de mon Lieutenant Major m'annonce que nous retrouvons notre cantonnement habituel et moi ma jolie chambre.

 

Lettre de Marthe et colis cigares et chocolat.

 

19 h 30 - Réunion nombreuse à la tambouille. J'apprends que je suis proposé pour la Croix russe de Ste ANNE, au titre militaire ! Ça me fait plaisir et je remercie mon excellent Colonel. On me demande des propositions pour Sous- Lieutenant temporaire : je présente BRAUD et MOLGAT.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 2 février 1915

 

Journée de vrai repos. Je la passe tout entière au Presbytère qui est notre logis et réunion d'officiers.

 

Correspondance, déjeuner, poker, diner dans la même pièce accueillante et chaude. La chance, au jeu, me favorise et j'offre à mes commensaux 3 bouteilles de POMARD qui sont les bien accueillies.

 

21 h 30 - Coucher dans ma bonne chambre. La Compagnie a été obligée d'aller ailleurs. Elle s'est convenablement logée, mais PUPIN et moi conservons notre perchoir, car nous ne saurions trouver mieux.

 

* 3 février 1915

 

Temps très acceptable, pas de pluie et, par moments, du soleil. Le repos continue.

 

J'ai un nouveau Sergent. C'est un briscard, qui a fait 15 ans de légion, médaillé de Chine et du Maroc, blessé dans ces deux campagnes et blessé encore en Argonne. Il était au 13le : c'est un Belge naturalisé. Il se nomme de BEUVE.

 

Demain revue pour remise des décorations par le Général EBENER à 20 kilomètres d'ici. Au retour, tranchée dans le secteur n° 1. Les Poilus, qui n'ont pas marché depuis des mois seront vannés...

 

Après-midi au Presbytère. On joue toujours petit jeu.

 

19 h 30 - Diner.

 

21 h 45 - Coucher.

 

* 4 février 1915

 

Lever â 6 h 30. Toilette et rassemblement pour la revue préparatoire du Lieutenant-Colonel. Celle-ci se passe sans autre incident que les vols d'aéros boches.

 

Repas avec le Commandant BERTHOUM qui commandera le détachement.

 

Départ à 10 h 45. Route très belle (12,3 km) mais longue pour mes Poilus, lourdement chargés et déshabitués de la marche.

 

Beau coup d'œil : spahis marocains et algériens, Zouaves, Turcs, aux tenues fantaisistes, fantassins et artilleurs.

 

Fin de la revue à 14 h, On repart presqu'aussitôt. Le retour est pénible.

 

Arrivée à 17 h 30. Je dine avec mes Sous-Officiers. Tous vannés : 30 km !

 

19 h - Départ pour la tranchée du secteur n° 1. Route confortable, mais si longue pour mes hommes esquintés. Nous passons par une passerelle en rondins longue d'un kilomètre et qui est le chef d'œuvre du 264.

 

Je m'installe au poste de commandement qui m'est réservé et que je partage avec un Lieutenant de Dragon fort aimable (M. de FLORIK, Officier démissionnaire) et remarquablement intelligent. Un autre Lieutenant de Dragon, fort distingué, M. PATRICOT, aussi, complète la petite société que je trouve en arrivant et nous causons ensemble de la façon la plus intéressante.

 

* 5 février 1915

 

Après une nuit tranquille, je vais voir le Commandant du Sous-secteur n° 1 à qui je dois fournir des travailleurs. C'est un homme de 59 ans, ancien professeur à St CYR, belle figure de soldat, qui circule sans cesse en tête et qui, paraît-il, a perdu un fils jeune Officier d'avenir, dès le début de la campagne. Il se nomme de SENIL.

 

12 h - Déjeuner avec PUPIN et les Dragons. J'offre les excellents cigares envoyés par Marthe. Vive canonnade et fusillade réciproques. Des balles sifflent au-dessus et autour de nous quand nous circulons devant la Caverne, à l'emplacement où j'ai commandé le 5ème Bataillon en octobre.

 

15 h - Le détachement de Dragons s'en va.

 

17 h 30 - Relève par la 17e. Le chemin est long pour nos pieds fatigués. Au cantonnement, je trouve le colis de Marthe : fruits frais et confits, foie gras, chocolat. Je porte fruits et foie à la tambouille. Grande joie de notre aimable groupe. Le foie est déclaré merveilleux, Marthe est proclamée pour le nième fois "bienfaitrice de la popote” et nommée "Membre d'honneur“.

 

Coucher à 21 h 30.

 

* 6 février 1915

 

Il pleut, mais le temps est tiède. Je me réveille reposé. Je vais au cantonnement où je fais de la correspondance, puis je redescends à la tambouille où je lis les journaux jusqu’au déjeuner.

 

12 h - Grand déjeuné où le Colonel a convié les Officiers des 18e et 20e Compagnies. Huitres, omelette, dinde, petits pois, foie gras, Sauternes, Nuits, Moët et Chandon, nombreux desserts, café, cognac, grande gaité cordiale.

 

15 h - On joue aux cartes.

 

Le Commandant de SUGNY est nommé au 170e où NICOLLET est Capitaine. Le Régiment est tout proche et NICOLLET a pu faire ici hier une courte apparition.

 

19 h - Diner.

 

21 h 30 - Coucher.

 

Echo de la Brigade : hier sur notre secteur habituel, un brancardier du 265e désireux d'enterrer un cadavre français gisant entre les 2 lignes depuis les combats de septembre, agite un mouchoir blanc : signal pareil chez les Boches. Le brancardier sort de la tranchée, un Boche en fait autant qui savait le français : le premier mot de l'ennemi a été : "Est-ce qu'on ne fera pas bientôt la paix ?"... Le cadavre enterré, chacun est rentré chez lui.

 

* 7 février 1915

 

Lever à 8 h. Visite à mon Bureau de Compagnie, puis correspondance à la tambouille. J'envoie à Marthe un paquet de correspondance ancienne. Ma Compagnie étant de service, je dispose de quelques loisirs interrompus seulement par les distributions que je vais surveiller. J'apprends que le

Général DELARUE est nommé au commandement d'une Division et l'on ne sait pas encore qui le remplacera.

 

12 h - Déjeuner, très gai, comme toujours. Après-midi consacrée à ma Compagnie où viennent d'arriver 35 hommes de renfort, dont 20 de mes blessés de MOULIN-MOULIN qui m'ont prié de les reprendre. Le détachement est de 330 hommes conduits par GAUTEREAU : les conards de VANNES sont immuables là-bas !

 

J'ai reçu un colis de saucisse et de chaussettes ; je réserve les victuailles pour la tranchée, c'est à dire pour demain, en 2ème ligne. Notre repos mitigé (1 jour de service sur 4) se prolongera peut-être encore.

 

Lettre de Marthe très tendre avec entrefilet de journal sur le danger offert par certains créneaux : que la chère petite se rassure I Nous sommes depuis longtemps avertis de ces risques et nous les évitons par quelques précautions élémentaires, tel que l'usage constant des périscopes. Lettre aussi, très affectueuse, de René qui m'annonce l'envoi de victuailles.

 

Il me conseille, pour avoir un peu de repos et pouvoir me retaper, de demander, au moins momentanément, un poste de rapporteur, près un Conseil de Guerre ! Je ne peux pas, il devrait le comprendre, demander cela et cependant je l'accepterais volontiers car j'aurais besoin, après ces 6 mois de tension nerveuse constante, d'une telle halte me permettant de souffler un peu. Tout l'état-major d'0fficiers s'est renouvelé depuis septembre, seul le Commandant MOREAU, LEROY (mitrailleur) et moi ! Je suis le Doyen des Commandants de Compagnie et je dois reconnaitre que j'ai, auprès de tous au Régiment, une situation exceptionnelle. Le Général de Brigade recevant PUPIN hier, lui a fait de moi un éloge ému. Quel Chef parfait et combien justement aimé ! Je suis heureux pour lui de sa promotion, mais je regrette du fond du cœur, de le voir nous quitter, et cette opinion est générale.

 

19 h 30 - Tambouille : parmi les convives, un cousin du Colonel, Sergent nouvellement arrivé, aimable, intelligent.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 8 février 1915

 

Matinée pareille aux précédentes.

 

Beau soleil.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille. Le temps aigrit et se brouille. Ma Compagnie va aux bains douches sous la conduite de BRAUD.

 

LE PLAIN est cité à l'ordre de la Brigade pour son acte de courage (blessé en portant secours à LE BARON).

 

15 h - Je reçois les 3 colis de charcuterie envoyés par Marthe. Je vais emporter une partie aux tranchées ce soir.

 

CARO m'apporte une cantine supplémentaire que m'ont fabriquée les sapeurs. J'y loge pas mal de choses et m'allège d'autant.

 

17 h - Relève pour revenir dans le secteur RIVOLI où je retrouve de FLORIS et PATRICOT. Le Commandant de SENIL continue à s'agiter dans le vide, circulant en-tête, de jour comme de nuit.

 

19 h - Repas avec les Dragons. Je me couche à 22 h 30.

 

* 9 février 1915

 

Lever à 7 h, après une assez bonne nuit. Je cause longuement avec les Dragons toujours aimables. Nous déjeunons ensemble à midi. La pluie commence à tomber. Après une promenade sous-bois, dans le ravin, avec le Commandant, je reviens dans mon poste de commandement.

 

18 h - Relève : nuit complète. Tambouille. Le Colonel dine chez le nouveau Général de Brigade.

 

Coucher à 21 h.

 

Marthe, dans une lettre récente, me demande mon avis pour des leçons de piano qu'elle voudrait faire prendre par Louise avec Mme SOUBERBIELLE. Je ne crois pas indispensable de donner à notre petite un aussi grand professeur pour franchir les premiers pas en cette matière. Melle CADILLON

y suffira et nos finances (auxquelles il faut plus que jamais songer avec la terrible crise que nous traversons), s'en trouveront bien.

 

Reçu lettre d'Henri qui a vu de rudes et dangereuses journées et s'en est tiré sain et sauf.

 

* 10 février 1915

 

Lever à 7 h 30 et programme habituel. Correspondance à la popote.

 

12 h - Déjeuner. La nouvelle nous parvient qu'il y aura demain une revue du Général en Chef sur le même terrain que l'autre jour : un Bataillon du 316e y prend part dont ma Compagnie ; mais comme cette dernière ne devra pas prendre immédiatement le service, nous aurons le loisir de nous reposer au retour. Et puis, cela nous permettra de faire connaissance avec le Grand Chef.

 

19 h - Après une visite à mon cantonnement, je reviens à la tambouille. La revue aura lieu à 11 h. Donc, départ à 7 h 30 avec repas froid consommé avant le retour.

 

19 h 30 - Diner où l'on mange le boudin de Tarbes.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 11 février 1915

 

Réveil à 6 h. Rassemblement à 7 h 15. Départ à 7 h 30, par brouillard qui rend la marche agréable, car on n'a pas trop chaud. Arrivée à 10 h 30. Nous nous plaçons comme la dernière fois et nous attendons... jusqu'à près de midi.

 

Enfin, des autos paraissent, sonnerie "aux champs", un groupe descend au loin, les récipiendaires de la Légion et de la Médaille Militaire vont avec tous les titulaires anciens vers ce groupe. Nous soupçonnons que la cérémonie des décorations s'opère, puis nous nous formons en colonne double lignes de sections par 4, face à droite et nous défilons au son de la musique du 2ème Zouaves. Nous déblayons ensuite le terrain. Les Officiers montés sont appelés auprès du Général JOFFRE, n'ayant pas pris mon cheval, je demeure. Nous voyons les Officiers de cavalerie se précipiter au galop de charge, notamment les spahis, puis, les nôtres reviennent. Ils ont vu le Grand Chef qui "espère nous faire sortir bientôt des tranchées" et nous déjeunons de bon appétit.

 

A 13 h 30, retour allègre.

 

17 h - Poker au taux réduit.

 

19 h 30 - Diner très gai.

 

21 h 30 – Coucher.

 

J'ai eu une lettre de LE GALLO et une autre de CHEMIN, toutes deux très affectueuses et auxquelles je vais répondre sans retard.

 

Ce soir, à table, j'ai su par un mot du Colonel que des propositions pour la Légion d'Honneur, lui avaient été demandées : comme les antérieures n'avaient pas réussi, il les a renouvelées et cela sans m'y comprendre, crois-je, car ma candidature pourrait nuire à celle de notre exquis Docteur. Mais je vois qu'il a proposé le Lieutenant PLAT qui, Officier d'admission Colonial, a demandé à venir le 20 septembre sur le front et a été blessé légèrement le jour même, ce qui lui a permis de passer plus de 2 mois loin des marmites.

 

Et le Général DELARUE dont les bonnes dispositions pour moi auraient pu se manifester en ce moment, n'est plus là pour tenir les promesses qu’il m'avait faites. Ce sont les petits ennuis du métier et je ne fais que mentionner l'incident sans lui attacher plus d'importance. Mon Colonel est parfait pour moi et je suis sûr d'avoir son estime.

 

* 12 février 1915

 

Lever à 8 h. Programme habituel. Toute la nuit dernière, forte canonnade. Ce matin tout est blanc de neige qui, du reste, commence à fondre.

La journée s'écoule, sans incident, en attendant le départ pour la tranchée.

 

17 h - Rassemblement, départ, arrivée à 17 h 45. Je me présente au Commandant de SENIL qui me donne des ordres. Je vois aussi de FLORIS qui va en première ligne, avec ses Dragons. Ces derniers ont donné aux mitrailleurs leurs carabines qui, avec les créneaux font des retours de flammes et ont reçu, à la place, des LEBEL avec baïonnette.

 

19 h - Je dine en tête à tête avec PUPIN.

 

* 13 février 1915

 

Réveil à 7 h. Il pleut. Je me calfeutre dans mon poste, bien clos et très chaud. Le Commandant de SENIL continue à s'agiter, mais il me fiche la paix depuis notre conversation de la dernière garde. Comme il me demandait si je n'irais pas visiter mon peloton de 1ère ligne, j'ai répondu que non : à son interrogation étonnée, j'ai riposté que ce peloton étant passé sous le commandement des Commandants de Compagnie du 264, je ne croyais pas pouvoir aller en Chef dans un secteur étranger, ajoutant : "Nécessité de service, soit ! Je m'incline, mais ça m'embêterait. Je vois mes hommes obéir à d'autres Chefs, car mes Poilus, c'est mes Poilus à moi !", il s'est mis à rire, m'a dit qu'il me comprenait et n'a pas insisté. Nous sommes au mieux.

 

11 h - Il pleut toujours. Déjeuner. Je mange des miches, comme hier au soir, du reste, et avec le même plaisir.

 

Manille avec PUPIN, VIDAILLET et OLIVERES. L'ennemi canonne ferme avec de grosses marmites dont l'une tombe au milieu d'un groupe du 264 ; deux morts, trois blessés dont deux très grièvement. Balles dans le ravin.

 

Le temps s'éclaircit, mais cela ne durera pas, car le vent est fort.

 

17 h 30 - Relève sans incident. Arrivée à 18 h 30 et tambouille. Repas très gai. J'ai une lettre de Marthe qui me demande si je me rappelle l'anniversaire du 10 février : comment l'aurais-je oublié ? Quels soucis pourraient ou auraient pu empêcher le cher souvenir de se présenter à mon esprit ? Ma bonne chérie le sait bien, du reste.

 

21 h 45 - Coucher. Ciel étoilé, vent violent.

 

* 14 février 1915

 

La tempête n'a pas cessé mais il ne pleut toujours pas. Nous allons faire cet après-midi une marche militaire d'une douzaine de kilomètres. Deux Compagnies y prendront part (23 et 24) sous mon commandement.

 

Correspondance à la tambouille.

 

11 h - Je déjeune seul.

 

11 h 45 - Rassemblement des deux Compagnies. Le Colonel passe appeler à la Brigade et ressort annonçant que BRAUD est promu Sous-Lieutenant. Je demande à le conserver. Le Colonel me 1'accorde.

 

12 h - Nous partons joyeux, malgré la pluie battante. Nous faisons 6 kilomètres puis retournons. Il est 15 h.

 

17 h - Apéritif d'honneur offert par BRAUD.

 

18 h - Je vais à la tambouille où je lis les journaux pendant que les habituels bridgeurs se livrent à leur passe-temps favori.

 

19 h 30 - Gai repos.

 

21 h - Coucher. Il bruine.

 

* 15 février 1915

 

Matinée à la tambouille, à midi grand déjeuner offert par le Colonel aux Officiers des 23e et 24e Compagnies. Je suis à la droite du Colonel. Langouste, veau, petits pois, dinde, Beaune 89 exquis, Moët et Chandon.

 

15 h - Promenade à pied avec LAFERRIERE et DUPONT. Un cas de méningite à ma 3ème Section.

 

19 h 30 - Diner très gai.

 

22 h - Coucher.

 

* 16 février 1915

 

Programme habituel. Je suis avisé d'un nouveau cas suspect. Le local où se trouvait le malade précédent (évacué depuis plusieurs jours et signalé hier par les services médicaux arrière comme atteint de cérébro-spinale) a été évacué et les 3 escouades qui y logeaient ont été transférées chez BIJAUD, mon hôte personnel.

 

Cet après-midi exercice de 13 à 16 h.

 

A 17 h, tranchée Rivoli.

 

J'ai reçu l'aspic de Maman avec une lettre d'elle et une de Jeanne.

 

12 h - Déjeuner où l'aspic obtient le plus grand et le plus mérité des succès : il est vraiment exquis.

 

13 h - Exercice tout près de BITRY interrompu à diverses reprises par des vols d'avions que je reconnais comme français à la jumelle. Les Boches les canonnent abondamment, mais en vain. J'avais caché, par précaution, mes hommes dans un bois voisin. Ils y trouvent un lapin pris dans un collet qu'ils m'offrent et que j'accepte pour la tambouille.

 

15 h - Retour au cantonnement en vue du départ aux tranchées à 16 h 30.

 

17 h - Départ. Arrivée vers 18 h. Je vois le Commandant de SENIL toujours agité et qui me donne rendez-vous pour une visite du Secteur demain matin. S'il venait à manquer, c'est moi qui prendrais momentanément le commandement.

 

Coucher après repas avec PUPIN et BRAUD.

 

* 17 février 1915

 

Matinée quelconque : forte canonnade des nôtres. Je vais me promener dans la partie gauche du secteur. J'y trouve de FLORIS et BRESSON (du 264e). Tir du 90 observé d'un emplacement de mitrailleuse sur M... sur T.... Nervosité de l'observateur d'artillerie : arrêt du tir.

 

11 h 30 - Déjeuner avec les commensaux d'hier au soir.

 

14 h - Promenade avec le Commandant dans les tranchées de droite jusqu'à la chaussée BRUNEHAUT. Secteur parfaitement entretenu.

 

Retour vers 16 h. Conversation intéressante avec les Majors du 264. Canonnade française énorme qui ne cesse pas.

 

Temps gris, pluvieux.

 

18 h - Relève et retour au cantonnement.

 

Diner joyeux à la popote.

 

- 22 h - Coucher.

 

J'ai trouvé, en rentrant des tranchées, 3 colis : crêpes, papier à lettre, eau de vie.

 

* 18 février 1915

 

Réveil à 7 h 30. Programme habituel. Je déjeune seul à ll h, à cause de la marche que les 23e et 24e doivent effectuer sous mon commandement.

 

12 h - Marche jusqu'à BITRY. Retour à 15 h.

 

17 h - 3 lettres de Marthe, lettres un peu affolées par la préoccupation de ma santé.

 

Je lui écrirai demain pour la rassurer. Ce repos relatif de quelques jours m'a fait du bien et je crois pouvoir reprendre bientôt la première ligne sans fatigue excessive. Du reste, je verrai bien et je compte qu'en cas où j'aurais besoin de souffler un peu, le bon Docteur m'ordonnerait de rester au cantonnement.

 

19 h 30 - Repas plein d'entrain.

 

21 h 30 - Coucher.

* 19 février 1915

 

Lever à 7 h 30. Apres toilette, je vais à la tambouille pour y prendre un café au lait et faire ma correspondance. J'y trouve un jeune fringant potard militaire qui vient s'entendre avec le Docteur pour une analyse d'eau potable. Je lui serre la main à son départ pour St-PIERRE, en lui souhaitant bonne chance et en lui disant négligemment que le patelin est journellement bombardé : il part en serrant

les fesses et s'imaginant qu’il va courir un gros danger. Je crains que ces prélèvements ne soient fort écourtés. Ce soir le bonhomme rentrera à sa tranquille résidence habituelle en prenant vis à vis de son personnel et de tous les fricoteurs de l'arrière des allures de héros.

 

12 h - Réunion au Bureau du Colonel. On remonte aux tranchées de première ligne.

 

La 23e retournera au Secteur n° 2, la 29e ira passer deux jours à St-PIERRE, après quoi elle s'appuiera 8 jours de tranchée, deux jours de repos, 6 nouveaux jours de tranchée, enfin reviendra pour 8 jours à BITRY. Après midi tranquille Pluie.

 

17 h - Relève par St-PIERRE, le ravin, partie Est, le fameux chemin de claies où des balles sifflent toujours, venant on ne sait d'où. Je trouve à la caverne le Commandant de SENIL qui se prépare à redescendre et le É relève du Capitaine de VAUZELLE (?) qui commande le Bataillon de 264 ; ils sont fort aimables avec moi. Je vais ensuite m'installer dans mon poste, bien éclairé et chauffé. Je lis les journaux en attendant le repas.

 

19 h - Diner avec PUPIN. BRAUD a mangé avant le départ.

 

20 h 30 - Je me couche et PUPIN s'installe auprès de moi.

Dure couche, mauvais sommeil.

 

* 20 février 1915

 

Réveil à 7 h. Jus. Temps gris. La section 1/2 que je conserve sous la main effectue des corvées (transport de piquets et fascines) et des travaux (abris s'enfonçant à flanc de coteau, au nombre de 6 et destinés à abriter chacun une section).

 

Je vais surveiller le travail. Le Lieutenant-Colonel LAPPARAT du 264 apparait un instant ; il effectue sa tournée du matin dans son secteur qu'il a transformé par son énergie et son incontestable talent d'organisateur. Il a su se faire accorder par la Division des Compagnies de travailleurs supplémentaires et ses tranchées et abris, où mènent d'excellents chemins soigneusement entretenus, peuvent passer pour des modèles. Mais, trop soucieux de sa gloire, il persiste à refuser pour son Régiment un repos nécessaire et c'est, encore une fois le 265e qui va se reposer à BITRY, en notre lieu et place.

 

Je fais la connaissance du Capitaine de VAUZELLE, plus complètement. C'est un homme aimable qui, démissionnaire au moment des inventaires est revenu prendre du service : camarade à St-CYR du Lieutenant-Colonel VERRET, il attend toujours un 4e galon qui n'arrive pas : il a cependant fait la Campagne de Madagascar et commandé pendant plus d'un mois un Bataillon du 264e. Il est heureusement très philosophe.

 

17 h - Il m'autorise à rappeler mes 2 Sections 1/2 du Bois de Sapins et de Rivoli. Le Commandant de SENIL survient pour le remplacer. Je suis autorisé à m'en aller. J'arrive à ST-PIERRE où ma Compagnie et moi retrouvons notre cantonnement antérieur.

 

19 h 30 - Diner à la tambouille avec les Docteurs LAFFERIERE et JOSSERAND, et FLOCH ainsi que GRAVRAUD.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 21 février 1915

 

Lever à 7 h 30. Après mon chocolat à la tambouille où je fais ma correspondance, je vais avec mes Officiers et gradés devant la carrière où BARDET prend du groupe plusieurs photos. Le temps est beau et chaud. De nombreux obus passent sur nos têtes pour aller éclater à 3 ou 400 mètres.

 

11 h - Retour à St-PIERRE et déjeuner à la tambouille.

 

Après-midi quelconque, presqu'entièrement passé chez le Docteur : on joue un moment au poker.

 

Je vais changer de chambre. Celle que j'occupe est vraiment sale et je m'installerai à l'ancien poste de secours (ferme Cerf).

17 h - 3 lettres de Marthe, pleines d'affection. Elle me demandait, antérieurement de ne pas refuser ce qui pourrait m'être offert. Je suis décidé à me laisser faire, ayant pris l'habitude, dont je me suis bien trouvé jusqu’ici, de m'abandonner aux évènements dans la direction de ma vie, mais je n'empêche pas les miens de s'occuper de moi pour ce qu’ils croient mon bien. Mais il me parait que seul René aurait quelques chances de réussir.

 

19 h 30 - Au diner, je reçois une mission du Colonel, ordre écrit, pour demain matin : reconnaissance à cheval avec 3 éclaireurs montés de certains emplacements qui pourraient être utilisés dans des circonstances très exceptionnelles.

 

En réalité, il s'agit d'un simple petit exercice d'équitation que mon excellent Colonel m'impose, j'en suis sûr, pour m'obliger à me familiariser avec le mode de locomotion le plus habituel à mon nouveau grade.

 

21 h 30 - Coucher dans ma nouvelle chambre.

 

* 22 février 1915

 

Après une bonne nuit, je me lève à 7 h, pour avertir mes cavaliers, dont le Maréchal des Logis GIRAUDOT. Puis je vais déjeuner.

 

8 h - Départ pour la promenade équestre.

Brouillard épais qui empêche de voir à distance. Nous évoluons sur le plateau (Gamet, Navet fermes) nous reconnaissons nos batteries (90 et surtout 203 formidables) et nous rentrons en descendant sur ATTICHY et en traversant BITRY. Je suis gelé. Je change vivement de linge à cause des 6 jours de tranchées qui commenceront ce soir, puis je vais à la tambouille (11 h) écrire en attendant le repas.

Déjeuner à midi. Puis je fais un rapport sur ma reconnaissance du matin : rapport forcément succinct à cause du brouillard opaque qui m'empêchait de voir au loin.

Je vais ensuite jouer aux cartes chez le Docteur.

 

17 h 30 - Relève par le ravin. Depuis le village nègre jusqu'au plateau, chemin excellent, bien empierré par le 265e. Je retrouve mon château en parfait état et agrémenté d'une porte vitrée. Le Capitaine VANNIER, avec qui j'alternerai, me passe le secteur.

 

20 h - Repas avec PUPIN, BRAUD est resté à St-PIERRE grippé.

 

23 h - Coucher.

 

* 23 février 1915

 

7 h - Lever et tournée dans ma tranchée. Elle est en bon état, sauf le réseau de fils de fer qui a été démoli à plaisir par le 265e : les piquets, même ceux en fer sont hachés par les balles. Rien ne peut étonner de la part de ce sale Régiment où abondent les dockers de NANTES et St-NAZAIRE. Tout est à refaire. JOSSET, chargé de diriger l'équipe spéciale n'a rien fait cette nuit. Je ne le punis pas, mais je lui dis ma peine étant donné ma confiance en lui. Ca l'émeut visiblement et je le laisse honteux et navré : il se précipite au travail.

 

9 h 30 - Visite du Commandant MOREAU qui me paraît déprimé par sa claustration dans le poste du ravin et dont l'isolement va se poursuivre jusqu’à la terminaison de nos 16 jours de tranchée. Les Chefs de Bataillon sont mal lotis avec ce nouveau mode de roulement, car ils n'ont pas les repos prévus pour les Compagnies.

 

11 h - Visite du Commandant BERTHONIN, toujours gai et cordial.

 

12 h - Déjeuner, puis tournée de secteur pour m'assurer que tout le monde est à son poste, le nouveau divisionnaire étant annoncé.

 

14 h - Arrivée de toutes les "huiles". Je les accompagne dans leur visite qui s'effectue sans incident, sauf une giboulée qui nous retrempe le sol de la tranchée. Le reste de l'après-midi s'écoule tranquillement. Mes Poilus travaillent partout à se constituer des abris solides et imperméables. Les matériaux affluent : tout devient facile.

 

19 h - Diner. Au beau milieu, BONNEAUD m'apporte un perdreau qu’il vient de tuer.

 

Soirée de causeries et fumeries.

 

22 h 30 - Je me couche. Tout à coup avalanche d'instruction pour travaux de défense : fils de fer, traverses etc....

 

C'est le résultat de la visite de l'après-midi.

 

Je m'endors enfin.

 

* 24 février 1915

 

Réveil à 6 h. PUPIN est rentré à 5 h, ayant passé la nuit à surveiller les travaux.

 

7 h - Tournée dans le secteur. Le clair de lune a beaucoup contrarié les travaux hors de la tranchée.

 

Matinée sans incident. Un abri se termine, tout contre mon château pour les téléphonistes et mes agents de liaison. PUPIN et moi serons ainsi plus tranquilles.

 

Déjeuner : nous savourons le perdreau bardé de lard et rôti è point. Puis, tournée de secteur au cours de laquelle on m'annonce le retour du Colonel NIESSEL Commandant la Brigade du Sous-Chef d'Etat-Major de la 6e Armée et de quelques autres "huiles".

 

Ordres, contrordres pour le stationnement du Commandant de Compagnie et des Chefs de Section qui doivent se trouver à une extrémité de leur unité pour recevoir les "huiles" : on les annonce tantôt à droite, tantôt à gauche.

Naturellement, c'est pendant que je suis à la droite que nos visiteurs arrivent par...l'autre bout. Monologue de notre Brigadier sur le mode majeur. C'est un grand bel homme très crâne et très chic, blessé à la tête tandis qu'il était à celle (tête J) d'un Régiment de Zouaves : 50 ans, ancien n° 1 de St-CYR, breveté, élève et ami du Général PARE dont il fut l'Officier d'ordonnance.

 

On a travaillé dans notre secteur, depuis sa reprise par le 316e, comme des noirs. Evidemment, ces tranchées, faites de bric et de broc, au fur et à mesure des avancées successives, ne sont pas merveilleuses : les pluies et le dégel les ont fait ébouler : le réseau de fils de fer est peu régulier. Mais à faible distance de l'ennemi (45 m par endroits) il était difficile de fignoler. N'importe : c'est "mal fichu" et tout passe au crible d'une critique impitoyable et presqu'agressive. Tout le monde est gelé et ne dit mot. Ma figure doit être expressive cependant, car le Colonel s'arrête, me dit que cela ne s'adresse pas à moi ”qu'il sait mon dévouement et que je conduis admirablement ma Compagnie etc..." L'orage passe ainsi. Mais je suis peu fait, à mon âge et avec ma situation, à ces boutades.

 

A 18 h, relève par la 22e. Ma Compagnie va en 2ème ligne à la Grande Tranchée. Je reste en arrière pour passer les consignes au Capitaine VANNIER, puis encadré par mes 4 agents de liaison, je descends à la Grande Tranchée par le boyau B. Mon poste de commandement est dans le bois (ravin). Je m'y rends par le chemin si familier pour moi en octobre quand je commandais le 5e Bataillon. Chemin ? Non, sentier de chèvre à flanc de pente. Nous sommes surpris par une abondante chute de neige fondue.

 

J'arrive à mon poste. C'est un petit chalet en planches et madriers, planchéié avec table, tablettes, banc, couchette, poêle, porte et fenêtre vitrée. Il est fort coquet, construit par le 265e sous la direction d'un architecte professionnel. Je m'installe. Je vais diner (seul, car PUPIN est resté au poste de la Grande Tranchée) lorsque le fidèle VOISIN, homme de liaison du Commandant MOREAU, me demande de la part de ce dernier, d'aller le trouver dans son poste, à 200 m, il me dit que c'est "soi-disant pour le service, mais probablement pour causer".

 

Je mange et je vais trouver le Commandant. L'ancien poste de commandement est affecté aux agents de liaison. Le 265e en a construit un nouveau, du même genre que le mien, mais plus vaste et à 2 corps. Un corps pour les téléphonistes et un autre en équerre pour le Commandant : un guichet assure la communication. Il y a un lit (avec draps, oreiller, couverture) un bon poêle.

 

Une communication téléphonique surprise tout à l'heure, m'a appris que le Commandant venait d'être promu à titre définitif. J'en suis vraiment heureux et je le félicite. Nous causons de toutes sortes de choses, excepté de service, du moins immédiat. Il apprécie de la même façon que moi l'algarade de l'après-midi... Il me dit quelque chose d'amusant. Le Sous-Chef d'Etat-Major de notre Armée, un Lieutenant-Colonel de Chasseurs à pied, lui a dit en me montrant : "Je ne croyais pas que l'on ait versé d'aussi jeunes Capitaines d'active dans les Régiments de réserve ; en voilà un qui a l'air très bien". Il a été très étonné en apprenant que j'étais un réserviste.

 

Nous bavardons longuement, jusqu'à 22 h 30. Le Commandant est un Chef exquis, un homme très cultivé, distingué et un Poilu. Il est aimé de tous.

 

Je rentre chez moi avec CARO qui m'a accompagné et m'attendait chez les téléphonistes. Je me couche. Mon brave ordonnance s'installe dans le creux situé sous ma couchette. Le poêle est éteint : je ne le fais pas V rallumer, à cause des émanations possibles.

 

Nuit fraîche : j'ai un peu froid vers le matin

* 25 février 1915

 

Réveil à 7 h. Matinée splendide. Je fais faire du feu.

Correspondance.

 

9 h - VOISIN m'avise que le Commandant MOREAU a confié à mon cuisinier BOTEAZOU, deux lapins de garenne colletés hier et me transmet une invitation à déjeuner. Je vais voir mon Chef que je trouve en train de terminer sa toilette. Nous sortons ensemble pour une vaste tournée de secteur. La matinée est splendide. Nous cheminons à travers bois, d'abord par l'ex-réserve où sont maintenant les cuisines et les ateliers de défenses accessoires (fils de fer, gabions, rondins, claies). Montée par le poste de Commandant du 5e Bataillon où nous cueillons le Commandant BERTHONIN. Visite à la Grande Tranchée et à la Tranchée COUSIN. Retour au poste du Commandant MOREAU. Déjeuner cordial à midi.

 

14 h - Le temps se couvre. Je rentre chez moi.

 

Journée calme, malgré une avalanche de notes et ordres de travaux venant de la Brigade. Le Colonel N. reviendra demain matin dans le secteur. L'affolement commence, les corvées succèdent aux corvées, les hommes transportant des arbres, claies, plaques de tôle (120 kg chaque) sur des pentes raides, sont éreintés. Une Section ayant été commandée pour un de ces transports, deux flemmards ont planqué un rondin de 8 m de long attendu en première ligne pour les travaux de la nuit. J'impose à la Section, faute d'avoir des coupables, une corvée supplémentaire de gabions et le transport du rondin à la première ligne.

 

19 h - Je dine seul. Lecture de journaux et à 21 h 30, coucher. Pendant mon diner un fusant de 77 éclate au-dessus de mon poste : les shrapnels cassent quelques branches.

 

* 26 février 1915

 

J'ai pas mal dormi et n'ai pas souffert du froid très vif de la nuit.

 

Il fait un brouillard intense.

 

Le Colonel et la Brigade reviennent ce matin à 8 h 30 dans le secteur. Ça promet d'être gai. Je fais une toilette rapide avant d'aller dans ma tranchée, distante de quelques centaines de mètres.

 

Dès 8 h, je suis dans le ravineau à attendre le Brigadier. Je vois notre Colonel et les deux Chefs de Bataillon. Le Brigadier apparaît et je m'esbigne. La visite commencera par le Secteur du 5e Bataillon. Je vais surveiller mes travailleurs en tranchée. Il est près de 11 heures lorsque je suis avisé de l'arrivée du Brigadier. Ce dernier s'est humanisé : il est accompagné par le Lieutenant-Colonel JOUINEAU du 265e, son ancien camarade de ST-CYR, bonhomme court et replet et qui ne manque pas de finesse. Inspection instructive, car le Chef est vraiment calé, mais pourquoi diable l'insupportable sortie de l'autre jour, avec mots à la cantonade : "Tout est mal ! Bêtise ? Mauvais vouloir ou bien défaut de conscience professionnelle ?...". Comme je le disais à notre Colonel, outré lui-même de l'algarade : "qu'il nous dise que nous sommes des crétins. Je le lui permets, cela m'est du reste indifférent, car, pour ma part et en ce qui me concerne, je n'en croirai rien ; mais je ne permets à personne de douter de mon dévouement !" Il a ri de ma formule.

 

Inspection terminée à midi. Je vais déjeuner à mon poste. Journée radieuse. BRAUD, qui est remonté, me tient compagnie. BARDET survient avec son appareil : il prend quelques groupes.

 

Après-midi calme. Canonnade ennemie sur avions français et (forcenée) sur une crête près de St-PIERRE. Les deux sans résultat. Je vais à 16 h, à COUSIN avec CARO, pour prendre des renseignements du Capitaine VANNIER sur les travaux à exécuter. Nous causons longuement, car la relève sera tardive. Carambolage de St-PIERRE à MOULIN (24e) à Grande Tranchée et de Grande Tranchée (23e) à COUSIN. La 22e qui va au repos, ne partira que vers 20 h, Je lis trois lettres de Marthe et parcours les journaux qui viennent de m'être montés. J'attends PUPIN pour diner : il arrive à 20 h 35.

 

Veillée jusqu'à minuit, puis, je me couche. Clair de lune splendide, gelée.

 

* 27 février 1915

 

Réveil à 6 h. Les hommes, éreintés par les deux journées de corvées se sont reposés. Il a été impossible, cette nuit, de poser des fils de fer, à cause de la trop vive clarté lunaire. Me fiant à mes sous-ordres, je ne commence ma tournée de secteur qu'à 7 h 30. Il n'y a encore aucun travail de fait. Je me fâche et l'on se met à la besogne.

 

VANNIER a posé, de place en place, d'innombrables petits écriteaux indiquant les tâches à accomplir et qu'il a, dans ses compte-rendu antérieurs, mentionnées comme commencées ; tout est à faire. De nombreuses traverses ont été ébauchées, mais si mal, que déjà croulantes ; je suis contraint de les reprendre en démolissant le travail fait par la 22e. VANNIER est un charmant homme, mais un peu trop habile... Capitaine d'active rayé du choix pour ses opinions (dit-il), il s'était fait mettre en disponibilité avant la guerre. Il a 45 ou 46 ans, possède une grosse fortune, est marié et père d'une fillette de 3 ans 1/2. Il habite NICE, il a auto, larbin et s'est occupé d'aviation.

 

Déjeuner à midi. Ensuite, visite des divers chantiers où tous travaillent à l'envi. Le téléphone et ses prêtres disparaissent de mon château pour s'installer dans un poste tout voisin où gîteront aussi mes agents de liaison. C'est un abri très confortable où CARO et quelques débrouillards ont mis toute leur ingéniosité dévouée.

 

16 h - Visite de notre Colonel qui est très satisfait de notre activité.

 

17 h - Je rentre chez moi, et PUPIN en face de moi, je fais quelque correspondance ; nous causons aussi, cordialement.

 

La nuit s'annonce obscure. Je vais en profiter pour renforcer mon réseau de fils de fer. La 24e, qui nous a succédé dans la Grande Tranchée et qui effectue les corvées de transport en 1e ligne, nous apporte le matériel nécessaire (éléments triangulaires, piquets, fils de fer, etc.).

 

21 h 30 - JOSSET et son équipe travaillent. La 24e apporte les triangles par-dessus le plateau. La lune est voilée, mais on distingue la tranchée ennemie. Des coups de feu se font entendre, des balles sifflent. Mes hommes silencieux et rapides, passent les triangles par-dessus la tranchée et, au trot feutré, les transportent en avant du parapet, à 20 m, où JOSSET les met en place sur le front de la 2e section.

 

En 20 minutes, 70 m de réseau sont ainsi placés. Il commence à pleuvoir. Mes hommes, n'ayant plus de matériaux, rentrent. Je me couche. Cette nuit on ne travaillera plus, tous ayant fourni dans la journée un effort considérable.

 

* 28 février 1915

 

Réveil à 6 h. La journée sera ensoleillée.

 

Le travail reprend.

 

Le beau temps ne dure pas. La pluie survient. Après une visite de secteur avec le Commandant MOREAU, je vais déjeuner.

 

Après-midi assez maussade. J'ai la visite de LE ROY que je n'avais pas vu depuis plusieurs jours. Il subit le contre- coup de l'agitation générale et me dit qu'il a la fièvre tous les soirs. Il ferait pas mal de se reposer ce que le Major ne lui refuserait certes pas.

 

17 h - La relève et proche maintenant. VANNIER sera là vers 18 h 30.

 

19 h 30 - Diner au cours duquel le Colonel m'annonce pour demain une inspection de cantonnement par le Général Commandant l'Armée.

 

21 h - Je réunis tous mes Officiers et Sous-Officiers pour instructions.

 

22 h - Coucher.

 

* 1er mars 1915

 

6 h - Réveil. Branle-bas général, éreintement. C'est le repos annoncé et si désiré l Pendant toute la matinée l'on s'agite pour rendre parfaitement propres chambre, granges, cave, cours de cantonnement, et à 10 h, lorsque tout est paré, on nous annonce que le Général ne dépassera pas BITRY.

 

11 h - Déjeuner. Temps capricieux : pluie, éclaircies de soleil, vent violent.

 

Journée sans incident. Le soir, après diner, au moment où, après le départ du Colonel, je vais aller me coucher, je reçois un ordre écrit pour une reconnaissance à effectuer à cheval demain matin, avec thème tactique. La tuile ! Le repos continue !

 

* 2 mars 1915

 

Réveil à 6 h 45. Je donne mes ordres. J'emmène les mêmes éclaireurs montés.

 

Trot, galop jusqu'à la ferme de la Falaise. Les derniers 1 500 m dans un cloaque de boue (ancien chemin de la ferme, défoncé par la pluie et l'arti1lerie). Je me présente au Lieutenant-Colonel Commandant le 219e. Accueil cordial. Retour. Nous sommes à St-PIERRE à 11 h 30 étant partis à 8 h.

 

Déjeuner à midi. Puis, je vais faire mon thème tactique.

 

Flânerie. Je reçois un nouveau Sous-Lieutenant, ancien Maréchal de dragons (active) jeune homme sympathique. Je vais lui confier le 2ème Section.

 

17 h - Je pars, en avant de ma Compagnie avec MAQUARD, qui précède la sienne. A l'arrivée, je trouve VANNIER encore tout ému d'une visite du Colonel NIESSEL reçu hier. Il est furieux et indigné.

 

20 h - Coucher. Nuit claire, pleine lune.

 

* 3 mars 1915

 

Dès avant le jour, l'ennemi arrose le secteur voisin avec des mines. Jamais pareille et assourdissante profusion. Je m'attends à une attaque qui ne se produit pas.

Je visite ma tranchée où je vois mieux les travaux de la 22e. Ils sont mal compris et faiblement exécutés. La plupart sont à refaire. Je suis agacé de tous ces contre- temps et à-coups qui retombent toujours sur ma Compagnie.

 

Avec les visites presque quotidiennes de notre infaillible Brigadier, c'est la perspective de nouveaux commentaires désagréables qui, chez nous réservistes finiront par créer la tranquille indifférence.

 

J'envoie à Marthe un paquet de lettres sous pli recommandé. J'ai fait demander par GREGOIRE un mandat de 500 F que j'enverrai dès qu'il me sera parvenu.

 

Journée calme où mes Poilus travaillent surtout à augmenter la profondeur des traverses de tranchée en détournant le boyau en arrière du parapet. Ce procédé est un jeu délicat, car il arrive un moment où la circulation est à peu près impossible.

 

15 h - Je vais à la tranchée LEBLOND voir les travaux de la 18e. Le secteur, tout neuf, est parfait de régularité et MAQUARD le fignole avec amour. Je visite son poste de commandement qui est presque aussi confortable que le mien. Avisé que BESSE est à ma tranchée, j'y cours pour le retrouver. Nous circulons en passant derrière les traverses nouvellement en cours de réfection et passons à plat ventre sur le plateau derrière un mince écran de terre. L'ennemi tiraille sans trêve, écornant les parapets ou entamant les créneaux.

 

OLIVERES est entré en conversation avec l'un d'eux qu'il espère attirer dans la tranchée la nuit prochaine, et...retenir.

 

Après le diner, pris chez moi avec mes 3 Officiers, tentative de pose de fils de fer. Nuit noire, mais fusées éclairantes et fusillade ininterrompue. Peu de travail fait. Sursis. On attendra un moment plus propice. En attendant, je vais me coucher (22 h 40).

 

Reçu 3 lettres de Marthe posant plusieurs questions. Le village nègre ? C'est l'ensemble des gourbis créés par nos Poilus, en octobre et novembre dans le creux du bois et où j'ai séjourné après ma relève de MOULIN-MOULIN. Les photos ? Très réussies. BARDET m'en donnera prochainement les épreuves.

 

* 4 mars 1915

 

Réveil à 6 h. Tournée de secteur pour voir les travaux exécutés cette nuit. Ils sont satisfaisants à mon avis.

 

Je vais et je viens, encourageant mes hommes. Dès ll h, on m'annonce que le Brigadier est dans ma tranchée. Je vais le trouver ; il me fait un accueil charmant, proclamant sa satisfaction du gros effort produit et du résultat déjà obtenu. Ma conversation d'hier avec BESSE à qui j'ai dit que je trouvais le procédé employé avec le 316e injuste et imprudent, a peut être produit ce changement à vue. Nous travaillerons désormais tout autant, mais plus allègrement.

 

12 h 30 - Déjeuner avec mes 3 Officiers.

 

Le Colonel PLUYETTE vient voir la tranchée dans l'après-midi. Il est content du résultat de l'inspection du matin.

 

J'en suis satisfait moi-même, surtout à cause de ce Chef parfait et aimé de tous.

 

Forte canonnade réciproque tout le jour. Nos voisins d'en face ne cessent de canarder notre tranchée, nous démolissant quelques créneaux. Ces jours-ci nous allons leur servir des grenades à fusil : on va nous en fournir à profusion.

 

Fin de journée tranquille. Relève à 18 h. Je retrouve mon poste du ravin que je partagerai avec PUPIN. Diner à 20 h 30. Coucher à 21 h 25.

 

* 5 mars 1915

 

Lever à 6 h 30. Je vais dans la Grande Tranchée voir les travaux en cours : abris, boyaux etc... Avant cette tournée qui a pris fin à 9 h 30, j'ai écrit à Marthe en lui envoyant un mandant de 500 F (envoi recommandé).

 

Au retour de la Grande Tranchée où j'ai vu le nouveau poste de commandement (entrepris par PUPIN) écorné par une marmite, je fais quelques correspondances. Repas à midi avec PUPIN et LE COINTE ; BRAUD est demeuré, avec le 2e Peloton, à la Grande Tranchée. LE COINTE et un gentil garçon qui, avant son service, était Secrétaire du Parquet à St-LO.

 

Après le déjeuner, inspection de la réserve où règne une activité foraine : cuisine, ateliers divers, cantonniers. Le Lieutenant-Colonel passe, toujours bienveillant, puis le Commandant que je raccompagne chez lui pour causer près de 2 heures.

 

Je rentre ensuite à mon poste où je dine avec PUPIN et LE COINTE. Courte visite du Lieutenant DAGUIN, du Génie, qui est pour moi, maintenant, un vieux Camarade. Coucher à 21 h. Il vente très fort. Le front est calme. Quelques coups de feu, aux retentissants échos dans le ravin, troublent seuls le silence. JOSSET m'annonce qu'il vient de poser spontanément avec son équipe, des réseaux IBARD en 1ère ligne : VANNIER aura-t-il le chic, dans son compte rendu demain matin de le dire au lieu de s'en attribuer le mérite ?...

 

* 6 mars 1915

 

Lever à 6 h 30. Toilette. Je me fais tondre et j'en avais besoin. Temps gris, pluie proche. Je fais ma correspondance.

 

9 h -Inspection de la Grande Tranchée. J'ordonne un exercice d'alerte qui s'exécute rapidement (12 minutes).

 

9 h 30 - Je reviens à la réserve pour faire exécuter le même exercice par l'autre peloton. C'est plus long comme exécution à cause de l'interminable et raide escalier de 164 marches qui conduit directement dans le ravin où sont constitués les ateliers.

 

Déjeuner avec PUPIN et LECOINTE. Pendant qu'ensuite j'écris dans mon poste, je vois survenir un groupe : Colonel NIESSEL, Commandant MOREAU et BERTHONIN et quelques autres moindres légumes. Je me joins à la troupe qui va à la Grande Tranchée et de là à COUSIN. Les commentaires du Brigadier sont amènes. Le Grand Chef, à l'extrémité de COUSIN, descend vers MOULIN en nous prescrivant de l'attendre. VANNIER, puis le Lieutenant-Colonel surviennent. Le Lieutenant-Colonel part à la recherche du Brigadier que le Commandant MOREAU seul a suivi. Une heure 45 se passe, puis lassé et ayant à faire à ma Compagnie, je m'en retourne.

 

17 h 30 - Je reviens équipé, à COUSIN avec PUPIN. LE COINTE et BRAUD conduiront leurs pelotons en première ligne vers 18 h. VANNIER me raconte que l'aspect des travaux de MOULIN-MOULIN (boyaux exécutés, d'après tracé convenu, par GALERNE qui est, de son métier, conducteur des Ponts et

Chaussées) a transporté de fureur notre grand chef qui, en retraversant COUSIN, a tout critiqué de ce qu'il avait loué l'instant d'avant. VANNIER me passe les consignes et s'en va. Il pleut.

 

La nuit est venue, très noire. Nous poserons des fils de fer.

 

21 h - Fusillade ininterrompue et nourrie. Je remets des sentinelles en avant des fils de fer, à cause de l'obscurité absolue. De temps en temps, des mines, lancées par l'ennemi, éclatent avec un fracas assourdi qui ébranle le sol. C'est la rente de tous les soirs et de tous les matins.

 

21 h 30 - Coucher, nuit calme, très noire. Nous posons des fils de fer.

 

* 7 mars 1915

 

Réveil à 6 h 30. Correspondance.

 

A 8 h, je suis avisé du passage de mon Lieutenant-Colonel et DE BESSE qui vient vérifier l'état de nos défenses fils de fer et de nos abris de troupe.

 

Un instant on croit à l'arrivée du Brigadier. Fausse alerte. La journée s'écoule paisible.

 

16 h - Visite de mon aimable Commandant qui me demande un projet pour la modification de la partie de ma tranchée qui est à la lisière du bois, en angle droit avec la partie principale.

 

19 h - Diner avec mes 3 Sous-Lieutenants. Je vais avoir un nouvel Adjudant, chrétien, charmant garçon.

Nuit des plus obscures. Toutes sortes de travaux s'effectuent dans le noir : pose de fils de fer, couverture Nuit des plus obscures. Toutes sortes de travaux s'effectuent dans le noir : pose de fils de fer, couverture d'abris, comblage de vieux boyaux.

 

22 h - Je me couche. Fusillade ininterrompue mais peu nourrie.

 

* 8 mars 1915

 

Journée terne de travail. Il fait froid. Le vent glacé d'un nouvel hiver a séché nos tranchées. J'effectue quelques tournées d'inspection. La journée s'écoule très clame.

 

Ce soir, descente à St-PIERRE pour 2 jours.

 

19 h - Diner à St-PIERRE sans le Colonel invité à la Brigade. Nous apprenons que le 265e change de secteur, s'en va vers la gauche. Et nous ?...

 

Coucher à 21 h.

 

* 9 mars 1915

 

Lever à 7 h. Ca y est : nous changeons de secteur : nous prenons celui de Q... près T... que le Brigadier a demandé, le connaissant mieux que celui-ci, mais le vrai est que nous aurions pu rester ici...

 

Je pars à cheval après déjeuner, avec MAQUARD, le Docteur LAFERRIERE, le Docteur VILLAINE et cinq cavaliers : il est 10 h 30.

 

Nous marchons bon train ; le temps sec, froid, idéal.

Traversée de St-T... en V... du parc d'0FFEMONT et arrivée au terme après une halte dans le parc. Nous trouvons notre Lieutenant-Colonel en conférence avec le Lieutenant-Colonel Commandant le Régiment Mixte (Zouaves et tirailleurs) que nous remplaçons.

 

Visite du secteur. Nous sommes épatés. Tout ce qu'il est humainement possible de faire en matière de tranchées a été réalisé ici. Régularité du tracé, traverses épaisses, clayonnages pour arrêter les éboulis, pavage ( !!!) contre la boue, puisards d'écoulement d'eau, abris et postes de commandement étonnants de confort, observatoires d'une stupéfiante ingéniosité, il n'y a qu'a admirer l'œuvre en se sentant un peu humilié par comparaison avec la nôtre ! Et l'aspect de la troupe ! Au lieu de nos Bretons un peu lourds. Les hommes alertes, au regard mâle et sûr de soi une discipline étroite se traduisant dans les moindres gestes. Ces gaillards-là ont su refouler de 3 km le voisin d'en face et conquérir sur lui un ascendant définitif. De temps en temps, ils sautent dans sa tranchée : un soir récent, vers 23 h, ils ont exécuté une surprise de ce genre et ont tué 5 Allemands, blessé 4 autres et ramené une dizaine de prisonniers.

 

Nous visitons longuement, admirant sincèrement. A 17 h, nous reprenons nos chevaux pour le retour. J'ai une forte migraine et suis un peu moulu. L'allure est moins vive qu'â l'aller. Nous repassons par le parc, où abondent les abris pittoresques. Les belles futaies d'antan s'éclaircissent de plus en plus, les pelouses ont disparu. La nuit tombe et nous achevons au pas notre course après un crochet (par erreur) à R... qui nous rallonge de 3 ou 4 km. J'ai les pieds glacés. A 20 h, nous rentrons à St-PIERRE et je vais diner à la popote. Coucher à 21 h 30.

 

* 10 mars 1915

 

Lever à 8 h. Café au lait. Correspondance. Ce soir, je remonte à la tranchée. Le jour du changement de secteur est proche mais nous ignorons sa date exacte.

 

Temps d'hiver, sec et froid, ciel gris.

 

Aujourd'hui, le Commandant MOREAU, LE ROY et quelques Officiers du Régiment, vont à TRACY pour examiner le secteur à leur tour.

 

Nous partirons après demain matin. Ma Compagnie ne remonte pas ce soir aux tranchées. C'est donc 2 nouvelles nuits de repos sur lesquelles je ne comptais pas. Ensuite ?

 

Cantonnement à ATTICHY, tandis que le 5e Bataillon partant demain matin, ira cantonner à B...l. Je fais nettoyer par ma Compagnie les locaux qu'elle occupe actuellement et préparer le départ.

 

Journée calme et terne.

 

18 h - Je vais lire les journaux du jour à la tambouille où FLOCH me communique l'Officiel du 7 mars où je figure pour une nomination de Capitaine au titre définitif.

Satisfaction d'amour-propre...

 

Le Commandant MOREAU, le Dr DUPONT, LE ROY et GRAVRAUD rentrent de leur voyage un nouveau secteur : ils sont fatigués. LE ROY est déprimé par un eczéma des épaules assez intense ; je voudrais que Marthe lui envoie un pot de pommade LARCADE fraîche qui le débarrasserait.

 

On boit du Bourgogne ”Hospice de Beaune 1889", à ma promotion.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 11 mars 1915

 

Lever à 7 h. Tout le village est en l'air. Le 262e arrive et le Grand Bataillon du 316e se prépare au départ. Les voitures sont chargées : nous laissons des masses de choses à nos successeurs, mais ce que nous emportons est effrayant, un vrai déménagement !!

 

Je retrouve, parmi les Officiers du 262e, CARADEC, Directeur du Crédit Nantais de QUIMPER et frère du Docteur, qui m'a soigné la gorge. Nous causons cordialement. Il conseille comme placement les bons du Trésor et les obligations qui rapportent 5,50 %.

 

Déjeuner avec mes Officiers et le Docteur DUPONT. Nous mangeons un des neuf lapins de garenne pris au collet par mes Poilus. Ce soir nous aurons un superbe faisan abattu d'une balle par un de nos ordonnances.

 

Dans l'après-midi, vraie comédie donné par OLIVERES qui s'est procuré une mandoline, JEHANNO qui fait le chanteur ambulant de WOEVE, mon vieux Sergent (Belge naturalisé, 15 ans de Légion, médaillé de Chine et du Maroc) qui se donne des airs d'estropié. Attroupement, gros sous, puis émulation généreuse lorsqu'on dit que le bénéfice sera pour les veuves et orphelins de la Guerre. Le vieux garde

Champêtre de la Commune fait une tournée de porte à porte et nous remet 24 F. Le total s'élève à 80 F ? Je ferai demain un mandat à l'adresse de BARRIS.

 

L'après-midi se passe ainsi. Demain, je partirai pour ATTICHY à 6 h, avec le campement. Le Bataillon nous suivra 1 ou 2 h plus tard.

 

Reçu lettre de Marthe demandant le n° de mon Armée (6e), et se préoccupant du cheval pour moi : je m'y habitue.

 

Diner à 19 h 30, mêmes convives que le matin, dans la maison où j'ai couché 2 nuits et que j'ai laissée à cause de sa saleté. On l'a nettoyée.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 12 mars 1915

 

Lever à 5 h. Départ avec le campement à 6 h. Arrivée à ATTICHY à 7 h 45. Je suis logé chez le Greffier de Paix. Chalet élégant, hôtes aimables, chambre confortable.

 

9 h 30 - Arrivée du Bataillon. J'installe la popote du Commandant et des Officiers de ma Compagnie chez un particulier complaisant.

 

12 h 30 - Déjeuner très gai : Champagne. Mes Poilus par les dans une villa qui fut jolie, mais qui est dévastée occupations militaires ininterrompues. Temps gris. Brouillard.

 

Je vais et viens comme un désœuvré. Sur la place, je trouve un groupe animé. J'y apprends que le Général MANNOURY, notre Commandant d'Armée s'est fait tuer hier dans une tranchée du côté de BOUVAL, par une balle à la tête : le même projectile a blessé le Général de VILLARET Commandant le 7e Corps.

 

C'est une lourde perte pour nous et un grand succès pour l'ennemi ; combien il eut été facile d'éviter l'un et l'autre ! Dans cette guerre combien de chefs éminents auront été frappés pour être allés là où ils n'avaient que faire et risquant, par leur insouciance du danger de compromettre les intérêts supérieurs qui leur étaient confiés.

 

19 h - Diner à notre tambouille ; nous nous séparons à 21 h. Je vais me coucher dans ma jolie chambre où je passe une excellente nuit.

 

* 13 mars 1915

 

Lever à 7 h 30. Mon hôte m'offre un bol de café. C'est un homme de 45 ans au plus, bedonnant, rouspétant contre l'occupation militaire et les menus dégâts qu'elle lui cause, honteux au fond de la veulerie gui l'attache indissolublement à son rond de cuir. Il est, me dit-on, jaloux et méfiant. Sa femme, qui paraît avoir le même âge que lui, lui aurait donné plus des inquiétudes en recherchant, auprès de quelques Officiers pressés et pas difficiles, des satisfactions que lui-même, usé jusqu'à la corne (si j'ose dire !) ne pouvait plus lui procurer.

 

8 h - Je vais faire ma correspondance à notre popote.

 

Cette nuit nous partirons pour TRACY vers une heure. Ma Compagnie, dès l'arrivée qui aura lieu à 9 h, prendra la première ligne pour 48 h. Nous irons ensuite pendant 4 jours aux carrières (3ème ligne) puis nous passerons 48 h en 2ème ligne avant de reprendre la première ligne. Le roulement ainsi établi nous donnera 2 jours seulement sur 8 de tension et d'attention ininterrompue.

 

Je fais avec le Commandant un tour agréable : un bon soleil traversée de la ville, menus achats, parc d'artillerie et retour à la tambouille pour le déjeuner de midi.

 

Le bruit court que notre séjour à TRACY ne durera pas plus d'une quinzaine. Nous serions ensuite remplacés par des territoriaux et dirigés vers la Champagne. Le tuyau viendrait de l'intendance...(?).

 

Attente patiente et désœuvrée du départ. Diner à 19 h. Je fais apporter mon équipement à la tambouille par CARO. Le Commandant, le Docteur DUPONT, mes Officiers et moi, nous projetons d'attendre au coin du feu l'heure du rassemblement. Manille, causeries. A minuit, préparatifs.

 

* 14 mars 1915

 

A minuit 45, nous sommes parés. Je prends la tête avec le Commandant. Nuit noire. Marche lente. Les haltes horaires se succèdent. Il nous tarde d'arriver. A 4 h, traversée du parc d'0FFEMONT, interminable et fantastique sous les voûtes d'arbres. Les hommes, non entraînés, sont fatigués.

A la maison du garde, des guides Zouaves nous attendent. Traversée du plateau dans un calme absolu. Nous entrons dans les boyaux à 5 h. Trajet pénible et si long ! Enfin, au jour, vers 6 h, nous arrivons en première ligne, je prends livraison de mon secteur moins étendu que celui de COUSIN, il comporte des supériorités, mais il est bien inférieur à nombre d'égards, notamment en ce qui concerne les abris. Mon poste de commandement est une sorte de corps de garde où j'ai l'envie de donner asile aux téléphonistes.

 

A 9 h, éreinté, je m'étends et je somnole jusqu'à midi, moment du déjeuner. Je n'ai pas écrit à Marthe, il n'est plus temps de le faire utilement aujourd'hui et je suis navré d'avoir ainsi préparé une inquiétude à ma bien-aimée...

 

14 h - Visite de LAFERRIERE : JOSSERAND est évacué. Je trouve dans un stock de journaux, le n° de l'Illustration où figure en double page la revue de Rethondes par le Grand Poilu. Le drapeau unique porté dans le groupe des nouveaux décorés est celui du 316e. Je fais partie avec mon Bataillon, de la masse anonyme et vague qui défile au second plan.

 

16 h - Inspection rapide de notre cher Colonel. Je vais ensuite regarder à l'aide d'un périscope le devant de ma ligne. On voit deux cadavres allemands empêtrés dans nos fils de fer : ils sont desséchés, déchiquetés, lamentables. Je pousse chez les Zouaves voisins une petit visite : même spectacle. Dans un petit poste en champignon, je vois un jeune Zouave d'allure dégagée : c'est un St-Gardinois de 20 ans, avec lequel je parle patois.

 

Impossible d'avoir du charbon. J'en réclame vainement et suis obligé d'alimenter mon poêle avec des bouts de vieux rondins.

 

19 h - Diner.

 

21 h - Coucher.

 

Nuit de bon sommeil. Réveil à 6 h 30. Matinée très calme.

Je reçois de TARBES une boite de chocolats. J'ai donc eu tous les colis annoncés, sauf les pieds de porc et le Bordeaux. Si ce dernier envoi avait été chipé par un Poilu, un vrai Poilu,, vivant dans la tranchée et courant tous les dangers de la guerre, je sourirais de cette peccadille : mais la certitude que, seul, un des embusqués de l'arrière a pu commettre le vol m'indigne profondément.

 

Journée sans incident. A 21 h 30 et tandis que je me couche, ma 13e escouade reçoit 2 bombes du poste d'écoute allemand situé à 30 mètres : un homme couvert de terre. BRAUD et VIDAILLET, qui ont passé leur journée à casser les créneaux d'en face à coups de fusil, accourent indignés, ils prennent 3 grenades asphyxiants et les envoient sur nos voisins que l'on entend tousser, cracher et jurer ; l'air, très stable, sans vent, en est irrespirable même chez nous. Du coup, nous avons la paix, surtout lorsque l'on lance des fusées éclairantes.

 

* 16 mars 1915

 

A 5 h 45, GALERNE et la 24e viennent nous relever. Nous allons dans les carrières de la 3e ligne. L'air avec les feux d'escouade, y est suffocant, la fumée épaisse à couper au couteau. Un dédale de couloirs obscurs, piquetés de bougies allumées, des abris cloisonnés de claie et où les Zouaves ont réuni les débris de mobilier de TRACY, voilà le cantonnement. J'ai une cellule meublée d'un sommier, d'une table, d'un banc et d'une glace. A l'entrée de la carrière on a aménagé une salle de réunion pour les Officiers. Elle est meublée, possède une cheminée et prend jour sur le dehors par une vaste baie à laquelle ne manquent que les vitres. Nous y prendrons nos repas.

 

11 h - Je viens de voir les chambres occupées par VANNIER et TROALEN : ce sont des palais, en comparaison de mon gîte. En vertu de mon grade, j'ai un droit de préemption que j'exerce au détriment de TROALEN. Je serai fort bien.

 

12 h - Je déjeune avec mes Officiers dans notre cuisine très confortablement aménagée dans la carrière. Le jour y est pauvre, mais nous le renforçons avec une bougie.

 

Je vais faire un tour dans TRACY qui est ravagé par le canon. Le tir allemand y est intermittent. De rares civils y paraissent encore. Je lie connaissance avec d'aimables Officiers de Zouaves qui m'invitent à prendre du café avec eux. Récits intéressants sur les opérations auxquelles ils ont pris part dans la région, notamment celle à laquelle collabore LE ROY avec ses mitrailleurs en décembre. Grosse casse, pour rien du tout, pour le plaisir I (ou plutôt pour la gloire d'un "marmiton" qui suivait l'opération au bout d'un fil téléphonique, le cul sur son rond de cuir, au coin du feu).

 

17 h - Je rentre dans nos carrières où je trouve deux colis : un de René (saucisses truffées) et un des SOULE (chocolat, cigares, chartreuse, gras double en boîte).

C'est la noce !

 

19 h - Diner dans le même local que le repas du matin. Puis, réception par mes Sous-Officiers pour "champagniser" le produit d'une cagnotte. C'est très cordial. Chacun y va de sa chanson et moi-même je pousse le "Laisse en paix le Dieu des Combats" de l'Anacréon de Grétry.

 

A 22 h, séparation. Je chemine à tâtons vers mon gîte, m'éclairant avec des allumettes. J'arrive à une cuisine où je fais main basse sur un bout de bougie à l'aide duquel je retrouve ma porte.

 

22 h 45 - Coucher. Oublié de noter la visite, hier, d'une sape passant sous un poste d'écoute allemande : précaution en cas d'attaque. Il y en a d'autre comme cela sur mon secteur.

 

* 17 mars 1915

 

Réveil à 7 h. Journée tranquille, temps gris et doux.

 

Je vais au parc d'OFFEMONT pour y voir un lance-bombe à ressort. Le Génie veut bien nous le donner, mais il a quelque peu souffert et aurait besoin de réparations. D'un autre côté, le Génie offre de venir installer chez nous un emplacement de lance-bombes à poudre qu'il servirait lui-même quand nous le lui demanderions.

 

16 h 30 - Mes Poilus égaillés aux abords de la carrière, jouent comme des gosses. Des forains, acrobates professionnels, exécutent un numéro sensationnel : d'autres jouent aux cartes. Tout à coup, un sifflement caractéristique se fait entendre. Une marmite de 150 éclate - à quelques mètres. Je fais rentrer tout mon monde. Encore deux autres marmites et puis le silence. Tout le monde ressort aussitôt. On va chercher les fusées des 3 obus et l'on en retrouve 2 superbes, en cuivre de premier choix ; on ramasse aussi des éclats et des shrapnells encore enduits de souffre.

 

Les journaux arrivent. On les lit dehors, puis, la nuit tombant, on rentre pour diner.

 

21 h 30 - Coucher. Je suis fort bien logé, ma foi, dans ma petite case qui prend jour par un vitrage. J'y dors merveille.

 

* 18 mars 1915

 

Réveil à 7 h 30. Correspondance. LAFERRIERE vient pour la visite. On amène plusieurs blessés du 5e Bataillon : un obus est tombé sur les cuisines (ferme d'Ecafant).

 

Journée calme sauf canonnade, qui, du reste, est destinée seulement aux premières lignes.

 

Je reçois le soir un ordre pour aller à côté reconnaître le secteur de TRACY le VAL avec 2 cavaliers.

 

J'occupe mes hommes à nettoyer et niveler les abords de la carrière.

 

Coucher à 21 n 30.

 

* 19 mars 1915

 

Réveil à 7 h. Les chevaux sont prêts. LECOINTE qui s'est fait prêter celui du Brigadier GANDUCHEAU, m'accompagne.

 

Trajet court jusqu'à la ferme BRENANT où se tient le Colonel du 2ème Zouave. Je me présente à ce dernier qui me donne un guide pour ma visite. Je vois les secteurs des 5e et 1er Bataillons où je reçois un accueil charmant. C'est sur ce point qu'ont eu lieu les opérations de décembre auxquelles ont collaboré LE ROY et nos mitrailleurs. Opérations inutiles car le gain fut insignifiant et "criminel", car on a fait tuer sciemment 1 500 hommes, la fine fleur du Régiment, ainsi qu'une Compagnie l/2 du 42e.

 

Entre les tranchées adverses gisent encore les multiples cadavres de nos braves fantassins. L'ordonnateur de cette boucherie qui, en suivant les péripéties au bout d'un fil téléphonique, les pieds dans ses pantoufles, méritait une cravate de chanvre ; on lui a donné celle de Commandeur de la Légion d'Honneur.

 

Je vois des choses intéressantes, notamment une observation de tranchée constituée avec 2 plaques de blindage. J'apprends un mode nouveau pour lancer des pétards à mélinite et je m'instruis sur les avantages du retournement de notre balle aux faibles distances.

 

Je rentre ensuite à ma carrière où j'arrive pour le déjeuner.

 

Le temps est gris et froid, nous rentrons au trot et au galop.

 

Dans le courant de l'après-midi, il neige un peu. LE ROY vient me voir et je reçois, juste à ce moment le pot de pommade demandé pour lui et aussi une boite de cigares.

 

Mes Poilus continuent à aménager les abords de la carrière qu'ils nettoyant. Ils font des tables rustiques devant lesquelles ils mettront des bancs. Des allées sont dessinées : il ne manque que du gazon pour avoir un jardin anglais.

 

Fin de jour tranquille. Hier, la première ligne a reçu une quarantaine d'obus : 3 fusils cassés.

 

* 20 mars 1915

 

Lever â 4 h 30. Jus dans la carrière. A 5 h, nous allons en 2ème ligne où nous remplaçons la 22e. Je jambonne dans le secteur. J'apprends que GAUTEREAU à qui l'on venait de confier le commandement de la 20e a été trouvé asphyxié cette nuit dans son poste.

 

Imprudemment, il avait laissé un mauvais poêle allumé pendant son sommeil. J'attends confirmation de cette triste nouvelle : on essayerait de le sauver, parait-il, réussira-t-on ? Visite en 1ère ligne.

 

Je passe la matinée à visiter la 2ème ligne. A midi, je déjeune avec BRAUD et LE COINTE. Ensuite, je vais rendre visite au Commandant MOREAU. GAUTEREAU est évacué ; il s'en tirera. Un sous-Lieutenant de la 19e, récemment arrivé, et son ordonnance ont subi, la même nuit et dans un autre abri, un commencement d'intoxication ; on a peine à comprendre semblable imprudence.

 

14 h - J'accompagne le Commandant MOREAU au front n° 1, chez le Commandant BERTHONIN ; ce dernier, trop attentif aux observations du Brigadier, est surmené et tombera avant peu.

 

La journée est ensoleillée et tiède. La canonnade retentit ininterrompue.

 

Je reçois une lettre de LE GALLO ; il est guéri et va rejoindre le Dépôt. FLOCH, par téléphone, m'annonce que MOLGAT est nommé Sous-Lieutenant à titre temporaire et doit rejoindre VANNES sans retard.

 

Toutes les fois que je parle de mon cuisinier, BOTEAZOU, j'affirme avec aplomb qu'il a reçu les félicitations de PIERPONT MORGAN, sur la "Provence", pour un plat de choix.

 

J'apprends ce soir que le brave garçon a été, pendant son service, le cuisinier de l'Amiral BOUE de LAPEYRERE et qu'il a collaboré à des repas de gala donnés au Tzar, à M. TAFT et à M. DELCASSE ! Mes plaisanteries étaient donc inférieures à la réalité I Je me tords.

 

Diner à 19 h. Je me couche à l'heure habituelle.

 

* 21 mars 1915

 

Matinée splendide. Canonnade sur avions. L'ennemi envoie quelques obus sur l'arrière (hier la droite de ma tranchée a été bombardée sans résultat par les 77 qui ont frappé des abris où des Poilus jouaient aux cartes). Je me promène dans le secteur.

 

11 h 30 - CARO et les cuisiniers apportent le déjeuner préparé aux carrières. C'est sur eux qu'on a tiré tout à l'heure des fusants qui, heureusement, ont éclaté haut.

CARO a reçu plusieurs shrapnells sur la poitrine. En me racontant le fait, il ajoute de son air tranquille "Ah ! les vaches !".

 

Je déjeune avec BRAUD et LE COINTE quant à PUPIN, depuis qu'il a la Direction des travaux de notre demi-secteur, je le vois beaucoup moins.

 

Journée calme, temps splendide. Je lis 2 pièces assez faibles de l'Illustration. Je surveille mes Poilus au travail et je rends visite au Commandant MOREAU, toujours aimable et bon. Le Commandant BERTHONIN, surmené, a été évacué hier, VANNIER le remplace.

 

19 h - Diner avec BRAUD et LE COINTE. A milieu du repas, OLIVERES paraît portant une perdrix et 2 lièvres énormes ; il m'en offre un. C'est le fruit de sa chasse cet après- midi.

 

21 h 30 - Coucher.

 

* 22 mars 1915

 

Lever à 6 h 30. Relève en 1ère ligne à 7 h. Mais avant le départ OLIVERES m'apporte encore un perdreau.

 

Visite de la 1ère ligne. Demain nous appuierons vers la droite (Sud) de 150 m environ. Je vais déposséder MAQUARD du poste de commandement qu'il vient de terminer.

 

Violente canonnade de part et d'autre. Avant-hier, un brisant de 75 a extirpé de la tranchée allemande un Officier allemand dont le corps pantelant est demeuré tout le jour, sur les défenses de fils de fer de nos voisins qui l'ont retiré pendant la nuit.

 

12 h - Excellent déjeuner : civet de lièvre. Durant l'après-midi, surveillance des travaux. Lettre très tendre de ma petite Marthe.

 

19 h - Diner, perdrix rôties. Pluie légère.

 

21 h - Il bruine, temps très doux. Fusées éclairantes, vives fusillades. BRAUD, sur mes indications, fait confectionner, avec des rails de chemin de fer, un observatoire de tranchée.

 

22 h - Je me couche.

 

* 23 mars 1915

 

Lever à 6 h. Tour dans les tranchées. Je vais voir mon nouvel observatoire, constitué par un rail posé de champ sur un madrier, exactement comme sur les voies, avec madrier dessus, terre et fagots ne laissant passage en avant qu'au regard passant par les trous circulaires situés dans la partie minée du rail : le bout d'un fusil peut y passer. Mes Poilus ont haché les défenses en face mais 2 sont légèrement blessés au visage, dont le Caporal MORINEAU ancien Zouave décoré du Maroc, un chic type, le dévouement en personne, très intelligent avec ça. Les tireurs d'en face ont tiré sur ces trous minuscules avec des balles d'acier dont les éclats ont atteint mes hommes.

 

7 h - La Compagnie du 264e, qui doit pousser sur une partie de mon secteur, se présente. J'appuie moi-même à ma droite (sud) pour occuper une partie correspondante du A secteur de notre 5e Bataillon. Je vois BRETINEAU toujours aimable et sympathique. Il me raconte que VANNIER, en prenant le Commandement du Bataillon a fait une proclamation ; tel Napoléon !!!

 

Le bruit se répand que notre ancien secteur de St-PIERRE depuis que nous l'avons quitté, est devenu intenable, * canonné journellement. Qu'y-a-t-il de vrai dans cette nouvelle ?...

 

En attendant, hier l'ennemi a tiré sur nos réserves (carrière), au moment où les Poilus lézardaient tranquillement au soleil : 2 téléphonistes (GIQUEL, ancien soldat de ma Compagnie et de LEZELLEC, parent du Marquis de PLOEUE) ont été blessés. Aujourd'hui le Lieutenant-Major de la Compagnie Hors rang, a été tué, toujours aux carrières et dans sa “cagna" trop proche de l'entrée.

 

- 12 h - Déjeuner : 1/2 lièvre rôti.

 

- 14 h - Le Lieutenant-Colonel vient visiter le secteur : il est très content de voir notre travail d'hier et de la nuit. Je lui montre mon seul observatoire : par les trous du rail (que le petit Caporal ANTIER avait installé en " grimpant sur le plateau, sans souci des fusils boches à 30 “mètres) mes Poilus BONNAUD, MORINEAU et LE BRESSON ont pulvérisé les fils de fer et chevaux de frise ennemis. BONNAUD a brûlé 36 paquets de cartouches.

 

La journée passe, très calme. BRETINEAU vient me voir. Nous causons cordialement.

 

Diner à 19 h à la fin duquel VIDAILLET, vient me demander des Bickford pour pétards à mélinite. Il prépare 6 engins à jeter en face, ce qui s'exécute à 21 h 30. Je me couche, sans avoir pu assister à l'opération, retenu que j'ai été par une communication du Commandant.

 

A peine couché, je suis réveillé par le petit Caporal ANTIER qui vient me demander de nouveaux cordeaux en vue d'une danse supplémentaire dont j'entends, un instant plus tard, le retentissant fracas.

 

* 24 mars 1915

 

Lever à 6 h. VIDAILLET a tapé en plein dans un poste d'écoute ennemi, dont il a pulvérisé le réseau défensif.

 

Vers 8 h, relève et retour aux carrières.

 

J'arrive à mon gîte au moment où l'on va dire, dans la carrière même, un office pour l'enterrement du Sergent- Major tué hier.

 

Journée de détente, accompagné de BRAUD je vais au Parc d'OFFEMONT pour réclamer des lance-bombes au Génie.

 

Je rencontre le Colonel NIESSEL qui m'arrête et se montre très cordial. Il m'ouvre un crédit illimité de pétards à la cheddite. Au parc, on me montre des petits crapouillots que l'on destine à la Brigade. Je vais former une équipe de bombardiers.

 

Temps gris, doux, légèrement pluvieux.

 

Longue lettre de mon cher Henri ; mot de remerciements du secrétaire de BARRIS.

 

Et nous arrivons ainsi au soir. La nuit tombée, je rentre dans notre cuisine, qui a tout l'aspect d'une cave où l'on aurait installé un mobilier de fortune (ce qui ne l'empêche pas d'être modeste) et dont le soupirail tiendrait l'emploi de cheminée.

 

Coucher à 21 h 30.

 

* 25 mars 1915

 

Journée tranquille : il bruine mais le temps est doux. Je vais retrouver le bon Docteur à l'infirmerie de la carrière, puis nous allons au poste de secours de TRACY où l'on a apporté un homme de la 20e qui est mort cette nuit subitement, sans doute d'une lésion du cœur. Le décès parait un peu douteux, la rigidité n'étant que partielle et le corps n'ayant pas absolument perdu sa chaleur.

 

On gardera en observation de pauvre gars jusqu’à certitude.

 

LAFERRIERE et moi arrivons ensuite au gourbi du Colonel où des souterrains divers ont été creusés avec affectations multiples. Dans l'un se trouve la salle à manger. Les convives sont, outre le Colonel et le Docteur, LE ROY, LE FLOCH, GRAVRAUD et moi. Gai repas. On débouche une bouteille de Moët. Je rentre aux carrières à 16 h.

 

Diner et coucher à l'heure habituelle.

 

* 26 mars 1915

 

Lever à 7 h. TROUALEN ayant quitté la chambre de VANNIER pour remonter aux tranchées, je m'y installe. GALERNE, qui comptait y revenir, ne trouve plus, à sa descente de 1ère ligne que celle que je laisse et qui est à la fois moins grande, moins haute, moins claire, avec une couchette moins confortable. Il fait la tête, mais je n'en ai cure, la coutume militaire étant formelle en sa simplicité : c'est le plus élevé en grade qui choisit.

 

Journée splendide. La canonnade est intense. Les gradés de la 24e, qui nous ont succédés en 1ère ligne, nous avisent que l'ennemi, furieux du lancement de nos 15 pétards leur a envoyé la nuit suivante 15 bombes qui ont démoli le parapet où nous avions installé un rail avec trous de tireur. Les dégâts, purement matériels, ont été réparés incontinent. Je vais à TRACY pour y chercher de la ferraille destinée à confectionner de nouveaux postes de tir. Je fais aussi faire des expériences de lancement de pétards à l'aide d'une corde, système de la fronde. Résultats excellents.

 

Diner à 7 h, nous dégustons des pâtés de TOURNAY qui sont exquis.

 

21 h - Bruit de "minen" et de pétards ou bombes sur notre 1ère ligne. Peu de fusillade.

 

21 h 30 - Coucher. Je me lèverai demain à 6 h pour une reconnaissance à cheval vers TRACY le VAL. J'aurai un thème tactique à faire au retour...

 

* 27 mars 1915

 

Réveil à 6 h 30. A 7 h, les chevaux sellés nous attendent. Caravane composée de LECOINTRE, BOURGUARD, 2 cavaliers et moi.

 

Trot et galop jusqu'au parc d'OLLENCOURT.

 

Pied à terre. Présentation au Commandant LABROS des Zouaves qui nous donne un guide.

 

Visite du secteur. Le village n'est qu'une lamentable ruine. Je fais connaissance avec le Capitaine PANTALACCI qui veut bien me piloter. Le secteur a été un des plus agités du front pendant plusieurs mois. Presque tous les Officiers d'active ont disparu, lors de la conquête du bourg, maison par maison. L'ennemi est dompté et n'attaque plus. Il se borne à lancer de temps à autre une avalanche de projectiles sur les nôtres mais notre artillerie répond copieusement et les Zouaves servent eux-mêmes des mortiers de 15e aux durs effets. On joue de la mine, de part et d'autre. Contre les marmites de 21e et les "seaux à charbons" de 28 cm, on a adopté les abris souterrains, à 6 m de profondeur.

 

Retour à 11 h, au galop de cheval. Mon petit canard, très sûr, mais rempli d'amour-propre, ne peut supporter qu'on le dépasse.

 

12 h - Déjeuner.

 

13 h - Leçon de lancement de pétards et bombes (avec mortiers) par le Capitaine Maître de VALLON, du Génie, au parc d'0FFEMONT. Retour aux carrières à 15 h 30.

 

Calme fin de journée, temps splendide et déjà chaud.

 

J'ai effectué dans TRACY le M... une petite tournée avec BRAUD et VIDAILLET. J'ai recueilli dans une maison abandonnée, 3 volumes de la Revue des 2 Mondes, qui me permettront d'occuper mes loisirs avec quelques lectures.

 

Je reçois à 18 h, un colis de TOURNAY, qui me fut expédié par ADRIENNE dans les environs du 23 février : il contient un pâté de dinde, des fruits, des caramels et de la pâte de coing. Hélas I Le pâté est archi moisi et dans un tel état que je l'ai pris tout d'abord pour un Camembert très avancé : les poires sont en marmelade, mais tout le reste est fort heureusement excellent.

 

Nous remontons aux tranchées (2e ligne) demain matin à 7 h, pour deux jours.

 

J'écoute les bruits de la 1ère ligne avec curiosité. Si les Boches nous embêtent, ils vont recevoir une extraordinaire dégelée. La nuit dernière, ils ont lancé 35 bombes sur notre 1ère ligne, détruisant 50 m de parapet. Le Brigadier est furieux et ne leur laissera pas le dernier mot.

 

Coucher à l'heure habituelle.

 

* 28 mars 1915

 

Lever à 6 h. Départ à 7 h. pour la 2ème ligne. Temps superbe, mais froid : il a gelé cette nuit. En arrivant, je vais voir le Commandant qui m'offre du café. La nuit a été calme, ce qui n'a pas empêché nos 75 d'envoyer quelques pruneaux aux voisins d'en face. L'exp1osif a été modifié au point de rendre assourdissants, même pour nous, les éclatements d'obus.

 

Le Commandant et moi, allons ensemble faire une visite de la 1ère ligne. Retour par le secteur du 5e Bataillon où nous voyons BRETINEAU et PERON.

 

Journée tranquille. Coucher à l'heure habituelle.

 

* 29 mars 1915

 

Pendant que j'effectue ma tournée du matin, je rencontre le Capitaine du Génie Maître de VALLON, ingénieur des Ponts en Algérie. Nous causons amicalement. Le Lieutenant-Colonel apparaît, allant vers la 1ère ligne : nous l'accompagnons. Un homme de la 22e vient d'être tué par une balle passant à travers un créneau reconnu dangereux. J'enverrai ce soir à TROUALEN des sacs remplis de cailloux et des rails pour modifier le parapet.

 

Reçu ce matin un colis de Marthe contenant un délicieux gâteau.

 

Dans la soirée me parvient un colis d'œufs de Pâques dont je vais faire des largesses à mes Sergents selon le désir manifesté par Marthe dans une lettre qui m'arrive en même temps. J'ai aussi une très affectueuse lettre de Pauline accompagnée d'une photo délicieuse du petit Albert.

 

J'ai passé une partie de l'après-midi avec le Commandant MOREAU qui a reçu confirmation de la mort de notre cher Général DELARUE, en Champagne où il avait été envoyé avec sa Division. NICOLLET a été tué aussi, à MESNIL les HARLUS.

 

Coucher à 21 h.

 

* 30 mars 1915

 

Réveil à 6 h. Relève pour aller en 1ère ligne. Je trouve TROUALEN, obséquieux comme toujours et fort content des travaux qu'il a effectués : je les vérifierai plus tard.

 

Je vais faire un tour à la 18e, à ma droite. Je vois MAQUARD souffrant, très grippé. Au moment où je reviens, je trouve le Commandant MOREAU furieux contre la 22e qui a fait des travaux idiots.

 

Il me charge, après éloges à mes Poilus, de réparer les bévues commises. Puis, nous allons ensemble dans le secteur du 264e.

 

Courte visite au Commandant PIQUARD. Retour par la 2ème ligne après station au poste du Commandant MOREAU où je trouve LE ROY.

 

Je fais travailler mes Poilus à la réparation du "loupage" de la 22e.

 

Le temps se couvre. On sent venir la neige.

 

A 18 h, on m'apporte une gentille lettre de MOLGAT qui est à VANNES et une carte de DUFOUR. Je reçois aussi 2 colis œufs de Pâques : ce sont les 12 œufs destinés à mes Sous- Officiers. Chaque colis est accompagné d'une jolie lettre de Louise qui, par son écriture régulière et la netteté de sa rédaction, me ravit : le bon cher petit a bien profité des leçons de la meilleure et de la plus patiente des maîtresses.

 

Nous tirons les crapouillots CELLERIER contre le poste d'écoute le plus proche de nos lignes. Mais le tir, réglé par un Sergent du 5e Bataillon, est trop long. Je le prévoyais, vu la charge de poudre, mais le Sergent, qui prétend s'y connaître, ne veut rien entendre. C'est un imbécile.

 

19 b - Diner. PUPIN, nostalgique, nous est revenu. Il me demande une des lettres de Louise pour l'envoyer à sa femme. J'ai fait distribuer les œufs de Pâques par BRAUD et LECOINTRE qui m'ont dit la joie des braves Sergents. A la moitié du repas, l'Adjudant Chrétien vient me présenter les remerciements du 1er Peloton et me demander l'adresse de "Mesdemoiselles mes filles" pour des remerciements collectifs. C'est très gentil et je suis très touché.

 

A 20 h 30, JOSSET vient me voir. Avant-hier son équipe de fils de fer avait fort peu travaillé. Je lui avais manifesté mon mécontentement en l'invitant à dire de ma part à ses hommes que si ça ne changeait pas je n'hésiterais pas à demander leur passage dans une autre Compagnie : or, il y a trois jours, j'avais dû désigner 7 hommes pour aller à la 21e dont l'effectif était sensiblement inférieur à celui des autres Compagnies et les élus (choisis naturellement, parmi les indésirables) avaient accueilli l'annonce de la mutation comme une catastrophe. Résultat : hier, l'équipe a abattu une besogne exceptionnelle, aujourd'hui, elle a bien travaillé et JOSSET profitant du temps couvert a, dès la tombée de la nuit, enjambé avec Daniel le parapet pour revoir tout notre réseau et dégager le front de pas mal de chevaux de frise trop proches.

 

Forte canonnade vers SOISSONS. Il neige fortement. La campagne est blanche dans l'obscurité.

 

Et à 21 h, je me couche.

 

* 31 mars 1915

 

Au réveil, je vois 10 cm de neige qui, avec un clair et gai soleil, se met à fondre rapidement, causant une boue intense dont on se débarrasse à la pelle.

 

Matinée de travail, renforcement de la partie de tranchée où l'homme de la 22e a été tué par une balle qui avait, vraisemblablement traversé le parapet.

 

Visite du Commandant MOREAU, très satisfait. Déjeuner à midi avec LE ROY. Le Colonel PLUYETTE vient nous voir et apprécie également nos travaux.

 

Journée tranquille de gros travail : défenses des têtes de boyaux, traverses avec créneaux dans l'épaisseur, observatoires.

 

Après diner, sérénade par pétards à cheddite sur un poste d'écoute allemand en face du point où a été tué l'homme de la 22e. 2 pétards sont lancés, puis, comme on nous a promis des représailles de 75 si nous recevions des bombes, nous faisons téléphoner effrontément que nous en avons reçu 2 :

rafale d'artillerie, 4 coups bien tassés. Les Poilus tiraillent en invectivant l'ennemi de la façon la plus

cocasse, surtout BONNAUD.

 

Je me couche vers 22 h 30.

 

* 1er avril 1915

 

Nuit calme, réveil à 6 h. Travail fastidieux de bureau (consignes des travaux).

 

Visite de secteur. La traverse à créneaux terminée est superbe.

 

8 h 30 - GALERNE, avec la 24e, vient nous relever. Retour aux carrières pour 4 jours. Temps magnifique, chaud soleil.

 

Déjeuner à midi dans notre cave-cuisine I Puis, promenade aux alentours des carrières, jusqu'à TRACY LE MONT. La grande nouvelle du jour, outre la promotion de VILLAINE au grade d'aide Major, est le relèvement de TROUALEN de son commandement de Compagnie. Cet individu, fourbe, faux et méchant, méprise de ses camarades, et détesté de ses inférieurs, a tant fait, tant brutalisé ces derniers, que le Lieutenant-Colonel l'a changé de Bataillon et affecté à la 17e, comme simple Chef de Section.

 

Dans une lettre d'hier, Marthe m'accuse réception du paquet de correspondance et me dit, après avoir rapporté qu'elle m'avait communiqué sa réponse à M. ALLOUNEAU, que je ne lui avais pas dit mon sentiment sur sa lettre.

 

Celle-ci était parfaite à tous égards, ce que j'avais trouvé tout naturel...

 

Voilà pourquoi je n'avais pas formulé d'appréciation.

 

L'on va, l'on vient, tout l'après-midi, autour de la carrière. L'un des acrobates de l'autre jour fait des pitreries qui attirent un cercle de badauds : C'est un Poilu de la 22e ancien Bat' d'Aff', Finistérien d'origine, nomade d'ailleurs et vaguement forain. Il a avoué à GLIVERES qu'il "m'avait connu dans le civil"... C'est un débrouillard et un comique désopilant.

 

PATTE succède à TROUALEN dans le commandement de la 2e.

 

Coucher à 21 h 45.

 

* 2 avril 1915

 

Je flemmarde dès mon lever. CARO, qui vient me réveiller à 7 h 30, m'apporte du café, allume mon poêle et je fais ma toilette au chaud, puis ma correspondance, ma petite chambre est vraiment agréable, claire et gaie. C'est une case en bois blanc avec fenêtre et porte à dessus vitré qui viennent tout droit de TRACY ; mon sommier, mon matelas, mon traversin, mes 2 chaises, mon poêle ont la même origine ; le lit et les 3 tables (dont une de nuit avec, à l'intérieur un seau à confiture J) sont l'œuvre des Poilus. J'ai des étagères, des patères, un escabeau et même un plancher (non ciré). C'est le luxe.

 

Rien de saillant, à part une séance en plein air donnée par les Poilus de la 22e : exercices acrobatiques, chansons, pantomime. Le pitre, celui qui ”m'a connu dans le civil” est désopilant : il se nomme LE SCOUARNEC, dit “La Branche" et il est surtout connu sous le nom de "Charlot".

 

A 17 h, me parvient une exquise lettre de Louise qui m'a causé la plus douce des émotions : le cher petit a rempli quatre pages, comme une grande fille et de la façon la plus intéressante. Marthe ferait bien de lui faire commencer un journal régulier.

 

Après diner, longue et gaie causerie avec mes 3 Sous- Lieutenants et BOURQUARD. A 21 h, nous nous séparons. La nuit est sombre : 3 vastes pinceaux lumineux sillonnent le ciel. Sans aucun doute pour surveiller l'arrivée possible de Zippelins.

 

21 h 30 - Coucher.

* 3 avril 1915

 

Pendant une partie de la nuit, la CHR mène grand tapage : les hommes ont dû boire. Hier, j'ai été contraint de donner un avertissement sérieux et définitif à 4 de mes Sergents qui s'étaient enivrés. Ce matin, j'apprends qu'un homme de la 23e est allé de nuit acheter du vin à TRACY : ivre, il a manqué une corvée de travailleurs. Les Bretons sont de braves gens, mais quels ivrognes.

 

Ils saisissent aussitôt toutes les occasions de boire et il se trouve toujours des sales civils pour leur fournir du vin, à des prix odieusement élevés, du reste. Je punis, l'homme et aussi GUILLERMOT, son Caporal, qui n'a pas signalé hier son absence au rassemblement.

 

Je reçois une lettre attristée de ma petite Marthe qui a cru voir, dans un mot anodin d'une de mes lettres, une critique. Pauvre chère petite ! Je suis navré de penser que j'ai pu, par maladresse, lui causer du chagrin. Je n'avais pas compris le pourquoi d'un projet de retour à QUIMPER et je l'avais attribué à un scrupule de situation officielle : je comprends, maintenant, qu'il y a autre chose, un de ces heurts de famille, si fréquents hélas dans le milieu où elle est obligée de vivre et je suis furieux de penser que l'on ne sait pas ficher la paix à mon cher petit.

 

Je réponds en conseillant un séjour à TOURNAY et aussi à MURET. Détente nécessaire pour tout le monde.

 

2 colis me parviennent : un saucisson exquis, auquel la popote fait un sort immédiat et un foie gras qu'accompagne un morceau de lard : ce sera pour demain. J'ai admis mes 2 Adjudants à ma table. VIDAILLET et CHRETIEN sont parfaits.

 

J'ai envoyé à Marthe un mandat de 500 F par l'intermédiaire de GREGOIRE, l'Officier payeur.

 

La pluie survient dès le milieu du jour, détrempant le sol et créant des mars désagréables. Je ne quitte pas les carrières, sauf pour faire un bout de conduite au Commandant qui vient nous faire une visite.

L’ennemi lance quelques obus à nos entours : ils s’enfoncent sans éclater dans le sol mouillé.

 

21 h 30 – Coucher.

 

Fin du  carnet 2 (du 20 novembre 1914 au 3 avril 1915)

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19 mai 2014 1 19 /05 /mai /2014 17:08

 "Mon Parc au soleil " regroupe un ensemble de poèmes écrits par Michel Riffault de 1963 (années de lycée) jusqu'au 27 juin 1999,

 

date à laquelle il a remis à Jacques et Monique Riffault à l'occasion de leurs anniversaires (80-77ans)

 

un tirage de ses derniers écrits datant de mai 1996 à juin 1999, soit une quarantaine de poèmes ou sonnets rédigés pendant sa "mise en longue maladie" (années 90), "sa vie de mutant" et "cinq ans après (de 1998 à .........) ".

 

 

En voici quelques uns :

Neige 

 

 

img123-Neige.jpg 

      

 

  Brocante  

 img121-Brocante.jpg

 Exhibitions

 img120-Exhibitions.jpg

 Grisailles

img119-Grisaille.jpg

 Fêtes

img119 Fête

 

  Apparence  

 

 

img125.jpg

 

en attendant la publication de l'oeuvre intégrale...

Tous droits réservés

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 08:15

"POESIES

en vers libres, presque de terre.

Par accident, en vers réguliers. "

 

 

 

Peupliers en été

 

Douces plumes qui luisez,

En agitant lentement

Vos feuilles ébouriffées

Dans la paisible clarté

Du pâle azur affectueux,

J'aime bien vous regarder,

Clignant à demi des yeux,

Et, couchée dans l'herbe drue,

Vous contemplez à l'envers,

Tandis que les cris aigus

D'un petit moineau qui vole

         Près de vous

Tintent dans l'espace bleu.

 

 

 

Démolition de la foire sous la pluie

 

      Il fait gris et il pleut

La nuit tombe en m'apportant une vague mélancolie

Parce que j'ai passé une journée très morne.

         Par ma fenêtre, je regarde

                 La fin du jour.

     (Déjà ma chambre est obscure)

On démolit la foire; un marteau monotone

              Résonne faiblement.

     Sous le métro qui passe, vaguement éclairé

           Plein de silhouettes noires,

Je ne vois pas d'objet qui ait une vraie couleur;

                       Aucun bruit

                   Net et brusque

          Ne vient me faire sursauter.

           Tout est gris sale et triste.

Les peintures fanées qui ornaient les boutiques

Derrière une rangée de lampes allumées

                  Font de la peine

Maintenant qu'elles sont empilées sur le sol

      Froides de la pluies qui les pénètre.

Le cirque est démonté - La tente, vieux lambeau

               Verdâtre et rapiécé,

         Est entassée dans un chariot;

           Il reste la piste centrale,

Sable collé de pluie sur les pavés humides.

           Des hommes évoluent,

Transportant des vieilles planches

           Parmi la paille trempée

             Qui traine partout...

 

       On a allumé les réverbères,

Et des flaques brillantes sont apparues

          Noircissant tout le reste.

 

   Il me tarde que tous ces gens qui piétinent

             Dans l'eau et la boue,

        Rentrent dans leurs maisons

      Pour se brûler avec leur soupe.

 

Demain je bénierai les rayons du soleil.

 

 

 

            Considérations

 

            Il y a des étoiles

             Qui sont si loin

             Si loin de nous,

Que nous ne pouvons pas les voir.

(Même avec une lunette énorme)

       Et elles sont très grosses,

    Cent mille fois plus grosses

            Que la plus grosse.

Et la plus grosse, nous ne la voyons déjà

                Presque pas,

(Même avec une lunette énorme),

    Tant elle est loin, loin, loin...

                   Tant pis....

              J'aime mieux la lune blonde,

              Et sa bonne tache ronde,

              Qui met un peu de clarté

              Dans le grand ciel bleu foncé.

 

                             *

                         *      *

                Il y a des insectes

Cent cinquante mille fois plus petits

                    Qu'une puce.

    Et ils ont des yeux à facettes !!!....

                        Tant pis........

              J'aime mieux la coccinelle,

              Qui replie sa petite aile

              Sous son élytre astiquée,

              Rouge et de pois noirs semée.

 

 

 

               Coup de vent

 

 

J'écris à ma table , et soudain

Mes volets battent en tous sens.

Le vent souffle sous ma prte

Et ma fenêtre mal fermée

         S'ouvre toute grande

En frappant le murà droite et à gauche

   Cent feuilles jaunes et vertes

     Volent dans ma chambre,

        Tournoient un peu,

              Et tombent.

 

     En rattanchant mes contrevents

          Je vois Balbine ,

           Toute effarée,

Dans sa voiture couverte

  De feuilles vertes et jaunes

 

Tous les volets battent dans la maison,

Mille feuilles tombent dans le jardin.

 

 

En auto, l'automne

 

Un pissenlit,

Deux pissenlits,

Des troncs d'arbres, des troncs d'arbres,

Cinq pissenlits

Dix pissenlits

Des troncs d'arbres blancs et gris.

 

Trois champs verts

Et quatre bis

Vingt trons d'arbres blancs et gris.

 

Un joli petit sous-bois

Fines, fines branches noires,

Un joli petit sous-bois

Larges feuilles jaunes d'oeuf

Feuilels rousses

Feuilles rouges

Hrebe verte et terre brune.

 

Une petite maison

Avec un tas de fumier.

Une vache et son berger,

Quelques poules noires.

Des peitits moutons pelés

Et qui trottent, et qui trottent.

 

Un champ vert

Et quatre roux...

 

Des troncs d'arbres blancs et gris

Et toujours des pissenlits.

 

 

 

Tout le long

Du cadran

De la TSF

 

Une dame bêle,

Un monsieur rugit;

Un orchestre gronde

Une symphonie;

Mais un autre rythme

Le fox d'aujourd'hui-

Et puis ça grésille,

Ca crie et ça frit.

 

Cette dame bêle

Bêlera toujours-

(Tous les centimètres

Je tombe dessus).

Elle a le coeur tendre,

Ne veut plus attendre,

Déverse des pleurs....

Quel affreux malheur!

Toute sa tendresse,

En pleine détresse,

S'exhale en soupirs

De se voir trahir.

Ah, Quelles alarmes,

Oh , voyez ces larmes !....

Pauvre, pauvre dame....

 

Une conférence

Sur les petits pois,

Et puis de la danse

Encore une fois.

La dame roucoule

Toujours dans son coin;

Puis c'est une foule

Qui hurle pour rien.

 

Et vive la quintonine,

La mort parfumée des poux.

Faites passer votre toux

Avec la Boldoflorine,

Quant aux pillules Carter

C'est contre le mal de mer.

 

La dame miaule

miaou, miaou

Le monsieur gronde

gravou, gravou

Et la friture

Fait cra-cra-cra....

 

Tournons le bouton

Ca suffit comme ça.

 

 

 

Dans les dunes des Landes

                                   (Vieux Boucau) 

 

 

Mon pied foule un sable pâle,

Ma main cueille des chardons

D'un bleu fin comme l'opale

Avec d'épineux boutons.

 

Ma tête est contre le ciel

Parsemé de nuages blancs

L'air est doux comme le miel

Le soleil est apaisant.

 

Quelques touffes de bruyères

Près de la forêt des pins.

Bien loin siffle un petit train.

 

Les embruns vaporisés

Volent au dessus des terres,

Et la mer sourit tout près.

 

 

 

 

Poème fait avec un "petit

      dictionnaire des rimes

                   françaises"

                    ~~~~~~~~

 

Machiavel

Mange du miel.

Le cul-de-jatte

Suce une datte.

Le grand Scipion

A des visions.

Bucéphale

Fait du scandale

Car il avale

Ses amygdalles

Et ses sandales

Dans sa timbale.

Ce sagouin

De marsouin

Avec son grouin

De babouin

Broute son foin

Dans un coin.

Quel tintouin !

La chenille

S'égosille

Dans sa coquille,

Et mordille

La camomille

De sa fille.

 

 

 

 

Repos

 

Ce crétin

de Crassus

crapuleux

craque

ses crocs

crasseux

sur son crâne

crevé,

en cravachant

ses crevettes

cruelles

à coups de cravate

cramoisie.

Puis il crache

des crapauds

criblés

de croûtons

au cri crispant du crin-crin.

 

                                  j'aimerais bien faire le dessin, mais

                                                          c'est trop difficile.

 

 

 

Notes d'hiver

 

 

La terre est saupoudrée de sucre,

Les arbres fins et mauves

Moutonnent sous le soleil pâle.

            Voici l'hiver.

L'hiver avec ss aboiements de chiens

Qui résonnent dans l'air vide et froid;

L'hiver avec ses flaques gelées,

Ses cheminées fumeuses,

Ses odeurs froides

Qui volent avec le vent :

Soupe, café, feux d'herbes, terre humide.

 

J'aime les maisons,

Leurs culeurs sont douces

Dans le paysage.

Avec leurs taches de sulfate

bleu-vert

Sur les murs où grimpent

Les squelettes noirs de vignes.

 

Au bord des routes, je vois :

Une petite maison

bleue azur

Sous son toit d'ardoises

Ses contrevents

Sont gris et délavés,

Sa porte vbancale,

Son jardinet planté de choux.

Maison rose, maison grise,

Volets verts, bruns,

Gris, bleus, rouges.

Même les panneaux-réclames

Ne m'indignent plus

Les couleurs de l'hiver

Sont si fines, si fines,

Que tutes les taches vives

Y sont ravissantes.

 

Une buse sur un arbre,

Douze vaches dans un pré,

Des limaces sur la route,

Des genêts dans le fossé.

Le vent pique,

Le soleil rend heureux.

 

Les montagnes se perdent dans une buée de beau temps.

 

 

 

Le comité des dames tricoteuses

                 ~~~~~~~~~~

 

                     Tricoti.tricota

       Ce sont les dames tricoteuses

C'est dimanche, elles vont à l'école, après les vêpres,

         En noir, de la tête aux semelles,

Sur la pointe des pieds, deux par deux, trois par trois,

Leurs mentons festonnés enfouis dans la fourrure,

Et leur langue pointue tricotant à l'avance.

Tout en prenant le thé dans la salle de classe,

         Elles dévident des mètres de chaussetttes,

         Des litres de chandails, 

             Et de passes-montagnes,

         Des hectares d'écharpes.

      Les longues aiguilles cliquettent,

      Les rondes pelotes roulent,

                  S'embrouillent,

              Et font des noeuds

                      et des noeuds

                      et des noeuds.

 

                     Tricoti.tricota,

         Adieu les dames tricoteuses,

           Qui vont fricoter leur dîner.

 

 

 

 

  Avec la neige

                                  20 janvier

 

                      Tout

                 est blanc

                   et gris,

                     Tout

                est blanc

                  et brun,

                     Tout

               est blanc

                  et bleu.

 

Le vent zonzonne à mes oreilles,

Et j'ai les doigts de pied gelés.

Les arbres de la route grincent

Et les oiseaux font effriter

Les flocons blancs qui sont tassés

Le long des branches alourdies.

 

                        Il

                 fait froid

                 et doux.

                   Tout

                  est ra

                 vissant.

      Je marche, je marche

               et je cours,

En imprimant mes semelles

        Dans la neige molle

        Qui couvre la route.

      Les grandes branches

       brunes et blanches

Oscillent au-dessus de moi,

  et me poudrent les cheveux.

               Les grosses pierres

               De la rivière

               Ont sur la tête

               Un beau coussin.

 

Toute cette blancheur me donne envie de rire.

 

 

 

 

 

Pied, Cloc et Tartine

  (poème épique)

 

Blé, carotte et chocolat,

Avec des tabliers sales

Et de vieux souliers percés,

         Clopinent

Pied, Cloc et Tartine.

 

 

Dans une grande forêt,

Les voilés tous trois entrés.

Ils sont tout petits et pleurent,

          Effarés,

Cloc, Tartine et Pied.

 

 

Voici l'horrible sorcière

Qui mord, griffe et tord le cou;

Mon Dieu, mon Dieu, notre Père,

           Protégez

Cloc, Tartine et Pied !

 

 

Courant, sautant, haletant,

Fuient à travers les fourrés

Poursuivis et talonnés

           Les pauvres

Pied, Tartine et Cloc.

 

 

Ils courent toute la nuit,

Et la sorcière les suit,

Grinçant de ses dents pourries

Et pourléchant ses babines :

            "Miam - miam - miam,

Pied, Cloc et Tartine !"

 

 

Mais, tout d'un coup, la sorcière

Frappe son front et se dit :

"J'ai laissé dans ma caverne

Ma marmite sur le feu,

Ma soupe a dû s'échapper !"

Alors elle se dépêche

De rentrer. Quelle étourdie !!..

            Mais passons.

 

 

Assis sur un gros tronc d'arbre,

Tous les trois sèchent leurs larmes,

            Essouflés.

Oh, comme ils se dodelinent,

Pied, Cloc et Tartine !..

           ~~~~~~~~

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 07:46

 

Le père de l'artiste Monique Riffault, Guilhaume Cazenavette, jeune magistrat, procureur de la République au Tribunal de Grande Instance de Quimper, s'était engagé volontaire en 1914, persuadé que cette guerre ne durerait au plus que quelques mois.

Mais la guerre s'est enlisée et a duré jusqu'à l'armistice de 1918 causant plusieurs millions de morts.

 

Guilhaume Cazenavette a écrit un journal pendant cette guerre, qui n'a pas été publié, où il raconte sa vie depuis le premier jour du 5 septembre 1914 où il rejoint les troupes jusqu'au 11 février 1919 jour de l'annonce par l'état major de sa libération de ses obligations militaires.

 

 

En préambule, je vous donne lecture de l'hommage qui lui a été rendu par ses paires en 1959, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation qui s’est tenue le 2 octobre, en présence de monsieur le Général Charles de Gaulle, Président de la République, et de monsieur Edmond Michelet, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

 

Discours prononcés :

 

Allocution de monsieur le Général de Gaulle,

Président de la République

 

A l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, j’ai tenu à apporter à votre haute instance le témoignage de ma présence.

 

Témoignage qui, à travers la Cour, s’adresse à la magistra­ture française. C’est en toute dignité et en toute indépendance que celle-ci remplit son incomparable fonction. Je le dis au nom de l’Etat et en connaissance de cause.

 

D’ailleurs, la grande et récente réforme a rencontré de la part du corps judiciaire une intelligence et un loyalisme auxquels je me plais à rendre hommage. Monsieur le garde des Sceaux me la dit et je l’ai moi-même constaté au Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, la réforme elle-même et la façon dont elle s’applique portent-elles au plus haut le prestige nécessaire de la justice.

 

Réponse de monsieur Nicolas Battestini,

premier président de la Cour de cassation

 

 

Monsieur le Président de la République,

 

Les sentiments que vous venez d’exprimer iront droit au coeur de tous les magistrats de France. En leur nom, je vous en remercie respectueusement.

 

 

Allocution prononcée en chambre du conseil
par monsieur Nicolas Battestini,

premier président de la Cour de cassation

 

 

Monsieur le Président de la République,

 

La haute marque d’estime et de bienveillant intérêt que vous donnez à notre Cour, en lui faisant le grand honneur d’as­sister à son audience solennelle de rentrée, nous touche vivement.

 

Nous vous en exprimons notre profonde et respectueuse gra­titude.

 

Nous serions heureux si, en souvenir de votre visite à la Cour de cassation et comme un hommage déférent de notre Com­pagnie, vous vouliez bien accepter cette médaille qui constitue simplement l’insigne de notre magistrature, que chacun de nous reçoit à son entrée en charge.

 

La figure allégorique de l’avers, comme l’inscription portée au revers, rappellent que nous sommes les gardiens et les inter­prètes de la Loi.

 

Je tiens à vous donner l’assurance, monsieur le Président de la République, que les magistrats de notre Cour apportent un dévouement sans réserve à l’accomplissement de cette noble mission.

 

Discours en audience solennelle
de monsieur Antonin Besson,

procureur général près la Cour de cassation

 

 

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le garde des Sceaux,

Monsieur le premier président,

Messieurs les présidents,

Madame,

Messieurs,

Mes chers collègues,

 

Au nom de la Cour de cassation, nous tenons à exprimer publi­quement à monsieur le Président de la République la gratitude que nous lui devons pour l’éclat exceptionnel qu’il confère à notre audience de rentrée en nous faisant l’honneur d’y assister.

 

Nous remercions aussi monsieur le garde des Sceaux, ainsi que les hautes personnalités qui ont bien voulu, par leur présence, nous donner un témoignage de l’intérêt qu’ils portent à notre maison.

 

Nous y sommes très sensibles.

 

Une audience solennelle de rentrée n’est pas seulement une séance d’apparat ni même une simple cérémonie du souvenir. C’est tout cela, certes, mais c’est aussi notre Fête du Travail. En effet, elle est la consécration officielle de l’activité que nous avons déployée au cours de l’année judiciaire écoulée.

 

Si l’inventaire des pourvois jugés ou restant à juger se fait le plus souvent d’une manière discrète, dans l’intimité de nos assemblées, il est utile que, de temps à autre, le bilan de nos travaux soit établi au grand jour de l’audience, pour mesurer l’intensité de l’effort qui est à demander à chacun de nos collègues afin que nous soyons à la hauteur des circonstances.

 

Ces circonstances nous ont été contraires pendant longtemps. Pour des raisons qui tiennent à la complexité de la vie moderne, la masse des pourvois soumis à la Cour de cassation allait cha­que année en s’augmentant.

 

Depuis 1947, on constatait avec amertume que plusieurs cen­taines de pourvois - sinon même des milliers dans les plus mauvaises années - n’avaient pu être jugés et qu’ils venaient faire boule de neige avec ceux des années précédentes qui avaient connu le même sort.

 

Au cours de la mercuriale que nous avions prononcée en 1955, nous avions jeté l’alarme, tout en trouvant cependant, dès ce moment, des raisons d’espérer qui nous avaient amené à dire que la Cour de cassation était sur le point d’endiguer la marée montante des pourvois : il suffisait qu’on lui donnât les moyens d’action correspondant à son expansion.

 

Bien que ces moyens nous eussent été donnés au compte-gout­tes, nous avons pu intensifier notre rendement.

 

Et ce qui n’était qu’un pari sur l’avenir finit par entrer dans la voie des réalités.

 

Cela correspondit à l’époque où monsieur le premier président Bat­testini venait de prendre en mains les destinées de la maison. La remontée fut lente mais incessante.

 

Pour la troisième fois consécutive, le nombre des affaires jugées a dépassé celui des affaires reçues et il l’a été, cette année, de plus de 1.200 unités.

 

Nous sommes donc récompensés de la persistance de nos efforts. L’arriéré que nous traînions comme un boulet a dimi­nué de plusieurs milliers, et cela, bien que le nombre des pourvois annuels soit resté constant et il a été, cette année, de 6.600.

 

Nous n’avons parlé jusqu’ici que des affaires civiles, commer­ciales ou sociales. Le bilan de la chambre criminelle est plus éclatant encore.

 

Le volant des pourvois qui lui restent correspond aux affaires en cours d’instruction, de sorte qu’on peut dire que la cham­bre criminelle est à jour, bien qu’elle ait, au cours de l’année, reçu plus de 5.600 pourvois.

 

Rivalisant d’entrain, civilistes et pénalistes, sont donc, pour notre maison, un légitime sujet de fierté.

 

Sans doute, les plaideurs seront-ils moins attendris que nous ne le sommes par les résultats obtenus. Leurs procès sont, pour eux, le centre exclusif de leurs préoccupations et tant que nous traînerons de vieilles affaires, nous ne saurions avoir de véri­table répit.

 

Il n’empêche que toutes choses restant égales, nous pouvons désormais envisager l’avenir avec plus de sérénité que par le passé.

 

Le réconfort que nous éprouvons est d’autant plus grand que la comparaison entre notre situation présente et celle des alen­tours de l’année 1900 plaide éloquemment en notre faveur. A cette époque, et à s’en tenir aux seules affaires civiles, la Cour de cassation recevait un peu plus de 700 dossiers par an. Elle en reçoit maintenant près de 7.000.

 

Pour mener à bien la tâche qui leur incombe, nos collègues doivent consacrer tous leurs instants à l’étude de leurs affaires.

 

Ils y sacrifient parfois leur santé lorsqu’ils ne cèdent pas à temps aux exigences des réflexes de repos qui sont des signes qui ne trompent pas et nous en avons connu qui, ayant trop tendu le ressort, l’ont chèrement payé.

 

Ils y sacrifient aussi le besoin de paraître et de se livrer à certaines manifestations extérieures de la vie, besoin auquel les hommes attachent généralement du prix.

 

S’il arrive ainsi à nos collègues de vivre en marge de la société, ce n’est point parce qu’ils ont peur de s’y compromet­tre, c’est parce que, par un scrupule qui les honore, ils crain­draient d’altérer la confiance que leur témoignent les plaideurs et qui ne doit être ternie par aucun soupçon.

 

Cependant, pour être discrète, leur activité n’en est pas moins manifeste en plus d’un domaine. L’interaction du collectif et de l’individuel interdit du reste tout isolement et la tour d’ivoire n’est qu’une figure de rhétorique.

 

Les idées nouvelles ne sauraient nous surprendre car la cul­ture générale - qui jamais ne se développe en champ clos - a pour nous la valeur d’un antidote contre la déformation profes­sionnelle.

 

Et ce n’est pas notre fait si les lois qu’on applique peuvent de ci, de là, donner l’impression de ne plus être que des branches mortes dans la végétation luxuriante de la vie.

 

Mais, chaque fois que les nécessités de l’heure l’ont exigé, nos collègues ont su s’y adapter.

 

Lorsque le droit social vint disputer la primauté au droit civil, ils ont d’instinct compris qu’il fallait répondre aux règles de cette nouvelle discipline. Et trois chambres de la Cour de cassation font du social à longueur d’année :

 

La chambre sociale depuis 1938, la deuxième chambre civile, depuis 1952 et la chambre criminelle depuis que la Sécurité sociale étend sa tutelle sur le monde du travail.

 

Et, sur le plan pénal, nous sommes nombreux à mener le combat en faveur de tous les courants de pensée qui nous paraissent être de nature à favoriser la compréhension mutuelle des hommes.

 

Telles sont, messieurs, les grandeurs et les servitudes de notre profession.

 

Certes, les perspectives qu’elle nous offre ne sont pas nou­velles. Mais il est toujours opportun de les remettre en mémoire, ne serait-ce que pour vaincre les « puissances trom­peuses » dont parle Pascal et qui jettent l’esprit des hommes dans des voies sans issue.

 

Discours de monsieur Jean Reliquet,

avocat général

 

 

Mesdames,

Messieurs,

Mes chers collègues,

 

Comme chaque année, avant de reprendre ses travaux, votre Compagnie, s’imposant un instant de méditation, évoque la mémoire de ses disparus, et fait revivre le souvenir de ceux qui ont contribué à édifier, de génération en génération, patiem­ment, laborieusement, parfois courageusement ces traditions d’honneur et de sérénité qui sont pour nous, leurs successeurs en même temps qu’un code rigoureux, un sujet de fierté légi­time.

 

Nos morts ne nous ont pas quittés. Leur pensée reste inscrite dans ces dossiers, où se résument leurs carrières, dans ces let­tres, dans ces mémoires, confidents de leurs joies et de leurs peines, et dans ces arrêts, leçons toujours vivantes de science et de sagesse, qu’ils nous ont laissés en héritage. Elle reste, surtout, gravée dans le coeur de ceux qui ont été les compagnons de leur labeur, les témoins de leurs scrupules, les associés de leurs efforts vers le bien et vers le juste, dans votre coeur, à vous, qui les avez connus et qui les avez aimés.

 

Pour certains, la carrière s’est présentée comme une route unie, paisible et sans surprise, qui les conduisait tout droit vers l’horizon.

 

Pour d’autres, le chemin aura été étroit, tourmenté, semé d’embûches.

 

Mais, quelle que soit la voie que le sort lui aura désignée, chacun d’eux sera resté fidèle au serment de sa jeunesse.

 

Chacun d’eux savait que la justice n’est pas simplement un mot destiné à orner le fronton de nos palais ; que, suprême recours de l’homme, elle est la règle d’équité universelle ; qu’elle ignore les religions et les races, qu’elle domine les égoïsmes, qu’elle garantit à tout être humain l’intégrité de ses biens et le respect de sa personne, et qu’elle progresse, suivant le mot de Bergson, « par une marche à l’égalité et à la fraternité ».

 

Chacun d’eux savait que les adversaires les plus redoutables du juge sont l’intolérance et le sectarisme ; et que le sage, n’attendant rien que de sa propre estime, n’a pas à redouter des disgrâces qui, loin de le diminuer, ne feraient que le grandir.

 

Chacun d’eux savait que, si elle n’était pas intelligente et compréhensive, la fermeté ne serait que rigueur arbitraire, Chacun deux, enfin, savait qu’il en est des Etats comme des hommes, les plus forts sont les plus justes, et que, le degré de civilisation d’une nation se mesurant à l’indépendance de ses juges, ceux-ci élèvent leur pays, comme ils s’élèvent eux-mêmes, lorsqu"ils appliquent également à tous les justiciables, sans considération d’origine, de personne ou de tendance, les lois qui garantissent à chacun d’eux sa liberté et sa sécurité.

 

Voilà ce que nous ont enseigné ceux qui nous ont précédés. Voilà ce que, tenus de transmettre intact l’héritage que nous avens reçu, nous devons enseigner nous-mêmes à ceux qui nous suivent.

 

Ce serait, en effet, rendre à nos aînés disparus un hommage bien vain, que de nous borner à retracer les faits saillants de leurs carrières, et à commenter leurs qualités, voire leurs vertus, si nous ne prenions la résolution de nous montrer dignes de leur exemple. Cette résolution, nous sommes déjà incités à la prendre par notre propre souci de bien exercer nos fonctions, par les traditions dont nous sommes pénétrés. Peut-être même ces audiences de rentrée suffiraient-elles, si besoin était, à nous en rappeler la nécessité.

 

L’évocation, chaque année, dans ce prétoire, de nouveaux noms, nous empêcherait, à elle seule, d’oublier que le ciseau de la Parque est inlassable, qu’un jour, nos actes seront livrés, à leur tour, au jugement de nos pairs, et que, pour nous pardonner de n’être pas parvenus à la perfection, nos successeurs seront en droit de s’interroger et de se demander si, du moins, nous aurons vécu en citoyens loyaux, en magistrats intègres, et en hommes de bien.

 

....

 

Monsieur Guillaume Cazenavette

 

Monsieur Cazenavette, qui disparut le 13 février 1959, était un homme tout différent de son collègue. Le premier était essen­tiellement magistrat d’audience, alors que le second préférait l’atmosphère du cabinet de travail. Le premier acceptait volon­tiers les occasions de se mettre en vue, ce que le second évitait soigneusement. Les deux hommes différaient encore en leurs goûts personnels, le premier, amateur fervent des arts, le second ne connaissant guère de la vie que les liens de droit existant entre les hommes.

 

Monsieur Cazenavette était né à Tournay, dans les Hautes-Pyrénées, le 8 mars 1877. Son père avait quitté le barreau de Tarbes pour entrer dans la magistrature, où il avait parcouru une brillante carrière, prenant sa retraite en qualité de premier président de la Cour d’appel de Limoges. Monsieur Cazenavette le suivra dans ses résidences successives, ce qui lui vaudra de commencer ses études de droit à Bastia, de les poursuivre à Angers, où sa licence obtenue, il sera attaché au Parquet général de son père avant que le premier président lui confie son secrétariat.

 

Avocat stagiaire, il plaide avec élégance et facilité. Il obtient son diplôme de docteur en droit. On note qu’il fait preuve, dans l’étude de ses dossiers, d’une grande intelligence et d’un soin scrupuleux et que, d’une droiture absolue, il suit les traditions paternelles. Ces indications, d’une tournure quelque peu classi­que, font de monsieur Cazenavette un portrait peu précis.

 

Il semble que quelques traits doivent y être ajoutés. Le jeune avocat stagiaire qui sera bientôt juge suppléant à Muret, était un garçon grand, rieur, spirituel, possédant un jugement prompt, parfois incisif, et s’exprimant avec une aisance extrême.

 

Le procureur général de Toulouse lui donne de bonnes notes, sans plus. Peut-être appréhende t-il la fantaisie de ce jeune magistrat ? Cependant, celui-ci vient de donner un gage de sérieux en se mariant. Il a épousé la fille d’un notaire dont il aura trois enfants. Et, pourtant, le chef du Parquet général de Toulouse va douter bientôt du conformisme de son collabora­teur.

 

Au mois de novembre 1907, la Chancellerie propose à monsieur Caze­navette les postes de substitut à Montbrizon ou à Espalion. La réponse télégraphique de monsieur Cazenavette à monsieur Huguet, directeur du personnel, est un modèle de laconisme. Trois mots, que je vous lis : « Oui, Non - Cazenavette. Sur le télégramme figure la mention portée par un interprète occasionnel : Traduction : monsieur Cazenavette accepte substitut Montbrizon, refuse substitut Espalion ».

 

Mais, le directeur du personnel n’est pas hostile à la conci­sion, et monsieur Cazenavette est, comme il le désire, nommé substitut à Montbrizon. Son procureur reconnaîtra en lui un magistrat d’avenir, d’esprit distingué et brillant, doué d’une parole aussi élégante que facile. Sa phrase, dit-il : « est ample et abondante ». Mais il ajoute, avec une nuance de crainte : « Pourvu qu’il ne compte pas trop sur sa facilité naturelle et qu’il veuille bien se consacrer aux travaux de fond ».

 

Monsieur Cazenavette « voulut bien » et se consacra aux travaux de fond, car les notes qu’il recueillit par la suite affirmaient que la solidité de sa culture juridique ne le cédait pas au brillant de son esprit.

 

Après de brefs passages à Bressuire comme procureur de la République, et à Brest, comme substitut, monsieur Cazenavette est nommé procureur de la République à Quimper. Il quitte les bords sévères de la Penfeld pour les rives souriantes de l’Odet, mais lui, l’homme du Midi, reste en Bretagne et s’y installe. Son caractère expansif saura s’accorder avec la réserve des Bre­tons. Ceux-ci accueilleront et accepteront comme des leurs, un homme qui les a conquis par sa droiture et sa loyauté.

 

Monsieur Cazenavette saura aussi, le jour venu, leur plaire par sa vaillance.

 

Mobilisé en août 1914 comme lieutenant au 316ème régiment d’infanterie, il se fait remarquer aussitôt. Il est cité deux fois et promu capitaine.

 

Mais, en juillet 1915, il est évacué, gravement malade. Il sera déclaré inapte pour le front, puis, affecté au Conseil de guerre de Lyon, en qualité de capitaine-rapporteur.

 

Démobilisé, il retrouve, en 1919, son poste au tribunal de Quimper. II ne le quitte, en 1924, après l’avoir occupé douze années, que pour celui de substitut à la Seine.

 

Il y sera affecté à la 5ème section, dont dépend le service des officiers ministériels. Il y apporte la preuve qu’on peut être à la fois un orateur remarquable et un excellent administrateur. La Chancellerie en est informée et le 6 novembre 1926, monsieur Cazena­vette, détaché au cabinet du garde des Sceaux, est affecté au bureau du Sceau. Parmi vous, messieurs, certains ont connu cette époque, qui vit émigrer le bureau du Sceau de la place Vendôme à la rue de l’Université, et qui se souviennent du collè­gue charmant et de l’ami sûr que fut monsieur Cazenavette.

 

Nommé substitut général à Paris, le 29 décembre 1929, il fut bientôt attaché à la 1ère chambre de la Cour d’appel, ce qui est la reconnaissance officielle, non seulement d’un talent de parole éprouvé, mais d’une science juridique certaine. Il y rendit, de fait, les plus grands services, et, sept ans plus tard, était nom­mé avocat général.

 

Monsieur Cazenavette, qui disposait des dons les plus grands et des meilleures qualités, ne limitait pas son activité à l’étude des questions professionnelles. Il aimait les arts, la musique, la littérature, la peinture et il y trouvait une sorte de compensation aux soucis et aux déceptions que la vie apporte aux hommes, lorsque leur spontanéité et une confiance excessive en autrui les laissent sans défense devant des partenaires dépourvus de scru­pule.

 

Nommé conseiller à la Cour de cassation le 11 mai 1943, il se vit contraint par son état de santé déficient de demander sa mise à la retraite anticipée.

 

Satisfaction ne lui sera donnée que le 23 avril 1948. Nommé conseiller honoraire de votre Cour, il se retira à Tournay pour terminer sa vie là où il avait vu le jour.

 

Nous participons tous à la peine que la disparition de monsieur Ca­zenavette a faite à sa famille. Sa famille, n’étiez-vous pas aussi, messieurs, un peu la sienne ?

 

Discours complet :
http://www.courdecassation.fr/institution_1/occasion_audiences_59/but_ann_60/ann_es_1950_3336/octobre_1959_10456.html
 

***

 

Michel Riffault en possession de tous ses carnets de guerre les a patiemment recopiés sur son ordinateur puis imprimés en autant d'exemplaires que de petits-enfants.

 

Ces carnets de guerre n'ont jamais été publiés.

 

En voici le début (tous droits réservés) :

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1914-1918

CARNETS DE GUERRE

GUILHAUME CAZENAVETTE

TOME 1 (du 5 septembre 1914 au 18 juillet 1915)

En première ligne

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* 5 septembre 1914

En route à 16 h 17 avec 339 hommes (y compris l'Adjudant, 6 Sergents et 16 Caporaux). Pleurs de LE GORE. Wagon de 2e, Adjudant LE GALLO, St ANDRE et mon ordonnance CARO...)

 

Diner de conserves. Fortes migraines à cause du soleil de la matinée. Lenteur terrible du train : à ANGERS à 4 h ! Halte à LA POISSONNIERE pour le café en pleine nuit. Peu de sommeil. Assommantes formalités à ANGERS. Commissionnaires gâteux. Nous allons à MONTEREAU.

 

* 6 septembre 1914

 

Matinée ouverte. Soleil reparaît. Interminable halte avant LE MANS. Remise en route comme à chaque station, les hommes égaillés à la recherche de litres... et de fleurs; les chefs de station paternes, les faux départs, les ruées éperdues de Poilus dans le train. Reconnu quelques hommes du 188e dans le détachement : le joyeux Caporal JOCET, gros petit meunier. A NANTES, traversée de la ville en chemin de fer : 2 h du matin, nombreuse foule clamante, tout éclairé; les Anglais et Ecossais souriants et familiers : "Vive la classe !" Trains inombrables croisés, soldats français, anglais, émigrants de PARIS. Ces derniers pas déprimés, les femmes souriantes. Elles me donnent des journaux, des fruits, du chocolat. Mes Poilus insupportables aux stations, toujours loin !

 

Ils sont en bon nombre un peu dans les vignes ou les pommiers.

 

- 5 h 45 - Ronde d'aéros sur PARIS : biplan et mono. Ce dernier errant sur l'aile d'une façon impressionnante (au-dessus de ST-CYR).

 

Diner à 18 h entre ST-CYR et PALAISEAU : cadeau de fruits en gare de (?). Soirée splendide. On affirme le débarquement en Belgique de 200 000 Russes ! Trop beau ! Comptons sur nous d'abord. Tout le monde, civils et troupiers, est confiant et joyeux.

 

* 7 septembre 1914

 

- 6 h 30 - Arrivée à MONTEREAU après une nuit de voyage avec interminables arrêts. Nous allons sur LENS. Trains militaires avec blessés évacués, le tiers du 102e, retournent vers PARIS. Bruit de victoire du côté de CHALONS.

 

- 7 h - LENS . Nous filons sur TROYES où l'aéro allemand vient de crotter 3 bombes.

 

- 12 h 15 - Arretés comme si souvent en pleine campagne. Pris à TROYES, malgré le chef de gare famille de Colonel : femme et enfants. les hommes, égaillés dans les champs se soulagent sans vergogne. Je pense que ces dames ne regardent pas. Charettes d'émigrants sur la route.

 

- 14 h 15 - On repart pour s'arrêter au bout de 500 mètres.

 

- 15 h 45 - Arrivée à TROYES. Mais un instant avant, aéro sur nos têtes. On entend des coups de fusil isolés : il disparaît. Nous sommes à 200 m de la gare, arrêt de plus de 2 h. On arrive. A la Compagnie Maritime : "Allez à PINEZ : XVIIe Corps ! " Confusion. 60e Division tandis que nous sommes à la 61e. Téléphone sur ma demande à gare régulatrice : nous devons retourner à MONTEREAU ! Puis aller à PARIS. Arrêt interminable avant le départ. Diner : CARO s'est débrouillé : vin, fromage, charcuterie. Le café des Africains (anciens joyeux marsouins, légionnaires) extraordinaires de débrouillage. Ils sont les seuls à avoir du campement : ils ont chipé du café Dieu sait où ! Ils le pilent sur le plancher de leur wagon : l'un d'eux va chercher de l'eau bouillante à la locomotive en sautant de toit en toit et ça y est !

 

 - 19 h 30 - Nous repartons, arrêts tous les 3 ou 400 m. Les Africains refont du café à 23 h : on me sert le premier toujours (en pleine route).

 

* 8 septembre 1914

 

MONTEREAU : 9 prisonniers dont un Commandant : gueule à la HANSI.

 

- 6 H 30 - FONTAINEBLEAU

 

A MELUN, CARO descend pour nous ravitailler. Coup de sifflet, départ, il reste en arrière avec 5 autres, dont un Caporal : je suis très ennnuyé.

 

- 8 h 30 - CORBEIL . Nous allons sttaionner longuement en attendant le départ d'un convoi de blessés.

 

- 8 h 45 - CARO et ses camarades arrivent, tranquilles, par train suivant, chargés de vivres.

 

- 10 h 30 - On quitte CORBEIL pour aller aux AUBRAYS : les Africains chantent sur l'Air du Petit Navire.

 

Il est cocu le Chef de gare (bis)

S'il est cocu, sa femme l'a bien voulu (bis)

Le chef de gare rit....jaune.

 

Au passage, le peuple acclame. On s'est battu hier aux environs : on trouve au passage fruits, litres de café : les donneurs sont des pauvres !! C'est touchant !

 

- 17 h 30 - Nous descendons vers le Sud : nous atteindrons MALESHERBES puis remonterons sur les AUBRAYS pour, enfin, gagner le but (PONTOISE ?) .

 

Deux ivrognes (Bataillon d'Afrique) ont cogné des camarades : je les boucle, interdiction désormais de descendre en gare pour aller chercher du liquide : garde de police avec armes 15 jours de prison aux deux mauvais coucheurs.

 

* 9 septembre 1914

 

Nous roulons toujours, mais si peu ! Les convois de blessés se succèdent et nous retardent. Nous serons à ORLEANS dans 4 heures (et il en est 5). Nous faisons du 6 ou 8 à l'heure, tout au plus !

 

- 6 h 30 - NEUVILLE LES ROIS.

 

Nus allons vers ORLEANS et ensuite ANGERS ??? Nous y étions le 6 ! La randonnée inutile qui nous a été imposée, a été de ce chef plus pénible. Les hommes n'ont plus de vivres. la population donne du pain. Réquisition.

 

- 11 h - LES AUBRAYS. Gare régulatrice, nous allons à CHARTRES ! Nous y étions le 6 !! On nous fixera ensuite.

 

 - 12 h 15 - Après démarches multiples, déjeuner. Nous avons touché pain, conserves, sucre, café.

 

- 14 h - Train de blessés : il y a des prisonniers. Je vais les voir. 29 fantassins dont 2 officiers tus très jeunes, l'air bête. Je manque presque le départ de mon train. Celui-ci ne fait que 500 m et s'arrête 1 h 45. Arrêt à CHARTRES, diner, remontons dans le train. Mal foutu : coliques. Conserve ? Eau de la machine ??? Nous roulons rapidement toute la nuit.

 

* 10 septembre 1914

 

Nous arrivons à DAMMARTIN, distribution de vivres touchés à CHARTRES. Nous allons à pied à PLESSIS-BELLEVILLE. Cadavres de chevaux. Station au  PLESSIS sur la place : nous attendons des ordres. Soupe. Les poules. Les caves au pillage. Général de brigae avec le Capitaine MOREAU à qui je remets une lettre de son fils. Nous mangeons, il nous emmène. Accueil charmant du Colonel. Je commande la 23ème Compagnie, 11 officiers à bas déjà ! Moral excellent.

 

- 22 h - Recherche vaine d'un Bataillon allemand. Coucher à la belle étoile.

 

* 11 septembre 1914

 

Départ vers 7 h du matin, poursuite de l'ennemi. OGUE, NEUVILLE, TREPLY, coucher dans une grange à BONNEUIL après une rude marche de 40 km (les pavés) sus la pluie. Arrivés trempés. Je change de chaussures et chaussettes. bon repos grâce au Capitaine BONNEUIL très débrouillard. Bon vin, conserves, salade, café, pipe.

 

* 12 septembre 1914

 

Départ 4 h 30. Je suis encore mouillé. Fusillage toute la nuit. Les Prussiens battent en retraite. Villages moins effraiyants (je m'habitue !). Chevaux morts et puants. Vive cannonade. Rassemblement et repos à 10 h avant le combat. J'ai mangé à une pause. J'aurai peut-être un cheval (plus tard). Je suis fatigué.

 

En attente tout lejour. L'ennemi passe l'Aisne. On le cannone : il riposte. Le Bataillon occupe un bois. Il pleut lamentablement. Ordre de rester pour la nuit. Le noir, la pluie. Vers 9 h du soir, on vient nous rassembler pour cantonner. Long cheminemet, le ventre creux, trempés.

 

Sottise de "M. DUBOIS".  Notre calvaire qui se termine dans une ferme déjà occupée par les Prussiens, la grange par les hommes, un taudis par les 5 Officiers dont le Commandant. Nous faisons du feu, cassons du bois : le logis pue. Couchons sur la paille des Boches. Pas dévêtu depuis VANNES.

 

* 13 septembre 1914

 

On m'amène le cheval du précédent Commandant de Compagnie, Capitaine d'active blessé à l'ennemi. J ele monte sur terrain de rassemblement du Régiment. Il est docile. Marche d'approche. Nous entendons la cannonade, nous passons l'Aisne sur un pont de bateaux à JAULZY. Le régiment se porte en avant. Stationnement dans JAULZY , en attente. Tout à coup, formidable sifflement, on entend arriver lentement un projectile énorme au-dessus de nos têtes ; il éclate et nous assourdit : le clocher de l'église s'effondre à 20 m : un pot de confiture où je venais de puiser, sur le sol, saute à 3 pas. Nous nous remettons en oute, ordre du Général de prolonger un mouvement du 262e. Nous passons sous bois. Tout à coup, grêle de projectiles éclatant à quelques mètres de nous, en avant, en arrière, par côté. Nous poussons avec une seule demie Section, nous croyant suivis du Bataillon entier. De nouveau grêle d'obus sur nos têtes. Des branches cassent, nous couvrant de débris. Deux hommes sont blessés: nous avons reçu les coups trop long destinés à une batterie française qui riposte sec.

 

Sortie du bois à la nuit ; déconvenue, le Bataillon n'a pas suivi. Le feu a cessé, nous reprenons le chemin parcouru, à tâtons, le Commandant et moi nous donnant le bras. Recherche d'un cantonnement : petite maison et dépendances ; toute ma Compagnie se loge comme elle peut, la pluart des hommes bivouaquent avec de la paille. Un accident. Un homme s'est fait sauter bêtement un doigt d'un coup de fusil.

 

Des hommes ronflent das la chambre principale. D'autres nous font du potage et du café : je vais coucher avec le Commandant GOBILLARD sur le lit unique du logis dont j'ai enfoncé la porte.

 

* 14 septembre 1914

Excellente nuit trop courte. Départ de ST6PIERRE le BITRY à 6 h. Traversée du bois au-dessus. A 7 H 15, nous sommes sus une averse d'obus éclatant de toutes parts et cela durera 9 heures. Bruit infernal et bien peu de dégâts quelques tirés et blessés dans des Compagnies voisines. La Section de mitrailleuses est fauchée à 8 h. Ordre de marcher à travers bois : objectif, le second secteur de MULINS sous COUVENT. Feu infernal. Nous nous y habituons. Marche défilée de la Division qui nous amène àç notre but. Et alors, pour préparer l'attaque d'infanterie, feu insensé de vbiolences des deux artilleries, la nôtre fait rage : il y a des Rimailots du 4ème Corps. Nous nous préparons à l'assaut d'AUDIGNECOURT, de nuit. Nous sommes en tirailleurs dissimulés encore.

 

Nous attendons, mas à 9 h, après un sommeil sur la terre dure et sous un ciel humide et froid, contr'ordre. Nous rentrons par Bataillon, notre Compagnie en tête.

Retraversée du bois, interminable et souvent si délicate (retrouver l'entrée surtout !). Nous en sortons vers 11 h et sommes à notre cantonnement d'hier.

 

* 15 septembre 1914

 

Nous reprenons nos positions mais en laissant à MOULIN sous COUVENT à droite : ma Compagnie, en retard au rassemblement du Régiment, rejoint ce dernier sur le terrain et se place en 2e ligne. Tranchées. Violente cannonade. Nous ne bougeons pas. Nos tirailleurs sont aux prises avec les premières lignes ennemies. On entend le bourdonnement des mitrailleurs.

 

Ainsi tout le jour. A19 h, selon l'usage, cessation du combat. Nous avions mangé sous le feu. Une Section du 318e avec deux Officiers nous rejoint dans la tranchée. Un des Officiers fils de famille (entrepreneurs d'escaliers en pierre à PARIS) s'installe auprès de moi. A 22 h 50 , je reçois l'ordre d'aller avec ma Compagnie à MOULIN sus COUVENT, toucher vivres et faire corvée d'eau pour le Bataillon. Je n'en suis pas fâché car sommeil impossible : mal à l'aise, serrés, pluie,comme toujours !

 

On arrive à MOULIN. Je trouve du vin, nous faisons cuire la viande fraiche touchée le matin et préparons le café.

Retour à la tranchée.

 

* 16 septembre 1914

 

A 4 h, nous sommes à nouveau dans la tranchée. A 6 h, la canonnade recommence, furieuse. Je reçois l'ordre de marcher avec ma Compagnie en tirailleurs par bonds successifs dans la direction du bois du PONT de VAUX. Moment d'émotion. Nous sommes d'un bond à la chaussée BRUNEHAUT. Trois autres bonds dans un champ de betteraves sous un ouragan de feu. Je fais coucher mes hommes et creuser une tranchée : bientôt nous sommes à peu près abrités. Nous restons là tout le jour. D'autres unités nous prolongent à droite : elles sont décimées. Le Commandant a le genou fracassé, le Lieutennat BRETINEAU le bra s percé, le Capitaine BRODIN une blessure, le Lieutenant de la VILLEMARQUE un éclat d'obus à la cuisse. Un Lieutenant commande le Bataillon. J'ai perdu 4 hommes et 5 blessé : ma Compagnie est la moins éprouvée. Nous couchons dans la tranchée mais y sommes très mal, malgré les soins dont mes hommes m'entourent, surtout JEHANNO. Le Sous-Lieutenant du 318e (M. LAPEREAU ?) envoyé en avant avec son Bataillon pour une attaque de nuit, me prie de lui prêter mes outils portatifs pour se retrancher. Je les lui cède pour la nuit : me les rendra-t-il ? En raison de nos pertes et de nos fatigues (13 h 30 sous l'ouragan) nous ne prendrons pas part à l'attaque de nuit.

 

* 17 septembre 1914

 

La danse recommance à 5 h 30. Le Lieutenant BICHY qui commande le Bataillon me conseille de changer le front de mon retranchement pour éviter la prise en enfilade, le front de combat s'étant modifié : comme mes outils ne sont pas rentrés, il m'en fat prêter par le 21e. Essai accueilli par un redoublement de feu : deux blessés. J'y renonce. Je suis navré de ne pas revoir mes outils, plus préciux que les fusils. J'envoie à 8 h une patrouille d'un Caporal et 3 hoimmes pour aller les réclamer : elle n'est ps revenu. Puile diluvienne et glaciale interminable. Que sera la nuit dans la tranchée ?

 

Nous avons passé la journée sans vivre et sans boisson. Nous avons recueilli de l'eau de pluie dans des quarts, bien peu hélas. J'ai mangé un bout de pain, deux biscuits et de la conserve.

 

- 7 H - Enfin ! Le feu cesse comme toujours à la même heure. Mais je suis glacé par mes vêtements mouillés : on nous dit que nous cantonnerons à MOULIN sous COUVENT. Longue attente.

 

Enfin à 21 h, nous partons. Piétinement interminable. Je suis rompu de fatigue : 5 nuits sans dormir ! A 23 h, nous sommes logés dans l'Eglise. Inutile de songer au sommeil. BICLY m'invite à dîner : il y a du pain, de la conserve et du vin. Nous allons allumer des cierges. Le spectacle est déconcertant, tous ces troupiers barbus armés, hâves, déguenillés, assis sur les bancs; bruits de conversation tranquille (800 hommes ! ). On mange, on boit.

 

Le Capitaine BRODIN est perdu : balle dans l'oeil, fracture du crâne. Le Commandant GOBILLARD sera amputé ce soir. Je note qu'avant de quitter le retranchement où nous retournerons à 3 h 30 demain, ma patrouille est rentrée rapportant mes outils , moins 3... J'ai eu peu de pertes aujourd'hui . Malgré la violence du feu : 2 blessés assez légèrement.

 

* 18 septembre 1914

 

Des distributions ont eu lieu sur la place, au-dessous de l'Eglise vers 0 h 30. Viande fraiche, sucre, café, tafia, pain, tabac. Moi, si peu fumeur, j'étais très privé de la plante à NICOT : c'est une distraction, un dérivatif incomparable en tranchée, surtout quand on a faim.

 

Les  Allemands sont en retraite, on affirme que leurs derniers échecs après les succès foudroyants du début les ont démoralisés : leurs Officiers pleurent. Ce sont de rudes soldats, mais nous les valons : il nous manque un peu d'esprit militaire mais nous avons le tempérament guerrier autant qu'eux, aves plus d'initiative. Journée plus calme.

 

Vers 13 h, ordre de se replier en traversant à nouveau la chaussée BRUNEHAUT. Je crains des pertes si on nous aperçois, car toute imprudence est suivie d'une rafale. Nous rétrogradons en rampant homme par homme, sans perte et nous venons camper dans un creux du bois St-PIERRE. Las Allemands cannonent au jugé. Nous creusons des abris et nous retranchons derrière des branchages. Notre position en avant était plus sûre, mais inutile (?) le front de combat s'étant déplacé. Encore un Officier hors de combat. Nous restons bien peu... Sera-t-on plus prudent ? La mine n'est pas inépuisable, hélas...

 

Les hommes dans le bois s'ingénuent à faire des abris de branchages pour la nuit : il en estd e charmants. On fait de la soupe, du café, mais avant le repas, gros émoi, appel aux armes. Le Régiment est rassemblé avec difficulté en remontant un ravin. C'étant une simple alerte. Nous sommes acheminés sur St-PIERRE, laissant notre repas fumant sur le sol et nos abris sans hôtes... Nous cantonnons dans l'Eglise, aux mêmes places que la veille.

 

Distribuion à 23 h, ordre d'occuper avec le 6ème Bataillon la ferme de PUISEUX, à 800 m. Départ résigné. Ferme immense, désolée, fantastique dans le noir et la tempête car il pleut à flot. Installation des hommes dans les granges. Nous nous plaçons, tous les Officiers, dans les corps de logis, salle à manger. Repas sommaire, coucher sur le sol avec paille. Nous assurerons un service de tranchées aux environs. Le 5e Bataillon est resté à St-PIERRE.

 

* 19 septembre 1914

 

Gai réveil. Préparatifs d'un bon repas. La fermière me prête une chambre avec toilette. Je fais ma barbe : enfin !

Je m'entends appeler. Le Colonel vient d'arriver. Je descends et le vois en conférence avec BOUCHY. Je les laisse. La cannonade  sur la ferme. Des toits sont écorniflés, fracas, tuiles cassées sur la maison d'habitation. J'y rentre : Un Sergent me dit que BOUCHY vient d'être tué par un obus dans notre salle à manger-dortoir. Stupeut : j'entre. L'un sur l'autre, le Colonel et BOUCHY gisent près d'une fenêtre : un obus est entré par la fenêtre en face, cependant fermée avec volets, et les a foudroyés tandis qu'ils parlaient à un Sergent demeuré indemne.

 

La cannonade est furieuse : un toit brûle. Les hommes s'affolent. Je suis l'Officier le plus ancien : je prends le commandement. Nous quittons PUISEUX sous un ouragan de mitraille, rallions les effarés et nous installons à 200 m.

Puis j'occupe les crêtes conformément à notre secteur. J'en rends compte à la Brigade qui me répond de tenir, "sous peine de conseil de guerre". Le Général qui est un stratège des plus modestes mais non sans fantaisie (la chaussée BRUNEHAUT !) est, de plus un "Jean-Foutre" .

 

Nous tenons jusqu'au soir. Le Bataillon perd 2 Officiers tués et a 6 hommes blessés. Nous nous replions sur MOULIN-sous-COUVENT à 20 heures. Nous revenons à l'Eglise. J'y reprends ma place à mon banc d'oeuvre-dortoir avec de la VILLEMARQUE. Pauvre BOUCHY, si gai, si vaillant, si énergique. Une heure avant le malheur, il avait, en traversant la cour de PUISEUX, été renversé  par un obus, sans blessure et il me disait : "Je suis verni, rien ne peut plus m'arriver de fâcheux !" Il allait passer Capitaine, venait du Maroc, avait été à la Légion et aux Affaires Etrangères, fils de Colonel, promis au plus brillant avenir !

 

* 20 septembre 1914

 

Nous quittons MOULIN sous COUVENT avant le jour et j'amène le Bataillon à la réserve de la Brigade dans le vallon du Bois-St-PIERRE. Nous apprenons avec surprise la déroute du 265e et du 318e à PUISEUX (hommes sans armes en dehors des tranchées) refoulement, panique. Ordre au 6e Bataillon  d'occuper le bois de sapins à droite du vallon. Je suis appelé par le Général, félicité pour la conduite d'hier : proposition d'accomplir fait d'armes, reprise de PUISEUX, si je sens Bataillon en main : je décline tâche écrasante pour un Officier de réserve. Ordre d'occuper crêtes transversales sur droite du bois ? Nsous y allons : deux lignes de tranchées successives et réserves avec partie de la 21e, dans la tranchée on m'annonce ma mort.

 

Pluis de fer et de feu. A 7 h, après avoir vu fuir toute la Division nous recevons ordre de nous replier entre St-PIERRE et ATTICHY : je suis chargé de la sûreté de combat, pénible traversée dans champs de betteraves inondés de pluie : glacés. Longue attente. On m'avait dit de tirer. Le Général me félicité vivement encore et me dit que j'ai sa confiance. C'est le pauvre de la VILLEMARQUE qui est mort dans sa tranchée. Nous sommes vers 23 h, dirigés sur St-PIERRE avec mission de défendre passage.

 

Je cantonne dans la maison même où j'ai déjà cantonné avec le Commandant GOBILLARD. Bon feu, café chaud.

 

 

* 21 septembre 1914

 

3 h de sommeil troublé, réveil à 4 h. Attente. JEHANNO me rejoint : la 23e, ramenée par le GALLO, n'a perdu que 4 hommes. Elle a canardé les Prussiens à 500 m et les a longtemps arrêtés. Avisés de ma mort, mes Poilus étaient allés en groupe à ma recherche... La 23e a été annexée au 264e.

 

- 8 h - Ordre de tenir, de reformer le Bataillon et d'attendre le relèvement au-dessous de BITRY pendant que la 62e Division s'efforce de rétablir les affaires. Dure journée d'attente. Nous recevons l'ordre de nous replier sur ATTICHY pour aller ensuite à la ferme MONPLAISIR d'où nous prendrons part à une action générale. Le 5e Bataillon, décimé, n'a plus de chef : au 6e, nous sommes 3 Officiers, étant le plus ancien, je commande le Régiment. Commencement d'exécution arrêtée par ordre du Général de Division. Nous allons cantonner à ATTICHY dans une vaste boulangerie distillerie : sommier à terre pour moi et mes gradés de la 23e. Bonne nuit après un repas frugal. Nous allons être envoyés en réserve générale pour nous reformer.

 

* 22 septembre 1914

 

Passée à ATTICHY journée et nuit de repos, pas assez complet parce qu'incertain : nous attendions à tout moment l'ordre de départ. Le Régiment est commandé par le Capitaine MOREAU. Je conserve le Commandant du 6e Bataillon. Le 5e est commandé par un Adjudant promu Officier. Toute la Division de réserve est sur un aussi triste pied. Avec cela, notre moral est toujours excellent.

 

* 23 septembre 1914

 

Nous sommes debout à 2 h 30. Nous partons à 5 h sur VIC. Station dans un bois. Tout le jour. Obus vers 17 h. Le Capitaine MOREAU me montre un ordre du Général de Brigade l'invitant à me proposer pour Capitaine : je suis flatté mais ému de la responsabilité. Nous allons cantonner à VIC dans la Gendarmerie, éventrée par les obus et saccagée par l'ennemi. Ecoeuré par la conserve, je mange des pommes et des oignons : délicieux. Nous allons cantonner à VIC sur AISNE, jolie localité, pays merveilleux. Le bourg morne et désert, comme tous les autres. Nous cantonnons dans la gendarmerie, petit chatelet gracieux, coquet, mais troué d'obus et dévasté, pillé par l'ennemi.

 

 

* 24 septembre 1914

 

Ordre de reploiement en réserve d'armée sur ATTICHY pour y laisser reposer la Division. Je commande mon Bataillon. Le Capitaine MOREAU nous rejoint à ATTICHY. Je déjeune avec lui, avec LEROY et ANDRIEUX au poste de secours où le Docteur LAFERRIERE a organisé une tambouille assez confortable; mes hommes ont cuisiné un lapin et CARO m'apporte un appétissant beefteack. Je me laisse tenter et je déjeune une première fois. Nous avons, chez un vieux voisin, table, couverts, vin, etc... Tous les gradés de la Compagnie s'attablent et je préside. Puis, avant la fin,je vais chez le Docteur. Déjeuner non prêt. Je vais acheter un sac de cuir derrière l'Eglise chez un bourrelier.

 

Déjeuner à 1 h. Je mange peu. Je retourne à mon cantonnement. La journée passe. Je me couche, après avoir grignoté quelques bouchées à ma Compagnie chez le vieux. Le menu est exquis, bien préparé : boeuf aux carottes, sauce parfaite et haricots fastueux, salade, vin, café, Cognac. J'ai la colique et me couche tôt.

 ....... "

 

 

 

" ... * 25 septembre 1914

 

Réveil à 5 h 30. On nous annonce départ à 6 h 30 pour JAULZY. Nous traversons le pont refait sur confortables bachots belges. Nous côtoyons l'Aisne vers l'Ouest et venons nous forrmer dans un bois, à couvert. La cannonade gronde à quelques kilomètres. Au bout de 2 h, ordre de revenir sur nos pas à BITRY. Retraversée du pont : prisonniers allemands bourrus et laids. Nous nous arrêtons dans BITRY en pleine rue , attendant ordres. Les hommes finissent par aller dans les maisons voisines pour cuire viande touchée le matin : gigot pour nous, mangé vers 18 h dans un petite cuisine de ferme ; on touche viande fraîche découpée à faible clarté par JEHANNO.

 

J'oubliais de dire , que, à un arrêt avant le pont de JAULZY, déjeuné d'un excellent beefteack froid gardé par CARO, d'une omelette préparée par les infirmiers et d'un pot de confiture récolté par LAFERRIERE : bénédictine offerte par ANDRIEUX pour arroser galons d'Officier.

 

Nous cantonnons à 20 h à BITRY : vaste ferme sale et morne. J'ai un lit où je coucherai vêtu. J'expulse un Sergent-Major du 264e et un de ses Poilus : 3 ou 4 autres Poilus du même régiment subissent le même sort dans les annexes de la ferme.

 

 

* 26 septembre 1914

 

Excellente nuit. Réveil à 4 h, rassemblement au même endroit que la veille, dans St-Pierre. Nous retournons dans le bois comme soutien de 265e dans une attaque contre MOULIN, PUISIEUX, etc... J'ai confirmation que MAQUART (Lieutenant d'Approvisionnement) a eu la preuve que le Général Commandant l'Artillerie allemande a fait avant guerre un long séjour dans la région. A rapprocher de la mise en état de défense par les Boches du Tiolet à la même époque. C'est une vraie forteresse qui nous arrête depuis 14 jours. Le 11e corps est aux environs. Le 116e a moins souffert que nous. Le Colonel ESTRABON , blessé, est à VANNES.

 

Journée passée dans le bois, puis, à 16 h, ordre d'occuper une position de repli toujours sous bois. Le Régiment avance à flanc de pente et s'arrête lorsqu'il a devant lui d'autres unités. Une attaque a lieu, furieuse, contre l'ennemi. Si elle réussit, les Allemands, débusqués, seront acculés à la retraite.

 

Depuis la journée de PUISIEUX, je suis sans linge ni objets de toilette. AHOMON , l'ordonnance du Capitaine CHOPPART, resté avec le cheval et mes musettes, de sa propre initiative me laisse dans le pétrin.

 

Cordiale conversation avec le Capitaine MOREAU qui commande le Régiment. Il est l'ami intime du Commandant NOBLET et il a connu HENNEQUIN, jeune Sous-Lieutenant à TOURS. Nous demeurons dans le bois après la nuit tombée. LAFERRIERE nous fait aporter boeuf bouilli, riz au gras, vin vieux et rhum. Nous mangeons, fumons et nous étendons sur de la paille apportée par les hommes. Froid aux pieds.

 

Vers 22 h 30, le Capitaine MOREAU décide, vu le calme, de retourner cantonner à St-PIERRE. En route chasseur à cheval apportant un ordre égaré par Adjudant LE HOCH. Deux Compagnies (21e et 22e) restent sur le plateau pour garder artillerie.

 

A 23 h 30, nous sommes à St-PIERRE toujours dans notre habituel cantonnement d'où nous expulsons des troupiers du 350e.

 

 

* 27 septembre 1914

 

Nuit trop courte mais chambre chaude. Café à minuit avec beefteack. Réveil à 3 h 20 et rassemblement à la lisière vers 4 h. Le Régiment se réunit puis se porte un peu en avant. Même objectif qu'hier.

 

A 6 h 30, léger repas (rognon rôti et café)  sur les provisions apportées par ses hommes à LEROY rentré transi de sa mission de la nuit. Journée d'attente en divers endroits, vers 9 h 30, le 5e Battaillon part en avant et faute d'avis ferme, je reste en arrière avec le 6e. Le brave Docteur nous envoie le boulot : boeuf sauce, gâteaux, bonbons, vin vieux, sardines que nous réservons pour le soir. Puis, nous nous mettons à la recherche du 5e Bataillon. Longue poursuite qui finit par aboutir vers 15h. Nous nous formons en colonne par 4 dans le bois à la lisière et parallèlement à la route. Le 5e Bataillon est à la "Caverne du Bois" et se retranche.

 

Arrivée du Lieutenant Colonel HUGUETTE, breveté, qui va commander le Régiment. Il n'est plus question de nous ramener en arrière pour nous reformer : je m'en doutais ! Je vais conserver un commandement de Bataillon et cette responsabilité m'inquiète. CARO, diarrhéique, est aux voitures d'arrière. Je prends le commandement du 5e Bataillon. M. MOREAU promu Commandant, prend le 6e Batailon. Le 5e comprend en réalité des débris de Compagnies, sauf la 20e qui est à 4 sections.

 

A 17 h , une Compagnie du Génie vient faire des abattis ! Elle voulait creuser des tranchées mais y renonce en raison du peu de suretés des premières lignes (264e). On élève et renforce certains parapets avec des rondins. Nous passerons la nuit sur place : brrr... ! Les soiriées deviennent glaciales.

 

 - 20 h - Ordre de cantonner à St-PIERRE. Je loge avec la 17e/18e . Le Sergent-Major CUREY me trouve un excellent lit que je partage avec un Sous-Lieutenant du 264e. A minuit, on me porte rata exquis et vin.

 

 

* 28 septembre 1914

 

A 2 h 30, réveil. AHOMON qui m'apporte le rata, me restitue mes musettes : quand aurai-je le loisir de changer de linge et de me laver ?

 

- 3 h 15 - Retour aux tranchées occupées pour la nuit par la 318e. Temps doux et sec. J'ai un bidon de vin rouge : j'ai failli le verser, le bouchon ayant sauté. Avisé par un homme du 318e, je le récompense en lui remplissant son quart.

 

J'abandonne le commandement du 5e Bataillon et vais sans doute revenir au 23e : un Commandant de réserve, âgé et sourd, m'a remplacé au commandement du Bataillon.

 

Nous nous retranchons à flanc de bois et passons ainsi la journée réveillés de temps à autre par un obus. Je retrouve sur le chemin proche , M. de la HUBAUDIERE, Sous-Lieutenant au 318e, il est Officier de détail, part pour Paris demain et me rapportera un caoutchouc, des molletières et du chocolat : il me donne 4 billes de ce dernier. Je partage avec mon Sergent-Major MARANDE et avec BARDET,Sergent fourrier. Je déjeune et dîne avec du mouton rôti et du chocolat. J'ai du vin qui, avec du sucre et du pain, me constitue un dessert enviable.

 

Vers 18 h, l'un de mes "joyeux" du convoi, LE FLOCH, ancien Sergent des Marsouins, passe devant ma tranchée, portant à sa Compagnie, la 22e, de la soupe faite par lui à St-PIERRE : il m'en offre et j'en accepte une gamelle partagée avec MARANDE et CARO.

 

A 19 h, ordre de cantonner à BITRY où nous arrivons vers 8 h : même cantonnement que le 25 septembre.

 

 

* 29 septembre 1914

 

Bon sommeil : mais avant, soupe, café, vin, visite de la HUBAUDIERE m'apportant une livre de chocolat.

 

Réveil à 3 h 50, rassemblement à 4 h 20, départ immédiat et retour à la tranchée. GUYOT, Sergent de la 4e Section, vide, bêtement, un seau de vin, destiné à la 2e Section qui a bivouaqué sur place. Je suis repris de diarrhée. Le mal sévit sur presque tous mes hommes.

 

Nous passons la journée dans le calme, faible cannonade.

Vers 14 h, arrivée de 500 hommes du Dépôt avec comme Officiers, GANTEREAU et GOURVENNEC : parmi les Poilus, beaucoup de la 30e et parmi les Chefs de Section CALMET et le GORRE; nous recevons seulement 16 hommes à la 23e parmi lesquels  JOSSIE, cassé de son grade. J'apprends que sur le premier envoi de 800 hommes du Dépôt, 400 seulement sont arrivés au 116e avec BOULARD, le reste est égrenné en route et n'a rejoint que par paquets. On a expédié au 116e un autre détachement avec, comme Officiers, TOLGUENNEC, RICHARD et BARTOLI.

 

- 16 h - Je suis appelé pour reconnaître les tranchées avancées occupées par le 318e que nous relèverons  sans doute cette nuit. Ma deuxième Section de repos à St-PIERRE serait alors rappelée ici : elle préparait un merveilleux repas : une oie et des haricots ...Farudra-t-il renoncer à ce festin ? Je reçois une lettrre de Papa datée du 3 et qui m'arrive non cachetée, par oubli : elle m'était adressée par lui avant l'annonce de mon départ.

18 h 30 - Nous retournons cantonner à BITRY. Je vais dîner avec le Corps d'Officiers au Presbytère. Repas frugal : soupe à l'oignon, tranches de gigot, pommes de terre robe de chambre, vin blanc, café exquis ; mes Poilus avaient une oie rôtie, des haricots, etc... On m'annonce le retour de TOLGUENNEC avec mes commandes : caoutchouc, molletières, chocolat. Je vais avoir tout cela en double au retour de LA HUBAUDIERE. Je ferai du commerce avec mes camarades démunis, mais sans bénéfice. Je vais recevoir le cheval du Capitaine DUPONT, blessé et évacué.

 

* 30 septembre 1914

 

Réveil en alerte à 3 h. Pourquoi, grands Dieux ! Nous revenons dans notre sacré bois avec ce changement unique : on nous place plus en avant dans les tranchées occupées hier par le 318e, tranchées qui sont confortables autant que possible. Un petit bois dont j'occupe la lisière et les prolongements Ouest et Est (les premiers en retrait) nous séparent de la caverne (clairière avec rendez-vous) de chasse creusée sous des rocs cubiques très réguliers, formidables, à flanc abrupt de ravin, qui sert de poste au Général de Brigade et en arrière de laquelle je me trouvais jusqu'ici.

 

Pour ma part, grâce aux indications d'un aimable Adjudant du 264e qui commande une Section de mitrailleuses adjointe à nos Compagnies de tranchée : gourbi vaste, bien abrité, rempli de paille sèche et couvert de branchages : je m'y installe avec mon fidèle CARO. Mon Sergent major MARANDE vient m'y rejoindre.

 

A 9 h 30, café exquis et rhum de la tambouille pour compléter le frugal déjeuner de tranches de gigot fourni par elle avant le départ. Séjour tranquille jusqu'à 13 h. LE GALLO, momentanément détaché à la 24e nous rentre à l'instant. J'en suis heureux.

 

15 h - Attaque par le 264e et notre 5e Bataillon en liaison avec la 14e Division. Nous avons ordre de tenir dans les tranchées et de maintenir l'ennemi en cas d'échec. Canonnades, fusillades continues. La nuit survient et aussi le calme. Nous passerons la nuit en tranchée et ne serons relevés que demain 17 h. Je mange du chocolat et en offre à mes voisins. Puis, je m'installe pour la nuit â côté de MARANDE qui partage avec moi sa pèlerine dont nous faisons une couverture. La soirée est glaciale ; je dors à peine à cause du froid aux pieds et de quintes de toux. A minuit, distributions, des hommes sont commandés pour aller faire du café dans le ravin. On 'en apporte un quart, ni vin, ni alcool.

 

* 1er octobre 1914

 

La nuit se passe, vive fusillade entre 2 h et 3 h puis calme. MARANDE se serre contre moi pour me réchauffer et LE GALLO s'assied sur mes pieds dans le même but, tout cela momentanément ; les braves gens ! Je les ai proposés tous deux pour Sous-Lieutenant et en outre MARANDE qui a sauvé sous le feu, le Capitaine CHOPPART, blessé, pour la médaille.

 

Je somnole toute la matinée. Vers 10 h, je mange sans plaisir une tranche de gigot froid : quand pourrai-je manger autre chose que de la viande et manger chaud ? Je complète avec un quart de vin (le dernier) bien sucré où je trempe deux morceaux de pain. Le Colonel passe un moment sur nos lignes et s'éloigne. Je me rendors.

 

13 h 30 - MARMANDE est nommé Adjudant : je vais sans doute le perdre et cela me peine. Le petit Caporal LE PENE est nommé Sergent sur ma présentation : type d'ouvrier parisien (Vannetais transplanté) vigoureux, débrouillard, très intelligent et discipliné : ajusteur mécanicien en autos et aéros.

 

14 h - Un Caporal de la 23e, autorisé à 10 h à aller cuisiner tout proche, passe à 1'instant avec une marmite fumante : il m'offre, sans doute pour éviter une réprimande avec explications, une part que j'accepte : c'est un ragout exquis où je ne prends guère que des légumes. Une bille de chocolat, un quart d'eau et une pipe, me voilà paré. On dit que nous aurons une attaque à 15 h ou 17 h.

 

15 h - L'attaque a lieu par le 5e Bataillon et les 22e et 24e : les 21e et 23e restent en tranchée en repli. L'ennemi répond faiblement. 8 blessés traversent la tranchée dont un garde républicain Chef de Section arrivé avant-hier : il a un éclat d'obus à la cuisse.

 

18 h 30 - Nous allons cantonner à St-PIERRE. Toujours même logis mais démeublé : la nuit sera courte car nous repartons demain à 3 h 45, sans doute en première ligne. Je passe une assez mauvaise nuit, toux opiniâtre et coliques. Je mange cependant de la soupe excellente et du rata : je prends du café, mais je dors mal.

 

* 2 octobre 1914

 

Départ à 3 h 45. Je suis déprimé et fatigué. Nous arrivons dans l'allée boisée qui précède la clairière de la caverne. Nous attendons des ordres. Si nous n'essuyons pas une attaque nous rentrerons à St-PIERRE passer quelques heures et déjeuner.

 

Le Commandant FLAMAND du 5e Bataillon commande les Compagnies de marche du 316e, les autres, retranchées, sont sous le commandement du Commandant MOREAU, Major des tranchées. Le Commandant FLAMAND, mis au courant de ma fatigue, me conseille de rentrer à St-PIERRE pour y prendre le repos nécessaire. J'attends cependant : tant de mes hommes, aussi mal en point que moi, sont obligés de demeurer sur les rangs ! J'ai scrupule à m'éloigner.

 

7 h - Ordre de retour à St-PIERRE pour mon Bataillon. Repos au cantonnement habituel. Je vais voir le Docteur LAFERRIERE : ventouses et ordre de repos au chaud jusqu'à demain : pas de bivouac cette nuit. Grand bol de café exquis et pain grillé à la tambouille des Officiers, vin chaud à mon cantonnement.

 

A 11 h 30, déjeuner â la tambouille. J'ai peu d'appétit : on cause amicalement. Pendant ce temps mon Bataillon va vers les tranchées en appuyant sur la gauche pour occuper les carrières où était le 318e qui se met au vert à ATTICHY.

 

Je passe la journée au poste médical de secours. Je me sens mal foutu : brûlures à l'œsophage à cause sans doute de l'élixir parégorique absorbé. Je soupe sans appétit malgré un splendide et succulent gigot. Coucher au cantonnement diarrhée intense qui m'oblige à me lever plusieurs fois.

Irruption vers 21 h d'une Compagnie du 264e avec 2 Officiers qui veulent tout manger mais qui finissent par s'amadouer et me laisser tranquille, moi dans mon lit, MARANDE, BARDET et CARO dans leur petite chambre chaude. Les surmenants font du feu et je m'en félicite á cause du froid.

 

* 3 octobre 1914

 

Café exquis offert par les cuisiniers du 264e demeurés après le départ de la Compagnie à 4 h. Je me suis levé à 7 h, après une nuit agitée à tous les égards. CARO nous prépare aussi un "bon jus" avec des tablettes de café.

 

8 h - Je vais prendre un lait exquis à peine mélangé de café au poste de secours. La 24e Compagnie du 264e revient, je fais plus ample connaissance avec les 2 Officiers dont l'un est plus mal en point que moi : nous nous succédons au cantonnement depuis plusieurs jours et nous rencontrant pour la première fois, nous prenons, de concert, quelques mesures d'amélioration. Le logis est devenu un taudis infect jonché d'une paille pleine d'ordures et de débris divers : on va le nettoyer et tâcher d'y mettre de la paille fraiche.

 

ANDRIEUX, le nouveau Sous-Lieutenant de la 19e s'est foulé un pied.

 

Excellent déjeuner chez le Docteur à midi, gigot, purée pommes, rôti de bœuf, biscuits, vieux Corton, café merveilleux. J'y apprends que le 316e a perdu en septembre sur 2000 hommes et 34 Officiers, 1 219 hommes et 33 Officiers. J'ai reçu hier les molletières cuir et l'imperméable commandés à TOLGUENNEC. J'en suis satisfait. Si LA HUBAUDIERE m'en apporte autant, je ferai mon choix et cèderai ce qui ne me conviendra pas à LE GALLO.

 

17 h 30 - Nous jouons au poste de secours, chemin de fer, je gagne 7*..

 

19 h - Nous dinons, bœuf daube, gigot froid, pommes frites, confiture, café. Quelques blessés dont un des 4 Sous-Officiers de la garde républicaine. Avec celui blessé hier et un autre malade, cela fait 3 d'évacués. Les pauvres gens n'auront pas fait long feu 1 Il n'en reste qu'un qui est de TARBES, d'une bravoure extraordinaire, s'approchant à 100 m des tranchées ennemies et tirant sur tout ce qui se montrait. Leur capote noire trop voyante les désignait aux coups.

 

20 h 30 -Deux Sous-Lieutenants territoriaux nous arrivent, très peuple et l'un beau parleur.

 

* 4 octobre 1914

 

Bonne nuit, réveil à 4 h. Nous allons stationner de 5 h à 7 h, en arrière des tranchées de la gauche du ravin que nous occuperons ce soir à la relève.

 

7 h - Nous rentrons, toilette, barbe, café au lait chez le Docteur, paille fraîche pour le cantonnement.

 

8 h 15 - Ordre de fortifier lisière Nord du village. Pourquoi ?...

 

Nous prenons notre emplacement, 3 Sections en arrière, comme réserve.

 

Traces proches de bombardement antérieurs par les obusiers de 15eme, trous énormes, murs pulvérisés -midi- tranchées terminées, ordre de retour a ST-PIERRE au cantonnement où CARO me sert, dans ma gamelle, le repas qu'il avait pris pour moi chez le Docteur, ragoût mouton aux haricots, riz au lait. Je vais prendre au poste de secours, où je retrouve le groupe d'Officiers habituels, pain beurré, vieux Corton, café.

Rapport : 1 mutilé volontaire du 318e a été fusillé le 2 octobre. Exemple terrible mais nécessaire.

Nous irons relever ce soir à 4 h 30 le 5e Bataillon dans les tranchées sises à la ferme de MOULIN et au-dessous.

 

14 h – Renouvellement de la paille du cantonnement : en profiterons-nous ?

 

Je reçois 10 jours de solde, du 20 au 30 septembre (170 F).

 

15 h 30 - Départ pour les tranchées avec 1h d'avance. Station de 2 h sur l'emplacement du matin, puis ordre du Commandant de conduire le Bataillon à la relève. La 23e arrive à la ferme de MOULIN à la nuit. Relève silencieuse. Une Section (2e) en réserve près du ravin mais bien loin de nous !... Les autres en avant de la ferme et la touchant. Le logis est abandonné mais les animaux chevaux, vaches, veaux, porcs demeurent, que les unités successives nourrissent gentiment : il y a un léger bénéfice : un peu de lait.

 

20 h - Mes cuisiniers et CARO, conduits par JEHANNO, remontent de St-PIERRE portant le boulot et les derniers vivres distribués. Souper rapide, je n'ai pas faim. Je me couche aussitôt. Nuit sans sommeil, fortes coliques qui m'obligent à me lever plusieurs fois (fièvre).

 

* 5 octobre 1914

 

Je passe ma journée étendu sur un lit de la ferme, fiévreux, anéanti. Je déjeune d'un bol de lait, à grand peine. A un moment, appelé par le Colonel, je vais examiner un emplacement pour une Section de réserve, sur le front. Mais je rentre me coucher. Violente canonnade tout le jour sur la ferme où nous demeurons seuls avec CARO.

 

18 h 30 - Le 5e Bataillon vient nous relever. Je m'équipe et nous rentrons à St-PIERRE. Vrai calvaire que ce chemin. Dès mon arrivée visite du Docteur JOSSERAND : 38°? (axillaire). Je suis couché sur mon grabat habituel, sommier crevé, sans matelas, paille ; le Docteur me fait prêter une couverture de son cheval.

 

* 6 octobre 1914

 

Mauvaise nuit fiévreuse, je demeure couché. La Compagnie est partie pour la ferme de MOULIN à 17 h 15 : LE GALLO et JEHANNO me promettent un litre de lait pour demain matin.

 

19 h - Le 264e (24e Compagnie) rentre au cantonnement. Je me couche ayant pris un comprimé d'antipyrine, sans absorber autre chose. Je délaisse mon grabat et vais rejoindre dans une soupente, sur de la paille fraîche mes éclopés de la 23e : MARANDE et BARBET. CARO complète le quatuor. Mauvaise nuit, respiration nasale très difficile, courbatures.

 

* 7 octobre 1914

 

5 h 30 - J'ai pu dormir un peu et me lève, attendant le lait promis. Je n'ai pas faim et me sens faible. Cette nuit, j'ai pensé, trop pensé, et cela fait mal. J'ai bien peu de lettres, quel détestable service postal.

 

8 h - Un homme de la 23e redescend de la ferme avec 1 litre de lait. CARO prépare un chocolat copieux dégusté à 9 h et dont nous faisons part au Lieutenant en 2e de la Compagnie du 264e. Je mange sans appétit, mais aussi sans dégoût. La journée se passe. Mes Poilus rentrent me rapportant encore du lait dont je bois avec plaisir un fond de gamelle : après-midi, jeu pendant 1 ou 2 heures.

 

19 h - Je vais diner chez le Docteur et mange avec assez de plaisir. Coucher à 21 h 30.

 

* 8 octobre 1914

 

2 h - Nous allons attaquer MOULIN sous COUVENT, mon Bataillon en tête sur un rapport de patrouille du 318e que les tranchées allemandes sont évacuées. Départ à 3 h 40, arrivée de ma Compagnie qui précède le Bataillon, à la ferme de MOULIN vers 4 h 30. Nous apprenons par l'Adjudant commandant la 17e Compagnie que les tranchées sont toujours occupées. Rapport au Colonel qui ordonne de surseoir à l'attaque.

 

Le Commandant FLAMAND, du 5e Bataillon qui doit nous adjoindre momentanément à son unité vient nous rejoindre à la ferme. Causerie agréable variée devant un bon feu. J'ai amené un nouveau, le Sous-Lieutenant BIGEARD, ancien Officier d'Active, St-Cyprien, âgé de 49 ans, retiré de l'armée après 4 ans de grade d'0fficier, le garçon sympathique mais dépaysé, démilitarisé, est dans l'automobile (SCHNEIDER) et vraisemblablement sera affecté à un centre militaire d'autos.

 

9 h - On va attaquer malgré la certitude à peu près absolue d'un échec (défaut de cadres, état sanitaire).

 

9 h 30 - Un peloton de la 20e commence le mouvement que suit la 23e par les tranchées du ravin en arrière de la 21 ferme. La 20e passe sans encombre malgré la fusillade et s'engage dans le bois sur la pente opposée du ravin. La 23e subit quelques pertes : blessés légèrement. Je continue le mouvement en passant plus en arrière, hors de vue.

 

10 h - Ordre de s'arrêter jusqu’à nouvel avis. Nous sommes dans le bois et ne déboucherons sur les tranchées allemandes que si le Colonel nous l'ordonne.

 

11 h - Déjeuner avec MOLGAT, LE GALLO, CARO et JEHANNO : sardines, beurre, chocolat, vin. Nous fumons de concert.

 

13 h - Attente dans une tranchée transformée en hutte près de la crête : il fait froid. La fusillade, un instant très nourrie, s'atténue. Un de mes hommes, trop curieux, s'avance avec des camarades sur le plateau : il est blessé aux deux jambes.

 

Jusqu’à 17 h, rien de saillant, mais malgré le beau temps, il fait froid, je suis glacé et je tousse.

 

18 h - Ordre d'amener la 23e à la hauteur du peloton de la 20e en avant, en attendant des ordres. Je suis appelé en même temps par le Colonel toujours parfait pour moi. Je suis avisé par lui que la 122e Brigade n'ayant pas formulé son attaque personnelle il n'a pu avancer lui-même son secteur étant de beaucoup le plus dangereux. Je lui sers de secrétaire pour le compte-rendu à notre Brigadier. Il lui

té1éphone. L'attaque est remise. Le Colonel me dit son désir de balancer le Commandant FLAMAND, gâteux et inquiétant : je le remplacerai donc momentanément dans la direction du Bataillon.

 

19 h - La 23e rentre â la ferme où je l'attendais. Je suis auprès d'un bon feu allumé par LE GALLO venu prendre des ordres, et je me rôtis avec délice. Espérons que la nuit sera calme ainsi que la journée de demain. Cuisiniers et hommes de corvée vont rentrer de St-PIERRE. Nous allons avoir un bon repas chaud, du lait sans doute aussi et peut être dormirai-je tranquille.

 

La corvée tarde à rentrer. Souper léger comme le repas du matin, même menu.

 

20 h - Je m'étends sur le lit et m'endors.

 

23 h - Je me réveille : mes gaillards ont fait ripaille : égoïsme ? Respect excessif de mon sommeil ? Ils ont tout dévoré, sauf deux bouts de viande noirâtre qu'ils m'offrent avec confusion. Je refuse et me retouche très digne mais au fond très embêté.

 

* 9 octobre 1914

 

4 h 30 - Je me réveille assez dispos sauf mon rhume qui reprend vigueur. Empressement de mes lascars, je finis par me laisser attendrir. Café au lait monstrueux et exquis : nous avons un seau de lait.

 

Pendant la nuit, nos 155 ont aussi PUISEUX et MOULIN sous COUVENT. Il y aura donc attaque aujourd'hui. Conduirai-je le 5e Bataillon ?

 

7 h - Calme absolu à peine troublé par de rares coups de feu. Beau soleil. Les hommes s'ingénient à rendre propre le logis : arrosage, balayage, rangement de vaisselle préalablement lavée. Le clairon GRANDVALET intelligent et alerte pourvoit à tout : c'est lui qui est le grand administrateur de l'étable et au besoin, il raccommode les chaussettes percées aussi bien qu'une ménagère attentive.

JEHANNO, tout marri de l'incident du repas d'hier soir, me comble de prévenances : il m'a mis 2 litres de lait de côté, malgré mes protestations, mais avec le suffrage de tous ses camarades. Ce sont de bons gars.

 

11 h - Le vaguemestre m'apporte 6 lettres dont une d'Henri datée du 27 septembre. Le cher garçon mène la même existence que moi. Je lui ai répondu immédiatement. Nos grosses pièces viennent d'envoyer une dizaine d'obus sur les tranchées ennemies, à 200 m de nous à peine. Détonation, fumée, effet exactement semblable à ceux des obus de nos adversaires familièrement baptisés "Grosses Julies". J'indique que l'appellation vient de moi et a fait fortune. Journée des plus calmes. Relevé à 19 h par la 19eavec LE GORRE toujours affectueux et dévoué : il canarde les faisans dans le bois à la chute du jour.

 

20 h - Arrivée à St-PIERRE : je m'installe à la tambouille mais à peine avons-nous commencé, canonnade, fusillade et ordre de se porter sur le plateau. Comme par hasard la 23e est mise en tête. Envoi de patrouilles sur les tranchées au loin et lorsque après 1 h d'attente, le Bataillon rentre à

St-PIERRE, nous sommes obligés d'attendre le retour de mes Poilus.

 

22 h 30 - Rentrée à St PIERRE : je passe à la tambouille ou le Commandant MOREAU et LE ROY achèvent ma part de riz au lait...

 

Je rentre au cantonnement où je me fais chauffer du lait. Le Docteur JOSSERAND vient coucher encore: il s'est procuré une paillasse que nous partagerons sur le lit. Je perds LE GALLO qui passe à la 24e. Je suis navré et lui aussi. André est rentré ce soir : il n'était allé qu'à VILLERS-COTERETS.

 

 

 

* 10 octobre 1914

 

Passé une bonne nuit. A 5 h, la Compagnie est allée faire sa promenade habituelle avec stationnement de 2 h sur le plateau à gauche du ravin. Elle rentre à 7 h.

 

BIGEARD est décidément un charmant garçon, intelligent, débrouillard et fort attentionné à mon égard. Quand il me fut confié un soir à la porte de la tambouille (le 6 octobre) par le Commandant MOREAU, ce dernier me parla de dossier fâcheux, de défilage volontaire, pour éviter de venir au feu et je fus très froid.

 

Le lendemain matin, en allant à la tranchée, j'eus avec BIGEARD une explication loyale et je n'hésitai pas à lui demander la vérité car il a une tête sympathique. Le résultat de l'explication fut tel que nous rompîmes la glace illico : BIGEARD a pu se disculper facilement. Par son âge, il est volontaire (49 ans). A St-CYR, il était le melon du Colonel PLUYETTE qui était Sergent dans la même Compagnie.

 

Une note au rapport d'aujourd'hui sur les transports de troupes en auto me donne à penser que nous allons filer d'ici sous peu ; sans doute pour rejoindre notre aile gauche dans le Nord.

 

La journée s'écoule sans incident. Je la passe en grande partie étendu sur le lit de la ferme. Je me sens peu vigoureux.

 

A midi, je mange un peu de soupe et à 5 h une bonne portion de riz au lait.

 

18 h - Relève par la 19e et retour à St-PIERRE. Je vais diner à la tambouille puis je rentre au cantonnement ayant l'autorisation du Commandant de ne pas aller à l'exercice du lendemain matin (lancement de grenades).

 

21 h 30 - Je me couche : soupente envahie par Sergent-Major et fourrier du 264e. Nous sommes trop serrés et je ne peux dormir. Je prends un lait exquis avec pain grillé.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille, très gaiement. J'ai enfin une sellerie de Dragons : la bride n'est pas brillante, mais la selle paraît très bonne. La journée s'écoule, très calme. J'ai eu encore deux lettres de Marthe et deux colis- linge envoyés par ma belle-mère avec une lettre très affectueuse. Toujours pas reçu le sac touriste ni les photos... J'ai commandé à TOLGUENNEC une autre toile cirée et une trousse de toilette et j'ai confié à l'un des Docteurs ma deuxième paire de chaussures devenue encombrante avec tout ce linge nouveau.

 

17 h 30 - Départ pour la ferme MOULIN-MOULIN. Nous avons par la 19e des détails sur l'affaire d'hier. C'est sur eux qu'a porté le premier choc. Il y a eu une vraie et très vigoureuse attaque allemande avec déplacement de troupes, mitrailleuses et canon. La ferme de MOULIN a été copieusement arrosée mais la 19e a répondu par un feu d'une extrême intensité et tel qu'en une heure chaque homme avait presque épuisé ses 160 cartouches. Je puis dire que je suis pour quelque chose dans la bonne résistance de la 19e puisque j'avais fait la veille, améliorer les banquettes de tir des tranchées jusqu'alors inutilisables. Les hommes de la tranchée de droite ayant fui dès le début avec leur Sergent, ce dernier a été arrêté et son affaire est claire.

 

Ainsi avisé, nous avons pris nos dispositions pour éviter des surprises. J'ai soupé d'un bol de lait et je me suis couché assez mal foutu. Sommeil agité, j'ai eu la fièvre. Je me lève 2 ou 3 fois.

* 11 octobre 1914

 

4 h - Réveil. Nous avons eu un seau de lait frais dont je prends d'abord un grand bol cru puis à 6 h un café au lait excellent.

 

* 12 octobre 1914

 

1 h - Je fais de la lumière et j'expulse le 264e, puis je m'endors.

 

7 h - LE GALLO survient et m'apprend qu'il va aller à la ferme de MOULIN pour, sur l'ordre du Colonel, tuer le veau et le cochon. Cela fait présager la descente des vaches réclamées par ce brigand de Docteur. Je somnole un peu, puis je vais déjeuner à la tambouille où l'on commente la prise récente d'ANVERS.

 

14 h - J'ai mangé assez bien puis je suis rentré au cantonnement. La journée s'écoule sans incident. Des aéros français circulent au-dessus de nous et sont canonnés sans résultat par les Allemands.

 

17 h 30 - Nous revenons à la ferme et à 20 h, nous avons une alerte. Vive fusillade. Je cours au bruit : mon petit poste a lâché pied et s'est replié sur la tranchée malgré son nouveau Caporal POIREAU nommé la veille. Je leur fais honte et les renvoie à leur poste. La nuit s'écoule très calme. Je dors admirablement.

 

* 13 octobre 1914

 

6 h - Réveil. Je me fais faire du café au lait “à l'ancienne", selon la recette de Louis FOREST. Sera-ce réussi ? Hier la corvée a rapporté vers 20 h outre les provisions habituelles, du gruyère et du Cantal délicieux et diverses conserves de bas étage que je dédaignerai. Que sera la journée ? Hier soir, j'ai fait reconnaître, sur ordre, par une patrouille, les cheminements vers l'ennemi par le bois de gauche : attaque de nuit en perspective. On nous a munis de grenades à main dans le même but évident.

Le café à l'ancienne est incomparable.

 

7 h - Un de mes hommes est blessé d'une balle à la fesse.

 

8 h 15 - Le Colonel me confie le commandement du 5e Bataillon. CUNY, promu Sous-Lieutenant, prend le commande- ment de la 23e. Je vais rentrer à St-PIERRE. L'attaque aura lieu vraisemblablement cette nuit.

 

8 h 30 - Avant de m'en aller, je prends un chocolat. CARO emporte un filet de porc frais donné hier soir par LE GALLO après l'exécution ordonnée par le Colonel et qui a profité au seul 5e Bataillon.

 

Je suis accueilli effectivement par GAUTEREAU à la 17e. Je déjeune avec lui, CUNY et le Commandant FLAMAND toujours guilleret et indifférent.

 

Je reçois dans la journée trois colis de Marthe : linge, photos, lettres, lainages, un saucisson. Je suis heureux mais bien embarrassé de mes richesses.

 

Je me suis forcé pour manger et nous avons fait un tour avec GAUTEREAU jusqu’à BITRY : cela m'a fatigué. J'ai la fièvre et cependant il faut que je marche car je ne veux pas lâcher.

 

15 h 30 - LE HOCK m'a trouvé 6 œufs frais, le brave garçon I Quelle aubaine I Nous allons les manger à la coque avant la relève.

 

16 h 30 - Relève du 6e Bataillon par le 5e que je commande. Je passe la nuit au poste de commandement, maisonnette de branchages assez confortable, construite par le Génie. J'y trouve le Colonel toujours bienveillant. Il me manifeste son regret que ma nomination au grade de Capitaine n'ait pas encore paru. Nous passons la nuit côte à côte sur le lit de camp du poste.

 

* 14 octobre 1914

 

4 h - Café chaud, conversations avec le Colonel : politique générale, campagne de CHINE où il a connu Léon, armées diverses, etc...

 

11 h - Je vais aux tranchées de la 17e voir une tranchée ou un homme vient d'être tiré et 6 blessés gravement. Je vois GAUTEREAU, toujours affectueux et je rentre juste pour déjeuner : soupe de bœuf, saucisson de TOURNAY, filet de porc frais, pomme, gruyère, vin, café.

 

14 h - Je me couche aux côtés du Colonel et je dors deux heures : que nous réserve la nuit ?

 

La canonnade est violente du côté allemand : ils ont dû faire revenir de l'artillerie, car la différence est très sensible avec leur calme des jours passés.

 

J'ai eu par un messager de VANNES (colis postaux militaires) une lettre très cordiale de RAPIN datée du 8 octobre. Je tue le temps comme je peux, dans le poste de commandement : après la pluie d'hier, le temps demeure incertain, mais il fait bon dans notre poste où du feu est allumé en permanence et qui prend jour par sa porte en clayonnage : c'est un cube de 2,50 x 5 m avec cheminée au fond large et assez haut bat-flanc en pente : murs et plafonds en arbustes sciés et clayonnages épais pour toute la partie qui n'est pas enfoncée et creusée dans le sol. Un téléphoniste, à côté de moi lit sagement le "Général DOURAKINE" !!

 

17 h 30 - Relève par le 6e Bataillon. CARO qui m'attend à St-PIERRE, me mène dans une maison particulière où était logé le Commandant FLAMAND et où j'aurai un lit. Jolie chambre, propre et confortable au bout du bourg. Demain matin à 4 h 30, promenade habituelle. J'y conduirai seulement la 17e et la 18e.

 

Cette nuit attaque par la 37e Division. Nous n'y prendrons pas part en principe.

 

* 15 octobre 1914

 

Je passe une excellente nuit : je me suis déshabille et couché pour la première fois depuis le 5 septembre.

 

4 h - Je me lève et vais à la 17e où je prends un excellent café.

 

4 h 45 - Nous venons (17e et 18e sous mon commandement) sur le plateau habituel.

 

7 h - Nous rentrons sans incident à St-PIERRE. Les Allemands nous envoient quelques projectiles bruyants et inefficaces.

 

9 h - Chocolat onctueux et abondant en mon nouveau logis, avec GAUTEREAU : auparavant toilette complète, barbe faite.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille, violente canonnade ennemie, très proche.

 

15 h 45 - Le Sous-Lieutenant HOCH m'annonce ma nomination au grade de Capitaine.

 

17 h 30 - Retour aux tranchées : j'y vais à cheval à cause du cloaque de boue que constitue le chemin.

 

20 h - Je me couche aux côtés du Colonel.

 

* 16 octobre 1914

 

4 h - Réveil après une bonne nuit. La 17e a été visitée par des patrouilles, elle a tiré et a tué un Allemand au moins.

 

5 h 30 - Je vais à la 17e pour examiner un point de tranchée à défendre. J'apprends qu'un de mes gars de la 30e nommé GARDAHAUT qui avait donné depuis son arrivée des preuves multiples de courage, a été grièvement blessé aux deux jambes par des balles en faisant une patrouille. Je rentre avec le troupier qui a tué l'Allemand et qui porte au poste de commandement tout ce qu'on a trouvé dans ses poches, les effets personnels et l'argent seront renvoyés en Allemagne.

 

8 h - Les brancardiers rapportent GARDEHAUT, l'une de ses jambes est broyée, plaie affreuse due à n'en pas douter à une balle explosive : quels bandits que ces Allemands ! Où est-il leur honneur militaire ?

 

La journée s'écoule calme, à 14 h, nos 155 recommencent la musique, les Allemands répondent, essayant d'atteindre nos Canons.

 

VIDAYET, le garde républicain Tarbais qui est Chef de Section a la 17e, va devenir légendaire au 316e : il a descendu un Allemand ce matin, est allé le chercher, l'a rapporté dans la tranchée et a passé l'inspection de ses poches : elles étaient pleines d'or français et contenant en outre deux montres en or provenant du pillage à n'en pas douter. Il va passer Adjudant (comme on écrit l'histoire). L'anecdote des pièces d'or et des montres est un mythe, ainsi que je l'apprends dans la soirée. VIDAYET a descendu plusieurs Allemands mais n'en a rapporté aucun dans sa tranchée : quant à sa nomination d'Adjudant c'est chose faite et bien due au courage de ce très brave garçon.

 

18 h - Nous sommes relevés par le 6e Bataillon. Je rentre à cheval.

 

19 h - Diner chez le Docteur présidé par le Colonel qui offre du Bourgogne et un superbe foie gras.

J'offre pour ma nomination, deux bouteilles à 6 F pièce. On nous sert un délicieux filet de bœuf précédé d'une onctueuse soupe au fromage. Diner très gai et cordial.

 

21 h 15 - Je me couche. Fusillade. Je me rhabille et vais fumer une pipe avec mon hôte en attendant des ordres possibles. Le calme renaît bientôt. Je me recouche et m'endors avec délice.

 

* 17 octobre 1914

 

4 h - On vient me réveiller et à 4 h 45, j'amène les 19e et 20e sur le plateau. Temps gris et pluvieux. A 7 h, nous rentrons. Café au lait chez le Docteur et toilette dans ma chambre. Il est proposé pour la médaille. Sa blessure n'est pas due à une balle explosive : elle est due à la faible distance où le projectile fut tiré : j'ai donc formulé hier un jugement téméraire sur les Allemands. Mais on ne prête qu'aux riches !

 

Déjeuner à la tambouille arrosé de Bordeaux restant de la fête d'hier.

 

14 h 30 - Nous finissons très tard à cause de plusieurs blessés que pansent nos hôtes : quelques vilaines blessures, notamment fractures de jambe par éclat d'obus à un Caporal de la 21e, blessure d'un Caporal du Génie près de la colonne vertébrale. L'aimable Adjudant du Génie, qui à la caverne du Général m'avait donné du vin et que j'avais plusieurs fois retrouvé au poste actuel de commandement du Régiment, a reçu une balle à la tête et un shrapnell à la jambe gauche tandis qu'il travaillait à la tranchée de la 17e (21e) : blessures peu graves heureusement.

 

A 14 h 30, je rentre à mon logis et je m'étends sur mon lit à côté de GAUTEREAU. Le matin, j'avais passé en revue mon Bataillon et n'avais pas été satisfait de la propreté des uniformes et surtout des armes.

 

17 h - Je monte à cheval et un quart d'heure plus tard, nous partons vers la tranchée.

 

19 h - La tambouille nous envoie notre diner au Colonel et à moi, frugal mais suffisant. Déception : le vieux vin offert par GAUTEREAU pour le Colonel mal bouché, a tourné au vinaigre.

20 h - Nous nous couchons.

 

* 18 octobre 1914

 

1 h - Brusque réveil par intense fusillade. L'ennemi attaque vigoureusement : fusils, mitrailleuses et canons se répondent. Les Allemands éclairent le terrain par des bombes spéciales. Nos hommes, froids et résolus, ne bougent pas.

 

1 h 40 - Le feu cesse. Le 6e Bataillon appelé par téléphone, est autorisé à rentrer à St-PIERRE lorsque tous les comptes rendus des Commandants de Compagnie du 5e Bataillon nous sont parvenus. Nous nous recouchons.

 

4 h - Avis de l'arrivée d'un renfort de 500 hommes avec 4 Officiers dont le Capitaine CHOPPART à qui je vais passer mon commandement de Bataillon. La matinée s'écoule sans incident. Vers onze heures je reçois 6 lettres de Marthe et une de mes parents, pleine de détails sur leur existence à TOURNAY et me disant leur joie des félicitations que m'a adressées le Général. J'ai eu aussi un nouveau colis de vêtements envoyé par Marthe et un de lactobacyline et sucre envoyé par Jeanne.

 

12 h - J'attends encore CARO et mon repas. Il arrive à midi 40 et je déjeune.

 

14 h - Rapport de la 19e signalant le bombardement partiel. J'y vais : un homme blessé par les décombres, l'oeil atone, ne répondant pas aux questions. On pourra réoccuper les tranchées évacuées du devant de la ferme. On entend l'ennemi travailler à 1 500 m dans un bois. Le Lieutenant-Colonel TOUCHARD, spahi et commandant momentanément la Brigade ordonne à l'Artillerie de taper dedans s'il n'y a pas de danger pour les nôtres.

 

18 h - Je prends la 23e au passage et je remonte à la ferme. Elle est vraiment méconnaissable, en ruines : plus de toit, la partie gauche effondrée. Notre chambre cuisine n'est plus que débris. Nous nous installons dans une cave voûtée dont la partie supérieure ne dépasse pas le niveau de la tranchée. Pourrons-nous y demeurer ? CUNY me donne quelques victuailles.

 

* 19 octobre 1914

 

Excellente nuit peu troublée. J'ai couché dans la cave sur un matelas couvert de mon caoutchouc de ma pèlerine de manteau et de la couverture de mon cheval.

 

8 h - Le Capitaine d'Artillerie LEMASURE, du 28e, qui avait été mon compagnon de route de VANNES à DAMMARTIN, est venu tout à l'heure à la ferme pour voir les travaux de l'ennemi et chercher un but pour ses pièces.

 

Je le fais accompagner par un de mes hommes vers la caverne la 21e (17e).

 

10 h - Nous déjeunons dans la cave.

 

12 h - CUNY est désigné pour prendre le commandement de la 18e en remplacement de VERON évacué hier soir en même temps que ce brave BIGEARD atteint de rhumatisme goutteux. On me donne un nouveau venu, le Sous- Lieutenant FARIGOUL, ex-Chef de musique, fils de l'ancien Chef de la musique de LA HOTTE.

 

14 h 30 - Le bombardement qui avait repris à 9 h 30 sans durer, recommence : quelques obus rasent la ferme, tirés de très près : peu de dégâts, tous matériels.

 

18 h - Vive fusillade sur toute la ligne. Je sors. Mes hommes, calmes, attendent. Je fais exécuter 7 feux de salve. Tout se calme en 10 minutes.

 

- 19 h - Nous voici rentrés à St-PIERRE. Je vais signer des pièces au cantonnement de la 23e puis je gagne la » tambouille. En route, je trouve le nouveau Sous-Lieutenant FARIGOUL, qui me cherchait. Il a l'air très bien. Je dîne et pendant le dîner, TEXIER, homme de liaison que j'avais envoyé rendre compte au Colonel me rapporte les félicitations de ce dernier : c'est beaucoup pour peu de choses...

 

- 22 h 30 - Je rentre me coucher par une nuit noire.

 

* 20 octobre 1914

 

Je me lève vers 7 h très reposé. Toilette, barbe, changement de linge que lavera mon hôtesse. Puis à 8 h, je vais prendre un café au lait chez le Docteur. J'y apprends que le Colonel m'estime d'une façon particulière et je suis heureux de cette appréciation formulée par un vrai chef.

 

Je porte à la connaissance de mes hommes les éloges formulées hier par le Colonel : enthousiasme. J'ordonne une revue d'armes pour 15 h. La 23e expulsée de son cantonnement par le 265e est réfugiée dans celui de la 19e avec laquelle elle alterne. Temps gris, tiède, bruine de moment en moment.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille. A 14 h, théorie du Docteur aux Chefs de Section sur les soins â donner aux blessés.

 

15 h - Revue d'armes par moi, satisfaisante. La journée s'écoule sans incident.

 

16 h 30 - Diner à la Compagnie, très cordial, avec mes Officiers et Chefs de Section.

 

17 h 15 - Retour à MOULIN-MOULIN : nous nous réinstallons dans notre cave.

 

 

* 21 octobre 1914

 

Nuit sans incident : 2 obus lancés sur la ferme ont éclaté " à quelques mètres en arrière : coups de fusil assez nombreux mais espacés. Je fais plusieurs rondes les dernières à 1 h et à 4 h.

 

7 h - Café excellent, pain grillé, excellent beurre à volonté.

 

8 h - Un cuisinier, portant du café aux hommes des tranchées de gauche, a reçu une balle qui a traversé sa paroi abdominale antérieure, en seton. Il arrive très ému : je le rassure, blessure superficielle. Je le fais accompagner au poste de commandement où se trouve maintenant en permanence un médecin.

 

8 h 30 - On m'avise qu'un homme de la 3e Section qui travaillait â approfondir le cheminement vers la gauche s'est trop montré et a reçu une balle dans le dos. Je téléphone à la carrière (poste du Général) pour avoir des brancardiers.

 

La blessure paraît grave.

 

10 h - Le Colonel arrive. Je lui fais part de mon inquiétude par ces nuits noires, de savoir à ma droite un trou de 200 m entre notre ligne et celle du 265e qui remplace le 264 : ce dernier a cessé 15 jours avant sa relève, d'occuper une tranchée, intermédiaire. Le Colonel va en référer au Chef de la Brigade (Colonel TOUCHARD depuis l'évacuation du Général DELARUE malade).

 

Le Colonel s'en va. Deux obus nous sont envoyés qui rasent la ferme et explosent dans la direction qu'il vient de prendre : nous tremblons pour la vie de notre excellent Chef. Les brancardiers, que les deux éclatements ont encadrés, nous rassurent : le Colonel était plus loin déjà et ils ont failli écoper en nous arrivant.

 

Le Colonel va faire améliorer notre affreux chemin d'accès qui n'est plus qu’une fondrière boueuse et terriblement glissante où l'on tombe â chaque pas. Nous avons fabriqué un mannequin habillé d'un képi et d'une pèlerine qui nous sert à faire tirer les Boches, plaisir innocent qui fait la joie des Poilus.

11 h 15 - On me signale la présence d'un cheval venant vers nos défenses de fil de fer : tentative pour les détruire, pour les tâter ? Je fais abattre l'animal par 3 bons tireurs.

 

On me signale presqu'aussitôt des patrouilleurs ennemis circulant le long de la crête du bois de sapin : 2 feux de salve par 8 hommes.

 

13 h - Nouvelle canonnade : 30 obus aucun effet.

 

16 h - Le Capitaine LEMASURE vient examiner le secteur et nous annonce qu'il va bombarder les batteries allemandes. Nous ne tardons pas â entendre des rafales de 75 et le téléphone nous apprend que les résultats en sont des plus satisfaisants, en tout cas le canon ennemi se tait net.

 

17 h - Le Sergent du Génie BOISSEAU venant au travail en avant de la ferme, va chercher un sachet que l'on a vu pendre au cou du cheval : il le rapporte et on y trouve deux numéros de la "Hamburger Leitung" annonçant la prise d'ANVERS, plus une carte lettre au crayon, libellée correctement en français mais d'une manière enfantine : elle commence par "Bonjour, Français ! Annonce la prise d'ANVERS, le coulage d'un croiseur anglais, une défaite russe à Przennytl" et nous prédit "des autres choses" : signé “Les Prussiens".

 

18 h 15 - Retour à St-PIERRE. Le Chemin est devenu encore plus mauvais : boue infecte, flaques d'eau, terrain plus glissant que jamais.

 

19 h - Diner à la tambouille, communication au Colonel de notre butin qui sera transmis à la Brigade avec mon rapport.

 

21 h - Je vais me coucher dans mon excellent lit.

 

* 22 octobre 1914

 

4 h - Je me lève. Excellent café à la 23e, pain blanc, beurre.

 

5 h 15 - Départ des 23e pour le plateau.

 

7 h - Retour au cantonnement. Café au lait, pain, beurre à la tambouille.

 

8 h - Toilette dans ma chambre, barbe, mon hôtesse, brave femme, a lavé mon linge qui est sec.

 

9 h - Le tailleur du cantonnement des 19e, 23e, qui m'a cousu avant-hier, sur mes manches de vareuse un 3e galon, me confectionne des poches à ma vareuse.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille. Je vois les deux dernières illustrations et le Graphic fort intéressants. On nous donne connaissance de nouvelles excellentes, victoire russe sur les Allemands, progression française sur tout notre front.

 

La journée s'écoule, calme, sans incident.

 

17 h 15 - Après un repas léger à la 23e retour à MOULIN- MOULIN. Chemin atroce. Nous sommes tous en nage en arrivant. Nous nous couchons avec FARIGOUL et la liaison dans la cave où André, malade nous rejoint, tordu de coliques.

 

Quelques obus tombent sur la ferme et les tranchées : fracas, tuiles et moellons volent.

 

* 23 octobre 1914

 

Bonne nuit. A 3 h, nouvel obus avec même effet.

 

7 h - Café excellent, pain grillé, beurre puis bonne pipe "ensemble mon Capitaine" comme dit le petit Sergent MOLGAT, charmant garçon, de l'active, instituteur, intelligent, débrouillard, gai et dévoué.

 

10 h 30 - Le Caporal téléphoniste du 265e vient d'être blessé d'une balle gui après lui avoir traversé le bras gauche, lui est entré dans le flanc à hauteur de ceinture. Il était en train de relever et réparer un fil affaissé, le long des bâtiments de la ferme, côté extérieur droit (fusillé).

 

11 h - Reprise du bombardement : les obus éclatent sur mes tranchées du premier peloton : un homme blessé à la tête et à la main superficiellement.

 

11 h 45 - Déjeuner. Menu : sardines à l'huile (Saupiquet), rôti de bœuf, pommes de terre en sauce, saucisson, beurre, fromage, pain d'épices, vin, café, Kirsch. C'est le menu de la 23e.

 

12 h 10 - Obus sur la ferme, pluie d'ardoises. Ma 9e escouade est hachée par un obus dans sa tranchée : 3 morts dont l'ancien légionnaire LAURENT, 12 ans 1/2 de service, réformé et rengagé pour arriver à sa retraite, 7 blessés. 12 victimes depuis ce matin, 29 à la Compagnie en 4 séjours à la ferme !

 

Tous les blessés sont merveilleux de courage mais je suis navré de voir que ma Compagnie toujours la plus exposée supporte de beaucoup les plus cruelles pertes. Et le spectacle de ces malheureux se traînant vers l'abri, sur les mains et le ventre ! Que d'affreuses blessures ! L'un a 6 orteils arrachés ainsi qu'un mollet, un autre a la tête en sang et le bras gauche criblé de shrapnells, un 3e la cuisse fracturée, un 4e, le Caporal, l'avant-bras cassé et de multiples blessures aux jambes ainsi qu’aux cuisses ; les morts sont en bouillie. Je fais relever les blessés par les camarades et on les étend sous le hangar de la ferme à côté des 2 blessés du matin : aucune plainte, quelques soupirs seulement.

 

Le reste du jour s'écoule dans la tristesse : les brancardiers appelés n'ont pu franchir le passage découvert à cause des balles ; le médecin auxiliaire LAURENCE vient faire les pansements avec quelques infirmiers : ils sont salués par une grêle de balles, sans effet, heureusement. A 18 h 15, relève. Nous quittons tristement nos tranchées.

 

19 h - Arrivée à St-PIERRE. Je vais à la tambouille. Nous commençons à souper. Vers la fin du repas arrivent mes blessés. Les pauvres gars sont glacés : on leur fait boire du café chaud. Ils sont touchants de gratitude pour tous ces menus soins que nous leur donnons nous-mêmes. Pendant qu'on les panse, je leur tiens les mains et ils me regardent avec des mots touchants. L'un des plus atteints, dont j'ai pris la main, me reconnaît soudain et sa voix pleine d'émotion est touchante pour me dire : "Oh ! Mon Capitaine CAZENAVETTE I Vous êtes là ! Je suis content ! Il va donc falloir se quitter, quel malheur ! J'étais si heureux avec vous !

 

Tous les Officiers sont émus de ces manifestations et me disent que je suis particulièrement aimé de mes hommes, que la 23e est l'unité la plus brave du Régiment, etc...

21 h - Je vais me coucher après le pansement du dernier homme. Je m'endors, écrasé de fatigue : le Colonel a parlé de nous relever de notre poste : le fera-t-il ?

 

* 24 octobre 1914

 

Lever à 7 h. Toilette, barbe, café au lait à la tambouille avec le Colonel qui ne parle plus de relève.

 

10 h 15 - Je reçois une lettre de Marthe, une autre de Tante Anna, une troisième d'Adrienne, toutes trois exquises d'affection. J'ai revu de CORNULIER-LUCINIERE qui est rentré du Dépôt après une assez longue absence du front : il m'a donné de bien amusants détails sur nos excellents pantouflards de là-bas : RAPINE, COUSIN, HABRIOUX, le Commandant LARUBIN, etc... Peu pressés de nous rejoindre les gars J De CORNULIER me confirme la mort du pauvre BARTOLI.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille. Nous ne serons pas relevés à MOULIN-MOULIN "car la 23e et son Capitaine ont la confiance absolue des Chefs". Nous apprenons que la 19e a eu 4 blessés à l'extrémité droite de la tranchée. On a canonné les crêtes et on recommence demain. Un canon de montagne va être confié au Régiment pour tirer sur les tranchées ennemies : des fantassins, instruits par l'Artillerie les serviront. Je doute de l'efficacité de cette mesure.

 

17 h 10 - Nous remontons aux tranchées. Au passage, le Colonel me renouvelle l'expression de sa confiance : "si la Compagnie n'est pas relevée, c'est à cause de la difficulté du poste et tous les Commandants de Compagnie ne sauraient s'y maintenir comme vous". Je suis heureux de ces éloges mais peiné de maintenir en un lieu dangereux ces braves troupiers...

 

Je m'installe dans la grande cave avec les téléphonistes. Nous sommes plus au large et la voûte paraît plus épaisse : et puis... à la grâce de Dieu. Les blessés de la 19e étaient dans notre ancienne cave : un peu après la relève, un obus a éclaté sur la ferme sans causer de dommages mais il a retardé le départ des brancardiers que le clair de lune inquiétait aussi.

 

9 h 30 - Un obus tombe sur la tranchée tuant le Caporal de la 8e escouade et blessant, à 50 m, un veilleur de la 6e.

 

* 25 octobre 1914

 

Vive fusillade à 1 h 30, sur notre gauche. Je saute dans la tranchée où mes hommes, calmes et attentifs observent. Ils croient voir remuer quelque chose en avant. Je fais exécuter 2 feux de salve comme précaution. Après 20 minutes tout se calme.

 

4 h - Nouvel obus : 2 blessés assez légèrement.

 

On a trouvé sur le Caporal tué pendant son sommeil, un testament de bon Français et de bon Chrétien : il disposait de ses biens et envoyait sa dernière pensée à sa fiancée qu’il aurait dû épouser quelques jours après la mobilisation.

 

Il sera inhumé à côté de ses propres camarades, dans un champ de betteraves, près de la ferme.

Hier, le Lieutenant du Génie m'a appris la mort de son brave Adjudant : il a dû mourir de sa blessure à la tête : c'est une vraie perte.

 

La journée s'écoule sans incident. Canonnade intermittente. Les blessés somnolent et... nous aussi.

Nous déjeunons de pommes de terre en sauce et d'un succulent rôti de bœuf, vin, beurre, café : nous renonçons à de la langue de bœuf froide et aux sardines à l'huile emportées pour le repas.

Un jeune chat, couleur vair, qui était dans la maison notre compagnon un peu sauvage, est venu timidement nous rejoindre. Affamé, il dévorait avant-hier les débris d'orteils du brave CHANTOUS... On a dû le chasser mais j'ai empêché une exécution vengeresse et bien inutile.

 

3 h 40 - Nouvel obus : 5 blessés dont un par éclat au genou a perdu beaucoup de sang et m'a paru au premier abord, mortellement atteint : un autre a eu les 3 derniers doigts de main gauche arrachés : les trois autres blessés le sont plus légèrement.

 

Et la journée n'est pas finie : il y a encore la relève... avec l'arrosage traditionnel.

 

6 h - La relève arrive : c'est la 20e avec le Lieutenant WEIL et LE VISAGE. Ils ont donc remplacé la 19e I Nous serons alors relevés par la 24e. Je ne me perds pas en congratulations et je quitte ces Messieurs assez brusquement passant le long de leur colonne pour recommander un absolu silence et envoyant mes hommes un par un et au pas rapide vers un point de rassemblement en arrière. Je m'y dirige moi-même et j'ai l'heureuse surprise de partir avec tout mon monde sans avoir rien reçu de plus.

 

Mes hommes qui ont été d'une admirable fermeté, mais qui étaient moins gais, ces jours-ci, m'ont avoué qu'ils étaient persuadés d'y passer les uns après les autres si le séjour à MOULIN-MOULIN avait duré : ils sont heureux d'être relevés. Ce soir donc, nous irons à la réserve du bois en remplacement de la 24e. On m'annonce que le Génie y a construit une cabane des plus confortables avec cheminée

pour les Commandants de Compagnie. Le Colonel toujours très cordial.

 

A la fin du repas mes blessés arrivent et je leur donne du café, pendant qu’on les panse.

 

21 h - Je vais me coucher.

 

* 26 octobre 1914

 

4 h - Réveil. Café au cantonnement promenade sur le plateau, puis correspondance. Je réponds notamment à une carte de TRAINEAU qu'il m'adresse à... BRESSUIRE !

 

Petit-déjeuner à la tambouille. Puis je flâne après ma toilette dans ma chambre. Je retourne à la tambouille ou j'apprends que la 20e, outre une sentinelle tuée dans la nuit, a eu 13 hommes (5 tués, 8 blessés) atteints par un obus dans le milieu de la ligne.

 

11 h - Le Lieutenant-Colonel TOUCHARD, commandant la Brigade m'appelle en conférence avec le Capitaine du Génie pour prendre des dispositions en vue de l'amélioration du Secteur : on construira une nouvelle tranchée sur la droite et on desserrera.

 

12 h - Deux des blessés de la 20e sont morts.

 

16 h - Diner au cantonnement.

 

17 h 10 - Départ pour la réserve du bois. Mes hommes, ces jours-ci sombres mais résolus et muets, sont joyeux. Nous occupons des gourbis chauds et presque confortables où l'on fait du feu !

 

Pour ma part, j'ai une case élevée et assez large (3 m x 3 m) où nous nous couchons avec FARIGOUL, CARO et deux hommes de liaison, TEXIER et GUILLEMOT. Nous dormons assez bien.

 

* 27 octobre 1914

 

Dès le jour mes hommes fabriquent des claies pour recouvrir les tranchées de l'avant. Ils creusent des fosses pour 1'ensevelissement de leurs pauvres camarades de la 20e Compagnie dont les corps mutilés sont tout à côté. Journée tranquille. Mes hommes continuent leur travail.

 

11 h - Déjeuner dans le gourbi : rôti de bœuf exquis ; pâté de foie de porc, Camembert parfait, café, Coudrès.

 

14 h - LE HOCK apparaît portant un litre de vin blanc promis le matin. Je partage avec mes hôtes du gourbi, je sucre et trempe du pain.

 

Le Capitaine LEMASURE m'apprend que nos 75 ont mis à mal une Batterie ennemie.

 

D'autre part, la 24e à la ferme de MOULIN-MOULIN n'a pas subi de perte et sa nouvelle tranchée a été creusée par le Génie sans accroc pendant la nuit : on la couvrira cette nuit. Hier, colis de Marthe : chocolat, tabac, Coudrès, mouchoirs, sucre : la chère petite.

 

17 h - On a entendu canon et fusillade du côté du 265e. Puis, silence. Ordre, cependant de rester, par précaution.

 

19 h - La 19e vient enfin nous relever. Le 265e a eu une tranchée démolie par les obus et les Allemands ont tenté une attaque infructueuse. Le 265e a perdu 30 hommes.

 

19 h 30 - Diner à la tambouille. On pressent qu’il y aura du nouveau avant peu. Attaque ?

 

21 h 35 - Je rentre me coucher.

 

* 28 octobre 1914

 

Excellente nuit. Réveil à 6 h 30, toilette, puis café au lait à la tambouille où je trouve LE GALLO souffrant : il est Sous-lieutenant à la 21e où il seconde LE GOURVENNEC.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille, excellent et très cordial. La journée s'écoule sans incident. Le bruit court un moment que nous allons être relevés par le 264e et envoyés en repli à BITRY, mais notre espoir s'évanouit bien vite : le 316e a trop bonne réputation et les Grands Chefs ne confieraient qu'à regret la défense de notre dangereux secteur à un autre Régiment de la Division : la perte de PUISEUX est la preuve qu'ils voient juste.

 

Je perds FARIGOUL qui prend le commandement de la 19e en remplacement d’ANDRIEUX évacué.

Je présente BRAUD (Adjudants des Sapeurs-Pompiers) pour Sous-Lieutenant et MOLGAT pour Adjudant.

 

16 h 30 - Diner au cantonnement.

 

17 h 10 - Retour aux tranchées, après l'installation des hommes, nous nous installons nous-mêmes : FARIGOUL nous laisse un bon feu, la paille forme maintenant un lit épais, nous avons des couvertures distribuées par le Corps, mais la nuit s'annonce froide : il a plu dans la journée, le chemin était ordinairement détrempé et maintenant un ciel plein d'étoiles nous fait prévoir une gelée. Je mets, comme tous les soirs ma pèlerine à mon manteau, je me roule dans ma couverture, j'enfonce mon bonnet de police sur ma tête, de manière à me couvrir les oreilles et je place mon vaste caoutchouc en housse sur mon "individu". Des fourmillements aux jambes m'empêchent un temps de m'endormir, mais je finis par trouver le sommeil.

* 29 octobre 1914

 

Le froid me réveille. BRAUD couché à côté de moi, s'en plaint aussi. Je fais allumer du feu, CARO procède à cette opération. Je me chauffe en fumant une pipe, puis je me réinstalle et me rendors.

 

8 h - Vaste gamelle de café, pain grillé et beurre, puis une pipe. Après quoi je travaille le nouveau règlement sur le service en campagne.

 

BRAUD suggère l'idée que l'on construise un nouveau gourbi, en partie creusé dans le flanc de coteau. On se met au travail sans retard. Aurons-nous plus chaud à notre prochaine nuit ? Peu importe, l'essentiel est que mes hommes s'amusent et ne restent pas inactifs.

 

La journée s'écoule sans autre incident que la canonnade violente et continue de part et d'autre. Nous apprenons que les nouvelles continuent à être excellentes et l'on nous donne à prévoir une attaque toute prochaine d'un Corps d'armée voisin.

 

18 h - Relève par le 19e et retour à St-PIERRE : le chemin est infect.

 

19 h - Diner à la tambouille. Nous nous réfugions dans la cuisine dès l'arrivée d'un convoi de 9 blessés de la 19e, victimes d'un obus dans la nouvelle tranchée : ils ont eu un mort : un obus précédent avait tué un homme et blessé un autre. A la tambouille, je vois LE GALLO toujours souffrant qui va être évacué.

 

21 h - CUNY apparaît, il est malade aussi : nos cadres s'amincissent et l'on ne parle plus de nous donner du repos. La canonnade continue et l'on entend même une vive fusillade sur la droite. Est-ce l'attaque annoncée ?

J'hésite à aller me coucher à cause de la perspective d'un rhabillage hâtif.

 

21 h 15 - Je me couche. A peine au lit, alerte : stationnement en armes dans la rue, devant le cantonnement puis le feu diminuant et finissant, on rompt les rangs. Je rentre dans mon logis, mais, me méfiant, je demeure équipé. Le canon fait rage. A 23 h, la fusillade reprend ; je cours au cantonnement où l'on ordonne l'alerte. Les 22e et 23e suivent le Colonel et le Commandant sur le plateau. Les balles pleuvent.

 

A un moment, sous le clair de lune intense, nous faisons un écran visible sur le ciel, dépassant la crête nous avançons toujours et nous plaçons à la lisière du bois derrière les tranchées de la 18e. Mon deuxième peloton n'a pas suivi. Je l'envoie chercher par GUILLEMOT par deux fois : il finit par arriver et j'apprends qu'il a été trompé par le scandaleux défilage du Sergent SILARET devenu invisible. On finit par me signaler que ce lâche est caché derrière nous dans un trou de tranchée. Je l'appelle et lui fait honte de sa conduite puis je le renvoie à son poste de commandement. Le feu s'éteint et la 23e reçoit l'ordre de rentrer, la 21e demeurant sur le plateau. En repassant à l'endroit où nous faisions écran nous le trouvons labouré de trous d'obus, notamment de grosses Julies...

 

* 30 octobre 1914

 

Nous sommes de retour â St-PIERRE à 4 h 15. Faisceaux formés dans la cour, les hommes couchés équipés dans le cantonnement. Je prends quelques dispositions pour le réapprovisionnement en cartouches, porté à 200 par homme, j'écris ces quelques notes et je me dispose à aller dormir.

Il est 5 heures.

 

6 h 30 - Je me réveille : notre secteur est calme mais les grosses pièces grondent sur la droite. Toilette, café avec tartine beurrée au cantonnement, café au lait à la tambouille, puis chocolat au lait au cantonnement (surprise faite par mes hommes) : c'est du cumul. Dans notre existence très matérielle, la question nourriture et celle du repos (repas et repos) ont la prime importance...

 

12 h - Déjeuner à la tambouille, interrompu par l'ordre de départ en vue d'une attaque : c'est la 37e Division qui va pousser en avant et nous devons la soutenir par nos feux.

Les 21e et 23e montent à la lisière du plateau par l'escalier du Colonel... La 23e détache un peloton à la ferme de MOULIN-MOULIN déjà renforcée par le 19e et occupée par la 20e et envoie le second peloton en avant de la caverne du bord du plateau, en renforcement de la 17e. On annonce de grandes cisailles pour couper les défenses de fils de fer allemands. Je vais dans la caverne avec les

Commandants MOREAU et MARANDE qui commandent la 21e. Longue attente, effroyable canonnade par nos 155 et 75, fusillade ininterrompue.

 

A 20 h, ordre de repli sur le premier emplacement occupé au début du mouvement, en haut de l'escalier du Colonel. Il pleut.

 

21 h - Retour à la réserve où l'on vient d'apporter le corps d'un patrouilleur Français tué par les balles françaises. Bon feu, mais aucun repas prêt. Mes cuisiniers restés à St-PIERRE avec JEHANNO. Je suis furieux et mange des conserves sardines et pâté, vin. Le peloton détaché à MOULIN-MOULIN ne rentre qu'à 22 h, à cause de l'inertie imbécile d'un agent de liaison : FARIGOUL et sa Compagnie sont obligés d'attendre jusque-là pour la relève et ils n'ont pas mangé !

 

Je me couche et m'endors comme une souche.

 

* 31 octobre 1914

 

Réveil à 7 h. Oublié de mentionner qu'hier au déjeuner esquissé à la tambouille, le Sous-Lieutenant LE FLOCH m'a appris que le Général de Brigade m'avait proposé pour une citation à l'ordre du jour de l'armée pour les journées de PUISEUX. C'est la croix assurée. Je suis heureusement surpris, ayant si peu fait par moi-même, la bravoure têtue de mes MORBIHANNAIS ayant tout le mérite de notre résistance.

 

8 h - Matinée pluvieuse. Je bois du café dans ma case, les pieds au feu, fumant la pipe et prenant des notes. Matinée calme.

 

12 h - Déjeuner dans la case troublée par l’arrivée du 5 e Bataillon. Nous partons (1er peloton) pour les tranchées en arrière de la ferme, laissant la 3e Section dans la tranchée de réserve et la 4e avec la 21e Compagnie à la lisière Ouest du plateau.

Nous construisons des pare-éclats pour nous garantir par derrière et nous flemmardons en fumant.

Le temps est beau et tiède, deux aéros nous survolent : Boches ?...

 

16 h - Ordre de conduire mon peloton en reconnaissance sur le versant Ouest du ravin. Je m'y rends et charge le Sergent GANDAIRE et le Caporal JOSSET de diriger deux patrouilles. Je demeure en repli pour les accueillir. Il fait frais : longue attente. JOSSET rentre assez vite avec des renseignements intéressants. GANDAIRE se fait attendre Enfin à 19 h, il revient ayant approché à 30 m des tranchées ennemies...

Je rends compte par le téléphone de la caverne au Colonel et nous rentrons à St-PIERRE à 20 h. Souper immédiat, puis vers 22 h je rentre me coucher.

 

* 1er novembre 1914

 

6 h 30 - Après excellente nuit, je me lève dispos. Toilette, jus au cantonnement puis café au lait à la tambouille. Nous y apprenons à 8 h que le 6e Bataillon devra être à son emplacement de combat à 11 h 30. Donc départ à 10 h 30.

 

9 h 45 - Excellent déjeuner à la tambouille puis départ pour le bois : défilement à flanc de ravin pour éviter les vues. Puis, quand nous arrivons à la réserve, nous grimpons par l'escalier du Colonel et nous installons sur le sentier de la caverne. Nous y passons la journée à lézarder, fumer, manger.

 

18 h - Ordre de relève. Nous rentrons à la réserve sauf la 4e Section qui demeurera sur le plateau avec la 21e.

 

20 h 30 - Les cuisiniers nous apportent un délicieux rata et du Camembert parfait : vin, café, pipe. Nous nous couchons aussitôt après le repas.

 

* 2 novembre 1914

 

6 h 30 - Réveil, café, rôties beurrées. Journée des plus calme. Je fais commencer une tranchée couverte à l'épreuve des obus de 15. Le Lieutenant du Génie passe une partie de sa journée dans mon gourbi. Le 80 de montagne confié aux fantassins se fait entendre : il n'est pas loin de nous. Je reçois une lettre de Marthe, une de GRIMAUD très affectueuse et une du "Courrier du Centre".

 

17 h 30 - Nous sommes relevés et apprenons que demain nous irons en repos à BITRY pour quelques jours. Nous ne croyons pas à ce bonheur.

 

19 h - Diner à la tambouille arrosé de Bourgogne payé par LEROY (pari perdu contre le Commandant MOREAU que la guerre se terminerait avant le 1er novembre).

 

21 h - Je vais me coucher. Les Boches me laisseront-ils dormir ?

 

* 3 novembre 1914

 

4 h 15 - Réveil après excellente nuit. Je me lève pour la promenade habituelle sur le plateau : je conduirai les 22e et 23e Compagnies.

 

5 h 10 - Nous allons dans les carrières très vastes, à l'épreuve du canon.

7 h - Retour à St-PIERRE. Café au lait, toilette.

 

10 h 30 - Déjeuner à la tambouille.

 

12 h - Départ pour St-PIERRE. Nous avons un cantonnement convenable et j'ai arrêté une chambre acceptable. COUSIN a amené un détachement de VANNES : je reçois 3 Sergents, 4 Caporaux et 7 hommes. La journée s'écoule sous un ciel très pur. Des aéros passent, canonnés inutilement par les

Boches.

 

17 h - Je vais au poste de secours (Presbytère). Nous y avons un bon feu, une lampe, quelques livres.

 

19 h – Diner

 

21 h 15 - Coucher.

* 4 novembre 1914

 

6 h 30 - Réveil, toilette.

 

7 h 30 - Café au lait à la tambouille. Gaie conversation avec les Officiers des 2 Bataillons : je fais plus ample - connaissance avec le Capitaine CHOPPART, vraiment sympathique. La journée s'écoule, calme. Je vais à la tambouille (Presbytère) attendre l'heure du déjeuner. Le Commandant MOREAU joue de l'harmonium : nous faisons un peu de musique.

 

11 h 30 - Déjeuner excellent. Dès la fin du repas, départ de BITRY pour les tranchées de repli sur le chemin de la ferme GAMET. J'installe mes hommes, puis, je vais à la ferme avec COUSIN, CHEMIN (22e) leur Sergent-Major et BRAUD, voir le secteur éventuel de combat, surtout les tranchées : celles-ci sont superbes et battent de la façon la plus efficace le creux de St-PIERRE. C'est GOURVENNEC qui occupe cet emplacement avec sa Compagnie (21e). Les bâtiments sont immenses, le logis cossu : il y a 500 hectares de terre autour de la ferme.

 

Au moment où nous allons revenir, bruit de galop : arrivée d'un Officier d'Artillerie. Il approche : c'est le Commandant PREVOST. Il s'arrête et nous causons cordialement. Il commande 4 batteries de 90 qui ont fait d'excellente besogne : arrêt décisif d'une attaque de nuit allemande ces jours-ci.

 

Le Commandant me raconte qu'un de ses Sous-Lieutenants, chargé d'un 80 de montagne, avisé qu'un mur crénelé était gênant à TRACY (avant la prise récente de DUENNEVIERES par nos troupe grâce à préparation faite par les 90) est allé a 300 m !! Puis, avisant un pignon qui avait contrarié le réglage de certaines batteries, il l'a flanqué par terre. Surprise ! Le pignon servait de dépôt de munitions: tout a sauté ! Cet Officier est proposé pour une citation bien gagnée. Le Commandant m'apprend que la surprise de VAILLY résulte d'une ruse grossière de l'ennemi, la même qui avait entraîné la retraite

le démolir de PUISEUX : apostrophe en français et même en argot à nos troupiers, annonçant qu'ils sont tournées et que l'on se replie. Il m'invite à aller souper avec lui, vieux Bourgogne, cuissot de biche, préparé par le Chef d'un grand restaurant de NANTES : je n'ose accepter, s'il y avait alerte !

 

Je rejoins mes Poilus et nous attendons 16 h pour rentrer.

 

Je suis de jour. Je fais le tour des postes et je rentre dans ma chambre. Elle fut occupée naguère par un Capitaine allemand et la maison par sa Compagnie. Les Boches furent très convenables, affirme ma vieille hôtesse. Un beau jour nos 75 vinrent subitement troubler leur quiétude : ils se cachèrent d'abord sous les meubles, puis partirent en désordre, certain pleurant d'émoi. Beaucoup abandonnant leur fourniment. La bonne femme me montre les gamelles du sa tasse de café, sa cafetière, son quart, etc...

 

J'ai reçu aujourd'hui, un nouvel envoi de Marthe : 2ème sac touriste, cache-nez, gants fourrés, cigares havane, cravates. Je vais donner le sac supplémentaire à LEROY, très gentil avec moi et qu’en raison de son jeune âge, j'ai élevé à la dignité de neveu.

 

19 h – Je reste dans mon logis, qui sert de bureau à la Compagnie et de réfectoire et cuisine à mes Sous-Officiers et je prés ide le repas du soir, repas de bienvenue aux nouveaux Sergents. Un fameux rôti de veau est arrosé d'excellent Bourgogne.

 

L'un des survenants, infirmier sur les paquebots qui font le service d'Extrême-Orient, est un beau parleur qui a lu à tort et travers : du NIETSCHE, du RENAN, etc.. et qui formule avec certitude des opinions successives et Contradictoires : mais il a l'air énergique , ancien Sergent d'active et il pourra rendre des services en cas de blessures ou maladies. Justement MOLGAT a une forte bronchite et GUYOT (Jean) de la grippe : je les fais badigeonne r de teinture d'iode, et les envoie se coucher après leur avoir fait absorber du lait iodé très chaud.

 

20 h 30 - Je vais me coucher.

 

* 5 novembre 1914

 

6 h 30 - Réveil, toilette, barbe, café.

 

7 h 30 - Café au lait à la tambouille.

 

9 h 30 - Déjeuner rapide.

 

10 h 30 - Départ des Compagnies pour les tranchées de repli, précaution contre le bombardement possible.

Journée employée à l'amélioration des tranchées au Nord du village.

Nombreux avions français et boches immédiatement canonnés : vains efforts.

 

17 h - Retour au cantonnement.

 

19 h - Diner très gai à la tambouille où le Colonel se montre charmant et spirituel comme toujours.

21 h - Coucher.

 

* 6 novembre 1914

 

6 h 30 - Lever, toilette.

 

7 h 30 - Café au lait à la tambouille.

 

9 h 30 - Déjeuner exquis. Je suis gâté par le cuisinier toujours souriant quand je parais.

 

10 h 30 - Départ pour le poste habituel, continuation du travail d'amélioration des tranchées.

Dans le courant de la journée, passage d'une batterie de 120 long venant de BOURGES, matériel ancien modernisé qui paraît formidable, attelages de 8 chevaux splendides. Journée sans incident, pipes multiples. Ce que l'on fume !!!

 

17 h - Retour à BITRY. J'y trouve LEBLOND guéri de ses blessures, BRETINEAU également et deux autres Lieutenants inconnus de moi : ils accompagnent un détachement de 151 hommes.

 

19 h - Réunion des Officiers par le Colonel. Il y a de l'offensive dans l'air. Je suis désigné comme rapporteur d'un Conseil de Guerre spécial pour juger un apache de la 24e qui, ivre, a frappé un Sergent.

 

20 h - Repas luxueux : potage tapioca exquis, volailles superbes, pommes de terre frites parfaites, haricots verts au beurre, foie gras merveilleux, vieux Bourgogne digne des Dieux, café, cigares de choix.

 

21 h - Je me couche.

 

* 7 novembre 1914

 

6 h - Lever, toilette, barbe.

 

7 h - Café au lait à la tambouille.

 

7 h 30 - Je vais au bureau du Colonel pour conférer avec lui l'affaire du Conseil de Guerre.

Toute ma matinée se passe à faire la procédure avec l'Adjudant GUYON de la 24e qui m'assiste comme greffier.

 

12 h - Déjeuner.

 

13 h - Continuation de la procédure.

 

16 h - Audience. L'apache s'était très bien conduit au feu, notamment à la ferme de MOULIN-MOULIN où il était de l'escouade décimée par un obus ; il réconforta ses camarades et pansa les blessés. Je requiers modérément et BRETINEAU plaide chaleureusement l'indulgence. Le Conseil condamne à 5 ans de travaux publics.

 

18 h - Je prends possession des objets rapportés pour moi de Paris par Grégoire : une jumelle de 140 F (valant 180 F ???), des éperons, du savon dentifrice, un porte- cartes d'Etat-Major.

 

18 h 30 - Je vais à la tambouille, griffonner mon Carnet en attendant le repas.

 

19 h - Diner.

 

21 h - Je vais me coucher. Derniers échos d'une fusillade dont nous ne nous étions pas doutés et qui fut, me disent les Poilus, très vive pendant 40 minutes. Le canon a même tourné pas mal.

 

* 8 novembre 1914

 

Lever à 6 h 45 puis toilette. A 7 h 15, café au lait à la tambouille. On y commente l'état sanitaire du régiment : la typhoïde sévit vigoureusement : le poste médical évacue de 30 à 40 hommes par jour : depuis un mois, près de 1 000 soldats ont été renvoyés parmi lesquels on signale plusieurs décès. Hier, on a évacué GUYOT Jean, Chef de ma 4e Section. Aujourd'hui, c'est le tour du Sergent RUSQUET.

Les anciens de la Compagnie deviennent de moins en moins nombreux.

 

Des ordres sont donnés pour ne consommer que de l'eau bouillie, mais l'insouciance des hommes en tiendra-t-elle compte ? Le Docteur LAFERRIERE voudrait une prolongation du repos qui permette la vaccination en masse. Aucun autre Régiment de la Division n'est aussi mal en point que nous.

On a abusé du 316e : les deux autres Régiments de la Brigade (264e et 265e) ont eu 15 et 21 jours de repos, pendant que nous demeurions 36 jours de file dans les tranchées : mais dans ce secteur difficile, le Général n'a confiance qu'en nous !

 

La journée s'écoule sans incident marquant, avec les mêmes heures de repas. Cependant, je ne vais aux tranchées qu'à 3 h, retenu par la préparation du dossier du Conseil de Guerre que je dois adresser à la Brigade. Avant d'aller á la tranchée et tandis que je m'y rends, je passe devant le cantonnement où s'agitent des barbiers et coiffeurs. J'avise le Sergent VILLIERS, coiffeur de Pornic et je fais abattre sur mon chef une toison trop abondante.

Les tranchées sont améliorées considérablement, les couverts presque terminés. Les hommes y seront à l'abri des shrapnells et ... du mauvais temps.

 

19 h - Repas à la tambouille, très gai comme toujours.

 

21 h - Coucher.

 

* 9 novembre 1914

 

6 h 30 - Réveil et toilette. Journée pareille à celle d'hier, sauf qu'après un déjeuner sommaire à 9 h 45, je pars aux tranchées avec ma Compagnie. Travaux habituels, puis école de Compagnie. A 15 h 30, nous rentrons car nous avons à fournir une Section de garde au pont de JAULZY et une Section de garde aux issues.

 

17 h 30 - Réunion des Officiers par le Colonel pour instructions nouvelles en vue d'une attaque. Demain, le 6e Bataillon qui remplacera le Bataillon de tranchée du 264e à St-PIERRE, quittera BITRY, à la nuit. Le 23e sera encore en réserve dans le bois pendant quelques jours. Aujourd'hui, j'ai reçu de Marthe un sac de couchage somptueux et confortable, mais comment diable ferai-je pour le transporter sur moi, avec tout ce que je trimballe déjà ? En attendant, je le colle dans ma cantine, allégée d'un trop plein de linge que j'envoie à TOURNAY.

 

21 h - Coucher.

 

* 10 novembre 1914

 

6 h 30 - Lever, café avec mes gradés au cantonnement.

Journée assez pareille aux précédentes. Déjeuner à 11 h.

Départ pour la tranchée Nord de BITRY à 12 h.

J'envoie le premier peloton ramasser des douilles d'obus de 75 sur le plateau à l'Ouest du ravin : il en rapporte 374 (y compris une cueillette faite le matin par la première Section) !

 

15 h - Mes hommes mangent la soupe. Je n'ai pas encore faim.

 

16 h - Départ pour St-PIERRE. Nous changeons de cantonnement... et je n'aurai pas de lit ! Petit malheur !

 

17 h 30 - Arrivée à la réserve du bois : le chemin est à peu près à sec. Le 264e que nous remplaçons, a fait beaucoup de travaux : il a, notamment, terminé le château commencé par mes Poilus et c'est maintenant une maison confortable avec cheminée spacieuse, haute, avec table et banc !

Ancrée dans le talus, elle est plus sûre que l'ancienne où nos successeurs ont reçu des balles : elle est aussi plus chaude.

 

19 h - Nous rabattons la porte et, sous la bougie, face à un bon feu, BRAUD, CARO et moi dînons de beurre, sardines, saucissons excellents, arrosés d'un quart de vin. J'oubliais un gruyère merveilleux.

 

20 h - Je m'enveloppe dans ma couverture, me glisse dans mon sac de couchage et, bien au chaud, je cherche le sommeil : il est long à venir, mes chaussures me donnent des fourmillements aux jambes. Je finis par m'endormir.

 

* 11 novembre 1914

 

7 h - Lever, café, pain grillé, beurre. Nous achevons de rendre notre château étanche, ou plus exactement imperméable aux courants d'air.

 

10 h - L'ami BIGEARD nous revient : il a passé 21 jours à PIERREFONDS.

 

14 h - Nous déjeunons ensemble d'un rata délicieux, de gruyère, de pommes, de vin et café.

Le temps se modifie : la brume se dissipe, il fait moins froid, mais la pluie est proche.

 

13 h - BRETINEAU et VISAGE nous font visite : ils sont de repos, mais le second fait les honneurs au premier d'un secteur qu'il ne connaît pas encore.

 

17 h 30 - Retour à St-PIERRE.

 

19 h - Diner à la tambouille. Demain matin, alerte à 4 h 30.

 

* 12 novembre 1914

 

4 h - Réveil par alerte. Je rassemble la Compagnie. Le Bataillon ne part qu'à 7 h 30. Nous nous arrêtons à la réserve du bois, tandis que les autres Compagnies gagnent leurs emplacements. Je m'installe dans notre château auprès du feu. Le Lieutenant du Génie DAQUIN vient y rejoindre BIGEARD et moi. Bon jus et pipes multiples. Le canon tonne, mais modérément : sans doute que les attaques de gauche (37e Division) et de droite (7e Corps) se poursuivent selon le programme annoncé, mais nous n'en percevons pas le tumulte.

 

Journée calme. Nous apprenons que le 44e (7e Corps) a occupé une ferme d'où il a délogé l'ennemi.

 

17 h - Ordre de remplacer dans les tranchées Sud-Est du plateau la 22e qui va occuper une tranchée prise ce matin par elle (vide). J'irai avec deux Sections et demie, laissant une Section avec BIGEARD à la réserve et une demie Section seulement avec la 21e.

 

18 h - J'occupe, sur ordre verbal du Commandant, la grande tranchée, de concert avec la 22e qui travaille à un boyau de communication avec la tranchée prise. Je laisse une demie Section dans une petite tranchée à la gauche de la grande.

 

20 h - Après une promenade fantastique dans la tranchée noire, dans les boyaux de communication, dans laquelle j'ai mis en place mes deux Sections, je viens me blottir dans un couloir de 4 m de profondeur sur 1 m de haut et 0,80 m de largeur : j'y mange avec BRAUD et CARO quelques conserves et du fromage, puis seul, dans ma tanière, je me roule dans ma couverture, me glisse dans mon sac de couchage et je m'endors.

 

* 13 novembre 1914

 

Je me réveille à 6 h, puis, rêvassant, bien au chaud, j'attends le bon jus qu'on m'apporte bientôt. Puis, avec CHEMIN et son Adjudant OUDINET qui suit BRAUD, nous faisons la tournée du propriétaire dans notre vaste domaine. Nous apercevons distinctement les créneaux des tranchées ennemies. De temps en temps, des balles sifflent : au loin, on entend le canon. Le temps est froid, le vent souffle.

 

9 h 30 - Visite du Commandant MOREAU qui trouve que ma Compagnie dont une Section, à l'extrémité d'un boyau de 200 m, occupe une nouvelle tranchée á droite, est trop dispersée, me donne l'ordre de placer mes deux Sections dans la partie de gauche de la grande tranchée, en liaison avec la demie Section de la petite tranchée.

Nous avons fait des progrès dans la sape, et nos tranchées avec leurs hauts parapets, leurs abris individuels, leurs chambres de repos, ont vraiment bon air. Nous sommes sur le plateau et l'eau, malgré le sol argileux, ne séjourne pas trop : il est vrai que la pluie est peu abondante...

Avant de déplacer mes Sections, je vais faire travailler celle de la nouvelle partie droite de la tranchée.

 

11 h - CHEMIN et moi, nous causons devant ma tanière lorsqu'une balle allemande racle le parapet à côté de nous, passe â quelques centimètres de nos têtes et va s'enfoncer en terre à deux pas, à un endroit ou deux Poilus travaillent à agrandir mon gîte : tout le monde éclate de rire et je fais ramasser le petit objet que je place dans ma cartouchière avec mes allumettes.

 

12 h - Le fidèle LE LAIN, accompagné du brave RENAUD, apportent le repas que je vais déguster avec mes gradés, sous un abri : sardines à l'huile, beurre, côtelettes de porc rôties, pommes de terre en sauce, fromages (Gruyère et Camembert) vin, café, et marc excellent. Il pleut : temps maussade et froid, vent très vif : la boue des tranchées devient liquide...

 

14 h 30 - Je viens m'asseoir dans mon gîte pour griffonner.

J'ai reçu deux lettres de Marthe, une de Pauline SOULE, une carte de LAVALLEE, une de TRAINEAU. Hier, bonne lettre de Paul LAY. On ne m'oublie donc pas ! Ces jours-ci j'ai eu un mot très affectueux de M. de BAUDRE et une lettre (enfin !) de BROUARD à qui j'ai répondu tout de suite.

 

17 h - Autorisation de descendre à la réserve du bois, sauf la demie Section de la petite tranchée de gauche. Je retrouve avec bonheur le confortable de mon château.

 

18 h - Relève : nous rentrons à St-PIERRE. Puissions-nous avoir la paix cette nuit 1 Le chemin, détrempé par la pluie est détestable : nous pataugeons dans une boue liquide où nous avons peine à maintenir notre équilibre : les chutes se succèdent, sans mal, heureusement !

 

19 h - Je signe les pièces, me débarrasse de mon harnachement et, armé d'une lanterne, je vais à la nouvelle tambouille à 60 m du cantonnement. Repas très gai, arrosé de vieux Pommard offert par Grégoire qui vient passer quelques jours à St-PIERRE.

 

21 h - Je me couche sur mon divan : j'ai chaud et je m'endors.

 

* 14 novembre 1914

 

Réveil à 6 h 30. Café, toilette, barbe puis tambouille.

 

8 h - Correspondance au cantonnement. Je reçois une lettre de Marthe et une de Pauline.

 

12 h - Déjeuner.

La journée s'écoule monotone.

 

16 h 30 - Réunion par le Commandant pour instructions sur une pose de fils de fer en avant de la tranchée CHEMIN.

 

17 h - Départ pour les tranchées. Trajet pénible dans un terrain glissant, détrempé, parmi les flaques d'eau. 22e et 23e sont ensemble et nous prenons de concert un sentier montant au plateau à travers bois et qui est moins mauvais que le chemin habituel. Des hommes glissent et tombent. Je cherche un gîte et finis par laisser à COUSIN celui que j'occupais naguère pour m'installer dans une tanière plus large, mais pas assez longue pour me permettre de m'étendre.

 

* 15 novembre 1914

 

Je passe une assez bonne nuit au chaud. Réveil vers 6 h 30.

Je rêvasse et ne me lève que lorsque CARO m'apporte du café chaud qu'il est allé chercher à la réserve du bois. Le brave garçon ! Hier soir, demeuré en arrière pour attendre mon souper, il est venu seul, passant par le sommet du plateau (ce qui est dangereux) pour aller plus vite et encore a-t-il dû, parce que le 219e n'avait pas voulu le laisser passer sans le mot, aller demander ce dernier à la Casbah du Colonel. Mon Brave CARO ! Toujours aux petits soins pour moi.

 

Je passe la matinée avec CHEMIN qui est un vrai type, chantant la chansonnette et ayant le mot pour rire : type classique de Parisien.

Il a gelé cette nuit. Nous avons un peu de neige et il vente fort et froid. Cela ne me déplairait pas mais voilà la pluie qui s'en mêle, abondante, et je finis par venir me blottir dans ma niche avec CARO, pour attendre notre repas.

CHEMIN m'a passé un journal d'hier, les nouvelles sont excellentes partout.

La journée s'écoule monotone sous la pluie qui transforme la tranchée en cloaque ou en canal. Je fais jeter de la terre sur les flaques, remuer avec une pelle et rejeter ce mortier sur le parapet. Puis, je vais attendre la relève dans mon gîte.

 

18 h/19 h 45 - Rien n'apparaît ! Enfin, vers 19 h 30, la 19e arrive fournissant, sur son retard, des explications très vagues. Nous rentrons à St-PIERRE par le plateau et y arrivons à 20 h passées.

Je me couche vers 21 h, mais énervé par l'attente de la relève aussi par le souci d'une alerte très possible (la 22ème va travailler à raccorder la tranchée Chemin avec la tranchée du Génie en face de laquelle vient de se faire jour à 50 m, un boyau allemand). Je ne peux trouver le sommeil avant 2 ou 3 heures.

 

* 16 novembre 1914

 

5 h 30 - Réveil de la Compagnie pour la promenade aux carrières à 6 ou 7 heures. Je laisse mes hommes y aller sous la conduite de Bigeard. J'ai reçu hier 21 hommes dont 2 sergents évacués URVOIS et BLANCLOEIL : mais, avec les évacuations de ces jours-ci, cela ne fait que 167 hommes sous les armes.

 

8 h - Café au lait à la tambouille.

 

9 h - Correspondance et lecture des journaux d'hier, nombreux. J'envoie à Marthe de nouvelles feuilles de mon carnet de campagne.

 

12 h - Déjeuner à la tambouille.

 

14 h 30 - La 23e va aller effectuer cette nuit le raccordement de la tranchée Chemin avec la tranchée du Génie (travail non-exécuté la nuit dernière) : travailleurs, sections de protection des patrouilles.

 

17 h - Départ avec la 22e, commandée par COUSIN qui a comme Sous-Lieutenant CHEMIN. Trajet des plus pénibles dans une boue grasse et liquide où l'on enfonce quelquefois jusqu’à mi-jambe. Je vais m'installer avec ma Compagnie à l'extrémité de la tranchée Chemin, à l'Est. Je laisse 2 patrouilles dans la nuit noire, puis les 2e et 3e sections (MOLGAT et BRAUD) comme protection des travailleurs le et 4e sections) qui opèrent derrière ce rideau. Faute de renseignements précis, les outils qu'on devait trouver déposés à l'entrée du boyau d'accès ne sont pas découverts : le travail commence cependant sous la direction du Génie (Capitaine, Adjudant, Sergent et 22 hommes) avec 40 pelles et pioches apportés de St PIERRE. Puis, sur renseignements nouveaux, nous retrouvons le dépôt des autres. On travaille ferme toute la nuit, en silence.

 

La nuit s'écoule ainsi, mais avant le jour, nos sentinelles sont fusillées : un de mes hommes est tué, un autre qui le secourait, BELLEC de CARHAIX, est blessé à la main. On termine le travail (300 mètres de tranchée) avant le jour : notre programme est rempli.

 

* 17 novembre 1914

 

Avant le jour, je rentre dans la grande tranchée du plateau. J'essaye vainement de dormir à cause du téléphone qui m'appelle constamment.

 

8 h - CHEMIN m'annonce que COUSIN vient d'être foudroyé d'une balle à la tempe, en surveillant le parachèvement du travail de la nuit.

 

Violente canonnade allemande sur la nouvelle tranchée. Un mot de CHEMIN m'apprend qu'il y a plusieurs victimes... Des balles ont aussi percé le parapet trop faible, tué un sergent et blessé un homme.

 

La nuit avait été glaciale sous un ciel qui avait fini par être splendide ; le temps s'est radouci et la pluie recommence.

 

LE LAIN, mon fidèle cuisinier (ancien Chef de l'Hôtel de l'Epée de VANNES) m'apporte à midi un délicieux rata dont je ne mange que les pommes de terre.

 

L'après-midi s'écoule sans incident sous un beau soleil. Je renonce à dormir, à cause de ce maudit téléphone.

 

16 h - Notre artillerie tonne enfin contre les Allemands et nous voyons culbuter 20 m de leurs tranchées sous l'explosion de nos obus.

 

Chez CHEMIN, en plus des victimes plus haut énoncées, il y a encore 2 blessés par éclats d'obus.

 

Je passe ma journée étendu dans ma niche, rallongée vers les pieds par un creusement de peu de hauteur qui me permet d'étendre les jambes : CARO est étendu près de moi et surveille le téléphone dont la sonnerie est imperceptible. Je suis roulé dans ma couverture et englouti dans mon sac de couchage, mais, glacé par la dure nuit. Je ne peux me réchauffer entièrement les pieds qu’au bout de plusieurs heures. De la réserve de bois, BIGEARD m'envoie l'Echo de Paris d'hier que je lis en fumant forces pipes. Je suis crotté à faire peur.

 

17 h - Un avion boche survole nos lignes : tout le monde se terre. en propos joyeux pour notre aimable Colonel toute la journée.

 

21 h 30 - Armé d'une lanterne, je retourne à mon logis et m'étends avec délice dans un excellent lit où je dors à merveille. Table de nuit vide... Vers minuit, réveil pressé... froid très vif...courte réflexion... J'arrose la cour par la fenêtre.

 

* 19 novembre 1914

 

Tout est blanc de gelée. Je me lève à 7 h. Café au lait à la tambouille. Travaux de propreté au cantonnement par mes Poilus.

 

9 h 30 - Revue de la Compagnie par moi.

 

11 h 30 - Déjeuner à la tambouille.

 

13 h - Exercice au Sud de BITRY jusqu'à 16 h. Le temps est gris et froid, la neige tombe quelque peu, mais elle fond aussitôt.

 

16 h - J'ouvre un colis parvenu au cantonnement ce matin. Il contient un confortable veston de cuir, qui me va à merveille et 8 tablettes doubles de chocolat. Je donne à mes Sous-Officiers, la moitié de cette provision et je fais enfermer le reste ainsi que le veston dans ma cantine par CARO. Je ne veux pas encore me vêtir trop chaudement avec le gros hiver ; mais dès demain je vais mettre mes caleçons de laine.

J'ai longuement causé avec GALERNE revenu du dépôt sur le fonctionnement duquel il m'a donné des détails stupéfiants. Le Commandant LAMBIN, pour ménager quelques chouchous cependant très valides, mais qui redoutent balles et obus, n'a pas hésité à faire repartir pour le front des Officiers évacués pour blessures ou maladies, alors qu'ils étaient à peine rétablis, entr'autres GALERNE dont la femme venait d'accoucher et BRETINEAU dont la femme était à quelques jours de son terme. M. PAULIN continue donc à promener à VANNES sa carrure de fainéant bien nourri. GORNALOU persiste a demander sa titularisation au titre actif en récompense de ses exploits de champ de manœuvres ; quant à HABRIOUX qui se proclame plus que jamais trop faible pour affronter les fatigues de la guerre, il fait du cheval comme un écuyer de profession (sa fistule ? ne lui interdit pas les sauts d'obstacles) demande à être titularisé dans l'active et apprenant sa promotion, a osé me traiter de “veinard" ! Tas de salauds !

 

Même particularité de l'extraordinaire LAMBIN en ce qui concerne les Sous-Officiers.

 

18 h - Je viens d'écrire au cantonnement ces quelques lignes, puis, mes Sous-Officiers m'offrent du thé et me demandent timidement si je veux prendre part à une partie de manille avec eux. J'accepte avec plaisir, et ils sont ravis eux-mêmes : je suis avec le brave MOLGAT, Sergent d'active, garçon intelligent et plein de cœur et nos adversaires sont le fourrier BARDET, épicier à VANNES et le sergent URVOIS, gros marchand de beurre de TOURS ; nous gagnons.

 

19 h - Diner à la tambouille.

 

21 h - Coucher.

FIN DU CARNET 1 (du 5 septembre 1914 au 19 novembre 1914)

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22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 15:08

Le pauvre loup

 

Il y avait une fois une petite fille qui avait des cheveux rouges, un nez rouge, des yeux rouges. Alors sa maman lui avait fait une robe rouge, des chaussettes rouges et ......un chaperon rouge, naturellement.

 

Comme ça tout était bien assorti.

 

Cette petite fille là grandissait très vite, aussi avait-elle toujours faim. Ce qu'on lui donnait, à table, lui faisait juste un hors d'oeuvre.

 

Ensuite, elle allait terminer ses repas dans les basses-cours, les pommiers, les jardins voisins. Elle était la terreur du pays.

 

Un jour, sa maman, voulant la rendre raisonnable, lui dit :

 

- Ma petite chérie, voici un panier avec une galette et un pot de beurre. Porte-le à ta Mère Grand, qui habite de l'autre côté de la forêt. Mais, surtout, ne mange pas tout en route !

 

Chaperon Rouge promit de mauvaise grâce.

 

Elle partit.

 

***

 

 

Quand elle fut dans la forêt, elle trouva des fraises, des framboises et des myrtilles. Cela la soutint un peu. Pas longtemps.

 

 

Bientôt, n'y tenant plus, elle ne fit qu'une bouchée de la galette et du pot de beurre.

 

Tout en marchant, voici qu'au détour d'un sentier, elle aperçut une forme noire, avec deux oreilles pointues et des yeux brillants.

 

-Tiens, je parie que c'est cet imbécile de loup, se dit-elle.

 

Elle lui cria :

 

- Pas la peine de te cacher, mon petit père. Viens donc faire un tour avec moi. Tiens, on va faire la course jusqu'à la maison de ma Mère Grand. Passe par là, et moi je passerai par ici. Le premier arrivé attendra l'autre.

 

Et quand le loup eut disparu dans son chemin, elle se mit à courir à toutes jambes.

 

Bientôt, elle arriva devant la maison de sa Mère Grand, et frappa à la porte :

 

- Toc - Toc - Toc

 

- Qui est-là ?

 

- C'est moi, Chaperon Rouge, qui vous apporte un panier de la part de ma maman.

 

- Ah ? Tartine la savonnette et la chaufferette trottera (c'est comme ça qu'on ouvrait les portes dans ce pays là).

 

Chaperon Rouge fit comme on lui disait et entra.

 

A peine était-elle dans la maison qu'une faim terrible la prit, et elle mangea sa Mère Grand. Aoups ! d'une seule bouchée.

 

 

Elle prit un grand seau d'eau et l'attacha au dessus de la porte, puis elle mit les lunettes, la perruque et le bonnet de sa Mère Grand, qu'elle avait laissés de côté, et se coucha dans le lit pour se reposer un peu.

 

 

Bientôt, elle entendit frapper.

 

- Toc - Toc - Toc

 

- Qui est-là , demanda Chaperon Rouge d'une voix chevrotante.

 

- C'est moi Chaperon Rouge, votre petite fille chérie, qui vous apporte un panier, de la part de ma maman, dit le loup avec une petite voix flûtée.

 

- Ah ? qu'est-ce qu'il y a dans ton panier ? (Elle pensait : vieux bandit, tu voulais manger ma Grand'Mère, hein ? Qu'est-ce que j'aurais eu pour déjeuner, moi ! Tu t'en moques, hein ? Continue à me débiter tes sornettes. Vieux cochon, va).

 

- Je ne sais pas ce qu'il y a. Maman m'a défendu de regarder.

 

- Eh bien tant pis. Va-t-en.

 

- Oh, Mère Grand. Moi qui voulais vous embrasser !

 

- Ah, oui ? C'est toi qui l'auras voulu ! Tortille la barbichette et la mitraillette chauffera (Encore un système pour ouvrir les portes).

 

Le loup entra et reçut le seau sur la tête.

 

Sans avoir le temps de reprendre ses esprits, il se retrouva dans le ventre de Chaperon Rouge, à côté de la Mère Grand, qui lui dit :

 

- Quel enfant terrible, cette petite ! Elle me rappelle ce que j'étais au même âge.

 

- Vraiment, dit le loup. Décidément je suis en bonne compagnie aujourd'hui.

 

- Vous pourriez être poli, au moins! J'étais là avant vous.

 

- Vieille folle, allez tricoter vos chaussettes ailleurs.

 

Les voilà qui se mettent à se taper dessus.

 

 

Chaperon Rouge se sentit soudain mal à l'aise.

 

Elle se mit au lit et devint verte. Puis la fièvre monta.

 

Vers le soir, son papa qui l'avait cherchée partout arriva devant la maison. Il frappa. Pas de réponse.

 

Alors, comme c'était une grande personne, il tortilla la salopette et débina la trotinette, puis il entra.

 

Chaperon Rouge avait l'air bien malade. Il s'approcha.

 

- Ca ne va pas, ma petite chérie ? Où est ta Mère Grand ?

 

- Je l'ai mangée, articula faiblement Chaperon Rouge d'une voix pâteuse.

 

- Seigneur, cette enfant ! Moi qui pensais que le loup t'avait fait peur !

 

- Je l'ai mangé aussi.

 

- Mais, la galette et le beurre ?

 

- Oh, c'était bien peu de chose. J'avais vraiment trop faim après.

 

Le papa de Chaperon Rouge fut indigné.

 

Il s'écria :

 

- Ta mère et moi, nous nous tuons à faire l'éducation d'une péronnelle. Nous allons te mettre au couvent.

 

- Oh, papa, non, pas ça. J'ai bien mal au ventre, tu sais.

 

- Ah, tu as la colique ? Une grande colique, n'est-ce pas ? Tu sens que ta Grand Mère se bat avec le loup ? Ca te tiraille dans tous les sens ?

 

- Oh, oui, papa !

 

- Tant pis pour toi, ma fille. La prochaine fois, tu n'en mangeras pas tant à la fois. Ca t'apprendra - C'est rudement bien fait.

 

                                                                                   ________________ 

 

 

Commentaire :

 

Ces deux textes ont un point commun : la nourriture !

 

Ils ont été écrits pendant la seconde guerre mondiale où l'on manquait de tout et surtout de nourriture carnée.

 

Une manière humoristique et légère de sublimer ce manque.

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22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 14:13
Angéline - texte intégral et original de Monique Riffault (Tous droits réservés)

Angéline

 

Il était une fois, dans un pré, une belle vache rousse nommée Angéline qui mangeait l'herbe, la ruminait et la démangeait, comme font toutes les vaches bien apprises.

 

Mais Angéline s'ennuyait. Elle savait qu'elle était belle, avec des yeux langoureux et des gros pis bien roses.

 

- Ah, pensait-elle, voilà maintenant cinq ans que je gâche ma jeunesse dans ce trou. Personne pour me comprendre. Un jour je m'en irai toute seule vivre ma vie à Paris.

 

Angéline se mit à rêver si fort de Paris qu'un beau matin, apercevant sur la route une camionette qui passait , elle courut au devant et se planta au milieu de la route, les yeux baissés et une fleur à la bouche.

Le conducteur du camion freina et jura en même temps.

Mais lorsqu'Angéline le regarda de ses doux yeux, il se tut.

Elle dit :

- Emmenez-moi à Paris, je me ferai toute petite dans votre auto et je vous promets de ne pas faire de saletés.

- Eh bien, monte, ma belle.

 

C'est ainsi qu'Angéline vola vers les aventures.

 

 

***

 

Place de la Concorde, le camion s'arrêta et le conducteur dit à Angéline.

 

- Te voilà arrivée. Descend, maintenant.

 

Angéline le remercia et descendit.

 

Toute étourdie par la circulation et le bruit, elle se dirigea vers un café, où beaucoup de gens étaient installés. Elle s'assit à une table et prit une pose abandonnée, en croisant ses jambes avec assez de mal.

 

- Et pour vous Mademoiselle ? dit un garçon qui passait.

 

- Une fine, répondit-elle.

 

Elle la but et en demanda encore cinq; après quoi elle se sentit très sûre d'elle.

 

A une marchande de fleurs qui passait, elle prit deux bouquets de pois de senteur et se les mit à chaque oreille.

 

Puis comme un joueur d'accordéon avait entonné un swing pas loin, Angéline se mit à danser comme une folle tantôt sur les pattes de derrière tantôt sur celles de devant, tournant, sautant, avec des chassés croisés, des jetés battus, et tout ce qu'il fallait. Les gens s'arrêtaient pour l'admirer.

 

Quand l'accordéon se tut, la foule acclama Angéline, qui, modeste, baissa les yeux, en mâchant distraitement ses fleurs.

 

Tout ce monde l'intimidait beaucoup. Aussi, apercevant un garçon du café qui se mettait à astiquer par terre et à jeter de la sciure, elle alla à lui, lui sourit et dit avec douceur :

 

- Moi, je ne ferais pas comme ça, si j'étais vous.

 

Le garçon, subjugué, s'arrêta.

 

Angéline s'empara du balai, et s'avança à l'intérieur du café en lâchant de grosses bouses à chaque pas, qui faisaient Pof - Pof - Pof.

 

Puis, avec son balai, elle étala tout partout, en arabesques malodorantes.

 

Tous les clients se levèrent et prirent la fuite, le nez dans leurs mouchoirs.

 

Les garçons couraient autour d'Angéline qui lançait son balai dans toutes les directions.

 

Au bout d'un moment, elle s'arrêta et leur dit :

 

- Hein ! Vous n'en auriez pas fait autant !

 

Mais les garçons s'étaient évanouis.

 

Angéline sortit sur la pointe des pieds pour ne pas les réveiller.

 

Lorsqu'elle se trouva dehors, la foule s'était dispersée et elle s'en fut se promener jouant des hanches et battant des cils, jusqu'aux Tuileries.

 

Là, elle fit son plein d'herbe fraîche et se reposa un peu.

 

Dans tout le jardin, beaucoup de gentils bébés jouaient sagement et se mirent à lui faire des grâces. Angéline, flattée, laissa approcher les mamans qui lui tirèrent chacune un bon litre de lait tout chaud.

Angéline promena les bébés tous à la fois sur son dos dans les allées du jardin. Ils étaient heureux comme des rois et chantaient leurs plus jolies chansons, en tressant des couronnes de fleurs pour les jolies cornes d'Angéline.

C'est ainsi que se passa l'après-midi de ce jour-là.

 

Vers le soir, les enfants rentrèrent chez eux et Angéline se rappela la bonne fine qu'elle avait bue au café. Elle quitta donc le jardin pour retourner dans les rues.

Mais voilà que l'étourdie passa devant une grande boucherie  où justement  il n'y avait rien à vendre.

Le boucher, la voyant se promener si tranquille, eut un haut le corps et se mit à écarquiller ses gros yeux.

Puis il prit une matraque et une corde et se mit à courir. Angéline prise de peur, galopa aussi.

A chaque tournant de rue, d'autres bouchers sortaient de leurs magasins et se joignaient à la poursuite de la pauvre Angéline.

Tout le monde courait, courait mais Angéline volait. Elle avait si peur.

 

Bientôt elle eut quatre vingt sept bouchers à ses trousses, sans compter les chiens des bouchers.

 

Tout d'un coup, elle vit une grande porte ouverte et s'engouffra dedans tète baissée.

Tous les quatre vingt sept bouchers et leurs quatre vingt sept chiens s'apprêtaient à foncer à sa suite, mais quelqu'un leur ferma la porte juste à temps, et, en levant la tête, ils purent lire l'écriteau suivant : "INSTITUT DE BEAUTE".

Vexés, ils s'assirent tous par terre, le nez allongé jusqu'à leurs pieds, bien décidés à attendre qu'Angéline soit mise à la porte. Et voilà pour eux.

 

Mais pour ce qui est d'Angéline voici :

 

A peine fut-elle entrée qu'une charmante personne se précipita pour fermer la porte derrière elle, puis lui demanda ce qu'elle désirait.

 

Angéline dit "Où suis-je ? " d'une voix mélodieuse et timide.

 

- Vous êtes dans un institut de beauté, Madame la vache, et tous les gens qui vous couraient après vous atendent dehors.

 

- Ciel, gémit Angéline, ils veulent me tuer pour me manger. Ils n'ont pas eu de répartition cette semaine. Ca les rend fous.

 

- Pauvre chère dame. Pouvons-nous vous aider ?

 

- Ne  pourriez-vous me maquiller de telle sorte qu'ils ne puissent me reconnaître quand je partirai d'ici ?

 

- Oh, mais certainement, nous avons des artistes extraordinaires. Venez par ici !

 

Angéline suivit la demoiselle qui la conduisit au salon de maquillage.

 

On la fit asseoir dans un grand fauteuil, avec un peignoir blanc autour des épaules. Puis un barbier vint lui raser la figure. Après quoi un maquilleur lui fit un visage céleste, ave une bouche rouge, des joues roses, des cils au rimmel et des sourcils délicats. Puis un coiffeur, après lui avoir scié ses belles cornes, lui mit des boucles blondes ravissantes.

Angéline était toute émue de se voir si belle.

 

Quand ce fut fini, on lui mit une grande robe mauve à fleurs jaunes, des souliers à talons et des gants blancs. Angéline se tenait debout, fascinée par son reflet dans la glace.

Elle remercia avec effusion tous les artistes qui l'avaient faite si belle.

Puis elle sortit de l'institut de beauté, avec une démarche provocante de sirène.

 

Les bouchers, dès qu'ils aperçurent cette superbe créature, se dressèrent sur leurs pieds, et lui firent de l'oeil.

Angéline fit celle qui ne remarque rien, et passa très digne.

Mais le premier boucher avait eu un coup au coeur.

Il la suivit, la rattrapa et ........

 

..........Ils se marièrent, mais ils eurent de drôles d'enfants.


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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 10:12

Monique Riffault publie en 1959 aux éditions suédoises Lito deux albums illustrés pour enfants dont le texte a été écrit et illustré en collaboration avec sa fille Jacqueline alors âgée de quatre ans.

 

 

 

 

Ces deux albums s'intitulent :

 

"Voyage en Amérique du soir" et  "Et Ron, Ron, Ron, Petit Patapon" .

 

 

 

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Ces deux albums furent suivis d'une nouvelle histoire "La neige danse" qui ne fut jamais publiée mettant joliment en scène un bonhomme de neige facétieux.

 

 

 

La neige danse 1

 

et d'une dernière aventure au bord de la mer mettant en scène deux jolies sirènes aux caractères opposés et le loup, dont Monique Riffault n'achèvera jamais les dessins, Jacqueline ayant grandi et découvert l'école !

 

 

 

 

Double page de l'album A la plage

      Double page extraite de l'album "A la plage"

 

 

 

 

 

 

Monique Riffault a écrit, scénarisé et dessiné d'autres petites histoires qui n'ont pas été publiées :

 

 

 

 

"Agapet et Agapit"

 

 

 Agapet-et-Agapit.JPG

 

 

 

 

AGAPET-ET-AGAPIT-19.jpg

 

Cette histoire met en scène deux garçonnets aux talents opposés, l'un semble briller par sa perfection en toutes choses et l'autre ne sait faire que des bêtises... 

 

 

 

 

 

"La poule"

 LA-POULE-4.jpg

 

 

 

 

"Le bal des cochons" 

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"Le vaillant Pimpondor"

 

 

 Le Vaillant Pimpondor

 

"Le Vaillant Pimpondor" raconte les exploits d'un ours "Pimpondor" et d'un âne "Poum Api" , animaux en peluche appartenant à une jolie peite fille prénommée Zabou.

 


Prenant vie au pied du sapin de Noël, Pimpondor et Poum Api deviennent les meilleurs amis du monde, l'un devenant chevalier et l'autre sa fidèle et intrépide monture.   

 

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  • : Monique Riffault, Artiste peintre, paysagiste et Médailleur
  • : Un titre de blog sous forme de question ! Et pourquoi pas ! Ce blog propose quelques réponses. Il évoque surtout son oeuvre ainsi que celles d'autres artistes l'ayant connue.
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